Volume 35 numéro 13
27 novembre
2000


 


Molière et Beethoven aux HEC
François Colbert donne des conférences sur la gestion des arts jusqu’en Australie.

François Colbert observe que le nombre d’activités culturelles et le revenu global des organismes augmentent sans cesse
depuis 1996. «Par comparaison, l’assistance aux compétitions de sport amateur et professionnel est en chute libre.»

François Colbert n’entretient aucun complexe à l’égard de l’Italie, l’Autriche, la France ou l’Allemagne lorsqu’il est appelé à y donner des séminaires. Pour le titulaire de la Chaire de gestion des arts de l’École des Hautes Études Commerciales, ces pays sont de simples destinations d’affaires. «L’Europe a bien entendu une grande tradition artistique et culturelle, mais, pour ce qui est de la gestion, elle a beaucoup à apprendre.»

Qu’un «p’tit gars de Trois-Rivières» se rende à Paris, Milan, Berlin et Vienne pour montrer aux administrateurs d’établissements culturels centenaires comment gérer leur patrimoine artistique ne lui apparaît pas exceptionnel. «Non, je ne me sens pas comme un vendeur de congélateurs dans le Grand Nord. Le marketing et le management des arts étaient perçus très négativement autrefois. Mais les choses changent. Aujourd’hui, on accepte de parler d’études de marché, de produits, de gestion antidéficit. Les administrateurs du milieu culturel sont heureux de cette nouvelle façon de voir les choses.»

Sur le plan de l’assistance dans les salles de concert ou de théâtre, le seul avantage de l’Europe, c’est sa densité de population. «Sur un territoire où il y a quatre fois plus d’habitants, le public pour assister aux activités culturelles sera quatre fois plus nombreux», dit-il.

À l’exception de l’Angleterre. qui n’a jamais cru en l’État-providence, les pays d’Europe ont eu tendance à laisser aux gouvernements le soin de financer les arts. Or, les compressions des dernières années ont incité les gestionnaires à se tourner vers d’autres sources de financement. L’exemple nord-américain, et particulièrement québécois, leur est utile. «Autour du monde, on parle de Montréal comme d’un centre de la danse contemporaine et du théâtre pour enfants notamment. C’est l’un des endroits au monde où il y a le plus d’effervescence créatrice. Et nos gestionnaires sont compétents.»

Mais l’analyse de l’offre et de la demande du point de vue du marketing révèle que les administrateurs du secteur culturel ont de sérieux défis à relever. «En gestion, ce qu’il y a de plus difficile à vendre, ce sont les nouveaux produits. Or, c’est ce que les artistes doivent livrer à chaque production. Chaque fois, c’est le risque maximal et le budget minimal. La meilleure façon de se casser la figure.»


Il est tombé dedans

En plus d’être l’auteur d’un livre à succès dans le monde universitaire, Le marketing des arts et de la culture (Gaëtan Morin éditeur), dont la deuxième édition paraît ces jours-ci en français, en anglais, en italien et en russe — un projet de traduction en espagnol est en négociation —, M. Colbert est l’éditeur d’une revue qui paraît trois fois par année: International Journal of Arts Management. Sans cesser d’enseigner et de diriger des recherches, il assume les fonctions de vice-président du Conseil des arts du Canada.

La gestion des entreprises culturelles, il est tombé dedans quand il était petit. Au centre culturel de la ville de Beloeil, où sa famille a déménagé durant son enfance, François Colbert a pris goût à la mise en scène et a fondé une troupe de théâtre amateur qui a compté jusqu’à 35 jeunes comédiens et techniciens: Les carcans. «Les adolescents ont besoin qu’on leur propose des activités. J’en garde des souvenirs extraordinaires. Nous avons joué des pièces contemporaines, des classiques tirés des répertoires québécois, américain, français. J’ai consacré presque tous mes dimanches à cette troupe, de septembre à mai, pendant 21 ans.»

Outre le plaisir d’avoir dirigé pour la première fois des comédiens qui ont choisi de faire carrière (notamment Serge Dupire), François Colbert a appris dès ce moment-là à formuler des demandes de subvention et à assurer la promotion des productions. Il est passé ensuite au Théâtre sans fil, un théâtre de marionnettes pour adultes dont il s’est occupé pendant 15 ans. Puis, il a été président du Théâtre d’aujourd’hui et de l’École supérieure de danse du Québec en plus de siéger aux conseils d’administration de Radio-Québec, des Grands Ballets canadiens et de la troupe de danse O Vertigo. À Statistique Canada, il a présidé le comité sur la statistique culturelle de 1994 à 1998.

