Volume 35 numéro 13
27 novembre
2000


 


Expérimenter le commerce électronique
Les laboratoires universitaires Bell mènent des expériences avec cobayes

Dans l’ordre habituel, Alan Bernardi, Michel Gendreau et Myriam Bouroche, qui dirigent les laboratoires
universitaires Bell. Un budget de 12 M$ de l’entreprise a permis de créer une salle d’économie expérimentale unique au Canada et un laboratoire multimédia.

Au 25e étage d’un immeuble du centre-ville de Montréal, on pénètre dans l’un des deux laboratoires universitaires Bell (LUB). Sur un comptoir près duquel sont disposés d’invitants fauteuils repose une machine à espresso. Dès le premier coup d’oeil, on est séduit par les lignes courbes des divisions, la moquette de qualité et la forêt d’immeubles en fond de scène. Tout ça pourrait figurer dans un magazine branché, genre Vogue ou GQ. Non, nous sommes bel et bien dans un local universitaire: le Laboratoire de commerce électronique et d’économie expérimentale.

«Le lieu de travail que vous voyez a été aménagé grâce à une entente signée il y a deux ans par le Réseau de calcul et de modélisation mathématique [RCM2] avec Bell Canada d’une valeur de 12 M$ sur trois ans, explique Michel Gendreau, directeur général des LUB. Nous avons pour tâche de créer des innovations dans la recherche et l’application du multimédia et de promouvoir la formation d’une main-d’oeuvre de calibre international.»

M. Gendreau, également directeur du Centre de recherche sur les transports, mène des travaux dans ce laboratoire (voir l’encadré) et dans l’autre LUB non moins somptueux mais situé dans le Pavillon principal de l’Université de Montréal. Des dizaines de chercheurs et d’étudiants sont associés à ces laboratoires. Le RCM2 lui-même réunit des collaborateurs venant des quatre universités montréalaises (incluant leurs écoles affiliées), de l’Université Laval et de l’étranger. «Bell a décidé de se lancer en grand dans la recherche universitaire, explique M. Gendreau. Un laboratoire comme celui-ci, au 2020 University, est unique au Canada et il n’en existe qu’une demi-douzaine dans le monde.»


Recherche appliquée en vedette

La participation financière de l’entreprise de télécommunication fait que la recherche appliquée est fortement privilégiée dans les LUB, mais on travaille aussi sur plusieurs projets de recherche fondamentale, soutient M. Gendreau. «La plupart des problèmes reliés aux transactions classiques sont résolus, explique-t-il. Mais de nouvelles formes d’enchères combinatoires font leur apparition et posent d’intéressants défis aux chercheurs.»

Qu’est-ce qu’une enchère combinatoire? Imaginons par exemple un camionneur qui souhaite rentabiliser son voyage Montréal-Chicoutimi. Ses frais de production font qu’il refusera vraisemblablement le contrat si, au retour, son camion est vide. S’il pouvait concilier des segments de route (Jonquière-Québec, puis Sainte-Foy–Longueuil) afin de rentabiliser l’opération, il ferait un profit intéressant.

Sous son apparente simplicité, ce genre de calculs est de plus en plus exigeant à mesure que des variables s’ajoutent. On peut prendre l’exemple de l’aiguillage des trains dans les réseaux asiatiques ou européens, ou n’importe quel système de transport en commun.

Dans le secteur manufacturier ou dans celui des services, les experts ont beaucoup à apprendre avant d’exploiter à sa juste valeur le commerce électronique. «Les enchères électroniques sont une voie inattendue de transactions, explique Alan Bernardi, directeur général des innovations technologiques chez Bell Canada et prêté à temps plein aux LUB. Et cela peut être très rentable.»


