Volume 35 numéro 12
20 novembre
2000


 


Les agriculteurs sont-ils prêts à faire face
au réchauffement climatique?

Des chercheurs évaluent si leurs stratégies d’investissement sont adaptées aux changements anticipés.

Pierre André, professeur au Département de géographie, et Soumaya Frej, agente de recherche

Depuis plusieurs années, des chercheurs du Département de géographie poursuivent divers travaux autour des impacts que pourraient avoir les changements climatiques sur l’agriculture québécoise. Un nouveau volet de ce programme de recherche vient d’être amorcé avec la mise en route d’une étude portant sur les stratégies d’investissement des agriculteurs.

«Nous voulons évaluer dans quelle mesure les façons de faire et les habitudes des producteurs agricoles pourraient être adaptées à la variabilité et aux changements climatiques anticipés», explique Pierre André, responsable du projet avec Christopher Bryant. Plus précisément, l’étude porte sur la dynamique de gestion des fermes maraîchères et céréalières en postulant que les stratégies de compétition, de mise en marché, d’investissement, d’adaptation, de modification des techniques utilisées et de diversification des espèces répondent à la fois aux contraintes du marché et aux conditions environnementales.

«Les modèles que nous pourrons tirer des stratégies employées depuis 10 ans et de celles envisagées pour les 10 prochaines années seront confrontés aux analyses que fourniront les experts à propos des changements climatiques afin de mesurer si ces stratégies sont les bonnes ou si les producteurs doivent rectifier le tir.»

Le défi est de taille puisque les chercheurs doivent opérer avec plusieurs inconnues, soit ce que seront véritablement les changements climatiques à court terme dans les zones de culture et l’effet qu’ils auront sur les espèces cultivées au Québec. Pour l’équipe de chercheurs, le réchauffement climatique ne fait toutefois pas de doute.

«Tous les climatologues conviennent que le réchauffement est une réalité même si les causes sont incertaines, poursuit Pierre André. Les manifestations peuvent être différentes selon les régions et dans certains endroits cela peut se traduire par une baisse des températures, une hausse des précipitations ou un accroissement des écarts en été comme en hiver.»

Partant de l’hypothèse d’un doublement de CO2 dans l’atmosphère entraînant une hausse des températures moyennes de trois degrés et une augmentation des précipitations de 5 % en été et de 15 % en hiver, un des membres de l’équipe, Bhawan Singh, a déjà mesuré les effets que de tels changements auraient sur la culture de 16 plantes potagères et céréalières au Québec. Selon le scénario envisagé en 1995, le blé, l’orge, l’avoine, les pois verts, le soya et les tomates seraient les cultures qui souffriraient le plus des changements anticipés. En revanche, le maïs, le sorgho, le tabac, la pomme de terre et le tournesol en bénéficieraient.

Même si ces effets sont de mieux en mieux connus et continuellement mis à jour, une recherche menée par Pierre André il y a deux ans a montré que les agriculteurs se préoccupent peu de cette problématique. «Les producteurs sont davantage soucieux des conditions immédiates du marché que de l’effet de serre, constate le chercheur. Mais comme ils doivent s’adapter aux conditions sans cesse changeantes du marché en variant les cultivars, ils font preuve d’une polyvalence qui pourrait favoriser l’adaptation aux changements climatiques.»

Soumaya Frej, agente de recherche au Département de géographie, aura pour fonction de confronter les données des études précédentes avec les scénarios de stratégie industrielle auxquels recourent les agriculteurs.

Pour la présente phase du programme de recherche, des entrevues seront effectuées auprès d’une trentaine de producteurs agricoles du sud-ouest de Montréal qui participeront à des groupes de discussion au côté de climatologues, d’experts en agriculture, d’assureurs et d’ONG.

Daniel Baril