13%
des adolescents agressent leur mère
La
façon dont les parents gèrent la discipline et les conflits
permet de prédire lagressivité des adolescents
envers leur mère, selon Linda Pagani.
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Lauréate
dune bourse Carrière décernée
par le Conseil québécois de la recherche sociale,
la professeure Linda Pagani, de lÉcole de psychoéducation,
sintéresse tout particulièrement à
la lutte
contre la pauvreté et à lagressivité
des enfants. |
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Au Québec,
13% des adolescents agressent physiquement leur mère. Cela
va de la bousculade aux voies de fait et même aux attaques à
main armée. Voilà lune des conclusions de létude
effectuée par Linda Pagani, professeure à lÉcole
de psychoéducation et chercheuse affiliée au Groupe
de recherche sur linadaptation psychosociale chez lenfant
(GRIP).
À la question «Avez-vous agressé physiquement
votre mère au cours des six derniers mois?» 186 des 1412
enfants interrogés ont répondu oui. Ils lont bousculée,
lui ont donné des coups de poing ou des coups de pied, lui
ont lancé des objets et, parfois, lont même attaquée
avec une arme à feu.
«La nature des sévices correspond dans 85% des cas à
la description faite par les mères, souligne Linda Pagani.
Mais la majorité dentre elles tendent à minimiser
limportance du problème en prétextant lâge
et la période ingrate que les adolescents traversent. La dynamique
est semblable à celle quon retrouve dans le cas des femmes
battues par leur conjoint. Les enfants agressent leur mère,
mais elle les aime et les laisse faire.»
De plus, le degré de violence augmente avec le temps. Car la
relation parent-enfant se trouve de plus en plus compromise: la mère
se résigne à cette situation ou évite dexercer
son autorité afin de ne pas envenimer le conflit. De son côté,
lenfant croit que tout lui est dû et devient tyrannique.
«Les parents sont lautorité première à
qui revient la responsabilité de guider le développement
cognitif, affectif et comportemental de leurs enfants», rappelle
cette mère de deux bambins.
Origine: la petite enfance
Sa recherche montre lexistence dun lien entre la façon
dont les parents gèrent la discipline et les conflits et la
conduite à légard de la mère. Si les adultes
crient, insultent et lancent des jurons pour faire valoir leur autorité,
ladolescent aura tendance à adopter le même comportement;
sils ont recours à la punition corporelle (par exemple
une gifle), le jeune utilisera la même stratégie pour
exprimer sa colère, signale Linda Pagani.
Comment une relation peut-elle dégénérer à
ce point? Pour répondre, il faut remonter jusquà
la petite enfance. «Les changements de structure familiale qui
ont lieu lorsque lenfant est âgé de 5 à
15 ans augmentent le risque dagression physique contre les mères
[...]. En dautres termes, les jeunes qui ont expérimenté
le divorce de leurs parents risquent 2,5 fois plus dêtre
violents envers leur génitrice que ceux des foyers intacts,
peut-on lire dans un article soumis à une revue scientifique
internationale. Ce nest pas tant le divorce que la qualité
de la relation parent-enfant qui a un effet sur le comportement des
jeunes.»
Linda Pagani affirme également que les deux tiers des adolescents
âgés de 15 ans agressent verbalement leur mère.
Cette violence nest pas liée uniquement à des
tendances illicites chez les jeunes. Les parents sont à demi
responsables de ladoption et du maintien de comportements agressifs
chez ladolescent. Mais ce qui étonne, cest que
cette agressivité est principalement dirigée contre
la mère. Selon la psychologue, qui a travaillé 10 ans
en milieu psychiatrique avant de devenir professeure, le phénomène
sexplique en partie par le fait que ce sont, encore de nos jours,
davantage les femmes qui veillent à léducation
des enfants.
En collaboration avec des collègues du GRIP (Denis Larocque,
Richard E. Tremblay, Frank Vitaro et Daniel Pelletier), les travaux
de
la professeure Pagani ont été menés auprès
dune cohorte de 725 filles et de 687 garçons de diverses
régions du Québec. Il sagit dun sous-échantillon
dune étude provinciale et longitudinale sur la délinquance
de Richard E. Tremblay, directeur du GRIP, qui réunit plus
de 3000 enfants.
La scolarité engendre-t-elle la violence?
Lidée que la violence domestique est plus répandue
dans les familles défavorisées est-elle surestimée?
«La pauvreté est reliée à un ensemble de
facteurs, répond Linda Pagani. Ce sont ces facteurs, comme
la toxicomanie, lalcoolisme, les conflits conjugaux, les comportements
antisociaux des parents, les troubles psychiatriques et la scolarité
de la mère, qui jouent un rôle dans lagressivité
des enfants envers leur mère.»
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Dans
cet ouvrage (Cambridge University Press), codirigé avec
le psychiatre Georges-Franck Pinard, la psychologue Linda Pagani
traite de la relation entre les comportements violents et les
troubles psychiatriques. |
Daprès
Mme Pagani, codirectrice de louvrage Clinical Assessment
of Dangerousness, les variables les plus fortement associées
à lagressivité verbale à lendroit
de la mère ont trait à la façon dont les parents
règlent les conflits avec les adolescents, à la toxicomanie
des adolescents et aux pratiques éducatives parentales. Ce
dernier point est représenté par la supervision, les
sanctions et les règles.
«Cette dimension semble particulièrement se démarquer
dans le cas de lagressivité physique envers la mère,
observe la psychologue. Mais il ny a pas que les méthodes
structurantes de la relation parent-adolescent qui jouent un rôle.
Les comportements antisociaux des parents (par exemple la toxicomanie)
et la présence de troubles psychiatriques chez la mère
permettent aussi de prédire lagressivité physique
des enfants à son égard.»
Autre résultat plutôt étonnant: les filles qui
ont une mère plus scolarisée que la moyenne risquent
davantage de lagresser verbalement que les enfants (garçons
et filles) dont la mère a un plus bas niveau dinstruction.
Cela peut sembler apparemment paradoxal, exprime Mme Pagani, mais
sexplique.
Son hypothèse met en cause le fait que les femmes plus scolarisées
entreprennent souvent des carrières exigeantes. Lorsque maman
travaille beaucoup, cest la fille qui prend habituellement la
relève pour accomplir les tâches domestiques, dit-elle.
Ladolescente peut alors éprouver du ressentiment envers
cette femme dont la carrière la contraint à assumer
une grande partie des corvées ménagères. Cette
dynamique permet de mieux comprendre linteraction entre le sexe
de lenfant, le niveau de scolarité de la mère
et lagressivité verbale envers elle, signale Mme Pagani.
Elle suggère un meilleur partage des tâches domestiques
entre les sexes et les enfants.
Cest la position que la professeure a récemment soutenue
au cours dune conférence présentée à
Stockholm. Dans la salle, les chercheurs étaient ahuris. «Je
les comprends, affirme-t-elle. Ma réaction a été
la même lorsque jai analysé les résultats
statistiques. Javais limpression dêtre une
archéologue qui découvre un spécimen rare.»
Ce nest pourtant pas la première fois que la chercheuse
observe le phénomène. Une autre étude effectuée
il y a quatre ans révélait des données semblables.
«Je les ai gardées secrètes, car léchantillon
était restreint. Cette fois, je suis certaine de la corrélation.»
Dominique
Nancy