De 15 à 20% d’économie

Les appels d’offres, par exemple, peuvent engendrer des économies substantielles pour le client. Ainsi une municipalité qui désire attribuer un lucratif contrat d’entretien invite les fournisseurs à lui faire des offres. Celles-ci arrivent dans des enveloppes scellées, et l’on embauche le plus bas soumissionnaire. Par la voie du commerce électronique, un fournisseur pourrait connaître les offres concurrentes avant de présenter la sienne. Résultat: le prix du plus bas soumissionnaire est diminué. «On a noté des économies de 15 à 20% pour le client, selon des études. Pour une ville comme Montréal, cela signifie des millions de dollars», signale M. Gendreau.
La directrice administrative des LUB, Myriam Bouroche, explique que les projets de recherche ne manquent pas depuis que le Laboratoire de commerce électronique et d’économie expérimentale a ouvert ses portes au centre-ville en avril dernier. «Le partenariat entre l’université et les entreprises permet d’accomplir des percées technologiques majeures tout en contribuant à la formation de la main-d’oeuvre», dit-elle.

Avec MM. Gendreau et Bernardi, Mme Bouroche fait partie du bureau de direction des LUB et siège au comité de gestion. Celui-ci est responsable d’un budget de 5,6 M$ consacré à la recherche, de 1,6 M$ pour les infrastructures et de 1 M$ pour l’administration. Par ailleurs, avec un budget de 4 M$, ce comité doit nommer les titulaires de huit chaires en commerce électronique: trois à l’Université de Montréal et ses écoles affiliées, autant à l’Université McGill, une à l’Université Laval et une à l’UQAM.

Récemment, le président du RCM2, Jacques Hurtubise, a obtenu la participation de la Fondation canadienne pour l’innovation et du ministère de l’Éducation du Québec en vue de démarrer un projet aux LUB. Avec la contribution des partenaires du secteur privé, son budget s’élève à près de 2 M$.

Mathieu-Robert Sauvé


Forum est en business
Notre reporter remporte 44,50$ à la suite d’une série d’appels d’offres.

«Avec mes frais de production élevés, impossible d’être concurrentiel! Ce contrat va encore m’échapper...»

Le fournisseur U-16, incarné par le représentant de Forum venu incognito, fulmine. Heureusement, après trois heures de négociations laborieuses, alors que ses revenus fondent comme neige au soleil, il respire: une transaction lui permet de gagner d’un coup 59 UME (unités monétaires expérimentales).

Nous sommes dans la salle d’économie expérimentale des laboratoires universitaires Bell. Les 18 «cobayes» qui ont pris place à leur poste de travail individualisé engagent dans des appels d’offres ou des enchères un budget bien réel (1 UME vaut 0,40$) et prennent leur travail au sérieux. Chacun pour soi. Au plus fort la poche.

À l’issue de la séance, les participants comptent leurs gains. Au moment de passer à la caisse, les UME sont changées en argent comptant. Au cours de l’expérience du 29 novembre dernier, le plus performant (une redoutable femme d’affaires) s’en est tiré avec 133$. Le plus mauvais n’a gagné que 5$. Heureusement, on efface les déficits de sorte qu’aucun participant n’est facturé à la sortie. Quant au reporter de Forum, il s’est placé dans la moyenne avec un revenu de 44,50$.

«Le montant que touche le participant est une compensation de recherche, explique Michel Gendreau, qui dirige cette étude sur les nouveaux marchés électroniques avec Jacques Robert, du Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO). L’objectif de ce projet est de construire et d’expérimenter un ensemble de services articulés autour d’une place de marché ouverte. Une attention particulière est accordée à la modélisation des processus de négociations et de transactions d’affaires interfirmes.»

En effet, les premières transactions sont relativement simples. Puis, les fournisseurs apprennent à jouer du coude afin de s’en tirer avec la grosse part du gâteau. La compétition devient palpable lorsqu’un nouveau service est offert. Pour une ou deux UME, le fournisseur peut connaître les frais de production de son plus sérieux concurrent.

Espionnage industriel? Veille technologique? En tout cas, ça peut être payant. Pour le reporter de Forum, ce service a permis de renflouer in extremis les coffres de l’entreprise. Pas de mises à pied pour Noël.

M.-R.S.


La somme a été versée à la campagne des paniers de Noël.