Sur le plan universitaire, les premières se sont accumulées au fil de sa carrière: premier séminaire sur le marketing des arts au Québec en 1979; premier certificat de premier cycle, Gestion des entreprises artistiques, en 1984, suivi, en 1988, d’un programme de deuxième cycle, le Diplôme en gestion des entreprises culturelles. C’est à la faveur d’une conversation à bâtons rompus avec le ministre des Communications du gouvernement Mulroney, Marcel Masse, que François Colbert signale l’idée de créer une chaire. Le chèque suit, presque miraculeusement, quelques mois plus tard. La Chaire de gestion des arts (unique au monde) est créée en 1991 grâce à une mise de fonds de un million de dollars, dont la moitié est assurée par l’École des HEC.

Il y a trois ans, il lançait la revue internationale, et l’une de ses fonctions, depuis, est d’assurer la bonne marche de la conférence bisannuelle de l’Association internationale de management des arts et de la culture. En juillet prochain, plus de 400 délégués de 25 pays se réuniront à Brisbane, en Australie. «Ce sera l’occasion pour nous d’échanger de vive voix nos points de vue sur les dernières découvertes en management culturel.»

Un artiste dans une école de gestion, n’est-ce pas perçu comme un chien dans un jeu de quilles? «Au début, je me sentais un peu isolé, mais j’ai vite découvert des passionnés d’art autour de moi. Il y en a plus qu’on pense dans le milieu des affaires.»
D’ailleurs, un de ses collègues, Jacques Nantel, lui a fait promettre de lui trouver de bons billets à la Scala. «Faut pas que j’oublie, quand je serai à Milan…»

Mathieu-Robert Sauvé


11000 spectacles par an

Selon le titulaire de la Chaire de gestion des arts, François Colbert, le secteur artistique québécois traverse une drôle de crise. D’une part, les offres se multiplient alors que la clientèle semble stagner. Mais ce n’est pas si simple. «Presque 100% des gens consomment des arts, précise-t-il. Nous parlons principalement d’arts populaires — cinéma, spectacles musicaux, théâ-tre d’été. Quant aux arts “savants” — opéra, musique classique, théâtre —, ils ont toujours eu la faveur d’une faible proportion de la population, très scolarisée. Or, la scolarisation augmente. On devrait donc observer une hausse de la clientèle. Ce n’est pas exactement ce qui se produit.»

On assiste plutôt, selon M. Colbert, à une segmentation de la clientèle. À Montréal, on compte approximativement 11000 spectacles de scène par année, de celui de Céline Dion au centre Molson à l’adaptation de Dostoïevski au Théâtre de la Veillée. Cela exclut le cinéma, les musées, les salons du livre et autres activités qui ne se déroulent pas sur les planches. «Même avec un budget illimité et tout votre temps, il vous serait impossible de tout voir, par exemple, en théâtre.»

Résultat: les gens sélectionnent leurs sorties. Fini les abonnements à l’Opéra de Montréal ou au Théâtre du Nouveau Monde. Désormais, ce sera un peu de Grands Ballets canadiens, une soirée au Rideau vert et, s’il vous plaît, deux billets pour Notre-Dame-de-Paris. Le cocooning fait le reste.

Les plus courtisés dans les campagnes de publicité, actuellement, sont les baby-boomers. Démographiquement, ils forment une clientèle de choix. De plus, ce sont eux qui disposent du temps libre, de l’argent et de la curiosité nécessaires pour se rendre à la Place des arts ou à l’Usine C un soir de semaine. Or, ce public sort peu. «Toutes les études démontrent qu’il faut avoir assisté à des concerts et à des pièces de théâtre avant l’âge de 18 ans pour développer ce goût à un âge plus avancé. C’est peut-être là que ça cloche. Oui, il y a eu un boom culturel au Québec dans les années 70. Mais les baby-boomers ne semblent pas en avoir conservé un souvenir significatif.»

L’offre est-elle trop grande par rapport à la demande? François Colbert hésite, puis répond: «Sur le plan marketing, oui. Mais sur le plan culturel, il n’y a jamais trop d’offres.»

M.-R.S.