Lapprentissage
de la démocratie
Comment
faire prendre conscience à une population quelle peut
changer la façon dont elle est gouvernée
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Depuis
15 ans, le politologue Louis Massicotte a pris part à
une dizaine de missions exploratoires et dobservation
délections à Haïti, en Tchécoslovaquie
et dans plusieurs pays africains. |
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Situé entre
le Togo et le Nigeria, le Bénin a tenu ses premières
élections libres en 1991. Le processus était plutôt
laborieux: une pile de bulletins de couleurs différentes pour
chacun des 15 candidats! Chaque électeur devait prendre 15
bulletins, inclure celui de son choix dans une enveloppe et jeter
les autres dans une corbeille placée à la vue de tous.
Au second tour de scrutin, les électeurs avaient le choix entre
deux candidats. Par conséquent, les bulletins rejetés
donnaient rapidement une bonne idée du vainqueur potentiel.
Sur les conseils de léquipe dobservateurs de lélection,
les dirigeants du scrutin ont produit un seul bulletin pour les 15
candidats
et troqué la corbeille contre la poche de jute!
«Une façon dallier la tradition et la recommandation.
Sur la question du principe, cétait fondamental»,
relate Louis Massicotte, professeur au Département de science
politique.
Depuis 15 ans, le politologue a pris part à une dizaine de
missions exploratoires et dobservation délections
à Haïti, en Tchécoslovaquie (avant la scission
entre la République tchèque et la Slovaquie), en Roumanie,
au Bénin, à Madagascar, au Gabon, au Liberia, au Zaïre,
en Guinée, au Cameroun, au Burundi et au Burkina Faso. Dans
ce dernier cas, il a dirigé la mission dobservation canadienne.
M. Massicotte a également assisté aux conventions constitutionnelles
de 1991 et de 1999 au Mali. Ces séjours se déroulaient
pour le compte des Nations Unies, de lInternational Foundation
for Electoral Systems (organisation établie à Washington),
du gouvernement du Canada ou pour lAgence de la Francophonie,
lex-Agence de coopération culturelle et technique.
Les missions exploratoires
Lorsquun pays veut organiser des élections, il demande
une aide financière à la communauté internationale.
Quand un ou plusieurs pays y consentent, ceux-ci veulent quand même
savoir de quoi il retourne, surtout sur le plan technique. Ils envoient
alors des délégués. «Nous devons déterminer
si lélection est équitable et si elle nest
pas truquée», indique le spécialiste. Après
avoir rencontré le ministre responsable de lélection
et les responsables du scrutin, les membres de la mission obtiennent
les textes de la constitution du pays et de la loi électorale.
Cette démarche sappuie sur un sérieux travail
préparatoire de recherche sur le pays, ses dirigeants et sa
conjoncture politique.
La mission exploratoire vise aussi à conseiller le gouvernement
en place. «Il y a des normes internationales à respecter.
La méthode de scrutin doit garantir le vote secret, notamment
pour ceux et celles exposés à de possibles représailles.
Toutefois, nous ne nous engageons pas sur un vote proportionnel ni
majoritaire», signale M. Massicotte. Laide au développement
démocratique a pris une tournure différente depuis la
fin des années 80. «Auparavant, les Africains disaient
aux Occidentaux: Payez, mais ne vous mêlez pas des élections.
En retour, nous serons vos alliés sur la scène internationale.»
Si les Occidentaux se faisaient tirer loreille, les Africains
menaçaient alors de se tourner vers les Soviétiques.
Léclatement de lURSS a changé le rapport
de force: lOccident est désormais le seul interlocuteur.
Celui-ci a changé dattitude: il finance la tenue délections,
mais à certaines conditions.
Observation délections
Observer le déroulement de lélection constitue
létape suivante de la mission exploratoire. Le nombre
dobservateurs varie selon le financement consenti. Depuis quelques
années, les membres des missions dobservation forment
des Africains aux techniques de lobservation électorale.
Louis Massicotte rappelle que le continent na pas de démocratie
pluraliste. Avant 1946, les colonialistes français ne tenaient
pas délections. Par la suite, les Blancs, en nette minorité,
faisaient quand même élire 40% des députés
alors que le reste de la population, à majorité noire,
élisait lautre partie de la députation. «Vers
la fin des années 50, les hommes forts se sont imposés.
Les racines sont encore très fragiles. Lencouragement
international devient alors important.»
LAfrique et Haïti
Si Louis Massicotte parle de lEurope de lEst comme du
siège des grands succès démocratiques de la décennie
1990-2000, il déplore, par contre, la situation à Haïti.
En 1986, il a fait partie dune mission exploratoire. «Jai
passé une semaine à Port-au-Prince. Notre rapport mettait
bien le gouvernement en garde quant à la tenue délections.»
Un an plus tard, les duvaliéristes tiraient sur la population
qui se rendait aux urnes. «Cest le grand échec
de la communauté internationale, un des cas les plus désespérants.
Ce nest pas la faute de la population, seule lirresponsabilité
des élites est en cause.»
En ce qui concerne le continent africain, Louis Massicotte avoue que
la région forme une entité aux multiples facettes. Le
processus électoral a bien réussi au Bénin et
au Mali. «Nous avons fait comprendre aux Maliens quils
ont quelque chose à dire sur la façon dont ils sont
gouvernés.» Les succès sont cependant plus mitigés
dans dautres pays. «Lalternance démocratique
en Afrique est plus complexe quailleurs. Chez ces populations,
perdre le pouvoir politique, cest risquer de perdre sa vie et
ses biens. La politique africaine est souvent liée à
la violence.» Le professeur sinscrit par ailleurs en faux
contre laffirmation voulant que les Africains ne puissent pas
mener leurs propres affaires électorales. «Ils en sont
tout à fait capables quand il y a une volonté politique.»
Anecdotes
En 1991, léquipe dobservateurs envoyée au
Mali avait fait la connaissance du commandant Lamine Diabira, ministre
de lIntérieur et ami personnel du président. Homme
jovial, souriant et charmant avec la gent féminine, il avait
été un hôte parfait. Quelle ne fut pas la surprise
de Louis Massicotte dapprendre, à son retour au Canada,
que le président malien avait échappé à
une embuscade à laéroport. Lauteur du putsch
manqué nétait autre que le commandant Diabira!
Autre anecdote: au cours dune mission dobservation délections
au Bénin, un collègue de Louis Massicotte sétait
rendu à Parakou, une région agitée. En faisant
le décompte des votes, dans une salle fermée dont les
fenêtres étaient restées ouvertes, lobservateur
a senti un tumulte à lextérieur. Le groupe a commencé
à crier et à proférer des menaces. Puis, quelquun
a lancé que personne ne sortirait vivant de lendroit
sauf lEuropéen! «Les gros mots ne correspondent
pas nécessairement aux actions!» se rappelle en riant
le professeur.
Depuis la fin des années 80, le nombre de pays qui ont tenu
des élections a doublé. «Les élections
ne règlent pas tout, mais il y a moins doppression et
moins darbitraire, observe M. Massicotte. Et les gens peuvent
aspirer à une vie plus intéressante et plus libre. On
reproche parfois aux observateurs de ne pas tout savoir et nous le
reconnaissons. Mais nous nous efforçons de mettre au point
des techniques, notamment par des visites impromptues.»
Marie-Josée
Boucher
Collaboration spéciale
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