Volume 35 numéro 13
27 novembre
2000


 


L’apprentissage de la démocratie
Comment faire prendre conscience à une population qu’elle peut changer la façon dont elle est gouvernée

Depuis 15 ans, le politologue Louis Massicotte a pris part à une dizaine de missions exploratoires et d’observation d’élections à Haïti, en Tchécoslovaquie et dans plusieurs pays africains.

Situé entre le Togo et le Nigeria, le Bénin a tenu ses premières élections libres en 1991. Le processus était plutôt laborieux: une pile de bulletins de couleurs différentes pour chacun des 15 candidats! Chaque électeur devait prendre 15 bulletins, inclure celui de son choix dans une enveloppe et jeter les autres dans une corbeille placée à la vue de tous. Au second tour de scrutin, les électeurs avaient le choix entre deux candidats. Par conséquent, les bulletins rejetés donnaient rapidement une bonne idée du vainqueur potentiel.

Sur les conseils de l’équipe d’observateurs de l’élection, les dirigeants du scrutin ont produit un seul bulletin pour les 15 candidats… et troqué la corbeille contre la poche de jute! «Une façon d’allier la tradition et la recommandation. Sur la question du principe, c’était fondamental», relate Louis Massicotte, professeur au Département de science politique.

Depuis 15 ans, le politologue a pris part à une dizaine de missions exploratoires et d’observation d’élections à Haïti, en Tchécoslovaquie (avant la scission entre la République tchèque et la Slovaquie), en Roumanie, au Bénin, à Madagascar, au Gabon, au Liberia, au Zaïre, en Guinée, au Cameroun, au Burundi et au Burkina Faso. Dans ce dernier cas, il a dirigé la mission d’observation canadienne. M. Massicotte a également assisté aux conventions constitutionnelles de 1991 et de 1999 au Mali. Ces séjours se déroulaient pour le compte des Nations Unies, de l’International Foundation for Electoral Systems (organisation établie à Washington), du gouvernement du Canada ou pour l’Agence de la Francophonie, l’ex-Agence de coopération culturelle et technique.


Les missions exploratoires

Lorsqu’un pays veut organiser des élections, il demande une aide financière à la communauté internationale. Quand un ou plusieurs pays y consentent, ceux-ci veulent quand même savoir de quoi il retourne, surtout sur le plan technique. Ils envoient alors des délégués. «Nous devons déterminer si l’élection est équitable et si elle n’est pas truquée», indique le spécialiste. Après avoir rencontré le ministre responsable de l’élection et les responsables du scrutin, les membres de la mission obtiennent les textes de la constitution du pays et de la loi électorale. Cette démarche s’appuie sur un sérieux travail préparatoire de recherche sur le pays, ses dirigeants et sa conjoncture politique.

La mission exploratoire vise aussi à conseiller le gouvernement en place. «Il y a des normes internationales à respecter. La méthode de scrutin doit garantir le vote secret, notamment pour ceux et celles exposés à de possibles représailles. Toutefois, nous ne nous engageons pas sur un vote proportionnel ni majoritaire», signale M. Massicotte. L’aide au développement démocratique a pris une tournure différente depuis la fin des années 80. «Auparavant, les Africains disaient aux Occidentaux: “Payez, mais ne vous mêlez pas des élections. En retour, nous serons vos alliés sur la scène internationale.”» Si les Occidentaux se faisaient tirer l’oreille, les Africains menaçaient alors de se tourner vers les Soviétiques. L’éclatement de l’URSS a changé le rapport de force: l’Occident est désormais le seul interlocuteur. Celui-ci a changé d’attitude: il finance la tenue d’élections, mais à certaines conditions.


Observation d’élections

Observer le déroulement de l’élection constitue l’étape suivante de la mission exploratoire. Le nombre d’observateurs varie selon le financement consenti. Depuis quelques années, les membres des missions d’observation forment des Africains aux techniques de l’observation électorale.

Louis Massicotte rappelle que le continent n’a pas de démocratie pluraliste. Avant 1946, les colonialistes français ne tenaient pas d’élections. Par la suite, les Blancs, en nette minorité, faisaient quand même élire 40% des députés alors que le reste de la population, à majorité noire, élisait l’autre partie de la députation. «Vers la fin des années 50, les hommes forts se sont imposés. Les racines sont encore très fragiles. L’encouragement international devient alors important.»


L’Afrique et Haïti

Si Louis Massicotte parle de l’Europe de l’Est comme du siège des grands succès démocratiques de la décennie 1990-2000, il déplore, par contre, la situation à Haïti. En 1986, il a fait partie d’une mission exploratoire. «J’ai passé une semaine à Port-au-Prince. Notre rapport mettait bien le gouvernement en garde quant à la tenue d’élections.» Un an plus tard, les duvaliéristes tiraient sur la population qui se rendait aux urnes. «C’est le grand échec de la communauté internationale, un des cas les plus désespérants. Ce n’est pas la faute de la population, seule l’irresponsabilité des élites est en cause.»

En ce qui concerne le continent africain, Louis Massicotte avoue que la région forme une entité aux multiples facettes. Le processus électoral a bien réussi au Bénin et au Mali. «Nous avons fait comprendre aux Maliens qu’ils ont quelque chose à dire sur la façon dont ils sont gouvernés.» Les succès sont cependant plus mitigés dans d’autres pays. «L’alternance démocratique en Afrique est plus complexe qu’ailleurs. Chez ces populations, perdre le pouvoir politique, c’est risquer de perdre sa vie et ses biens. La politique africaine est souvent liée à la violence.» Le professeur s’inscrit par ailleurs en faux contre l’affirmation voulant que les Africains ne puissent pas mener leurs propres affaires électorales. «Ils en sont tout à fait capables quand il y a une volonté politique.»


Anecdotes

En 1991, l’équipe d’observateurs envoyée au Mali avait fait la connaissance du commandant Lamine Diabira, ministre de l’Intérieur et ami personnel du président. Homme jovial, souriant et charmant avec la gent féminine, il avait été un hôte parfait. Quelle ne fut pas la surprise de Louis Massicotte d’apprendre, à son retour au Canada, que le président malien avait échappé à une embuscade à l’aéroport. L’auteur du putsch manqué n’était autre que le commandant Diabira!

Autre anecdote: au cours d’une mission d’observation d’élections au Bénin, un collègue de Louis Massicotte s’était rendu à Parakou, une région agitée. En faisant le décompte des votes, dans une salle fermée dont les fenêtres étaient restées ouvertes, l’observateur a senti un tumulte à l’extérieur. Le groupe a commencé à crier et à proférer des menaces. Puis, quelqu’un a lancé que personne ne sortirait vivant de l’endroit… sauf l’Européen! «Les gros mots ne correspondent pas nécessairement aux actions!» se rappelle en riant le professeur.

Depuis la fin des années 80, le nombre de pays qui ont tenu des élections a doublé. «Les élections ne règlent pas tout, mais il y a moins d’oppression et moins d’arbitraire, observe M. Massicotte. Et les gens peuvent aspirer à une vie plus intéressante et plus libre. On reproche parfois aux observateurs de ne pas tout savoir et nous le reconnaissons. Mais nous nous efforçons de mettre au point des techniques, notamment par des visites impromptues.»

Marie-Josée Boucher
Collaboration spéciale