Volume
35
numéro 12
20 novembre 2000
|
|
|
Lire,
une affaire de plaisir
La
formation des lecteurs est une préoccupation pour les chercheurs
du CETUQ, fait valoir la professeure Micheline Cambron.
|
Micheline
Cambron a dirigé un essai en lice pour les prix annuels
de lAcadémie des lettres du Québec:
Le journal Le Canadien. Littérature, espace public
et utopie, 1836-1845, paru en 1999 aux Éditions Fides.
|
|
«Le milieu
collégial et le milieu universitaire doivent se rapprocher,
dit la directrice du Centre détudes québécoises
(CETUQ), Micheline Cambron. Trop souvent, nous sommes étrangers
lun à lautre alors que notre souci est le même:
former des lecteurs.» Cest dans cette optique que le séminaire
dété «Enseigner la littérature au
cégep» a été créé. Le dernier
numéro des Cahiers de recherche du CETUQ témoigne
des discours et discussions qui ont eu lieu au cours de cette rencontre
(voir ci-dessous).
Les dernières statistiques concernant le taux de lecture des
Québécois expriment lurgence dune profonde
réflexion à propos de la formation des lecteurs: près
de la moitié de la population du Québec ne lit jamais
ou que très rarement. Mais ce sont les limites inhérentes
à lenseignement actuel de la littérature au cégep
qui inquiètent davantage la professeure du Département
détudes françaises. À son avis, lapproche
pédagogique du ministère de lÉducation
mine le plaisir de lire.
La période où le contact avec la littérature
est la plus déterminante est au primaire, dit-elle. Car le
profit de la lecture se trouve lié au développement
de la personnalité. Au collégial, létudiant
réalise ce que la littérature peut lui apporter sur
le plan intellectuel et social. Cela est essentiel pour créer
des habitudes de lecture.
Mais encore faut-il que les outils danalyse ne sinterposent
pas entre le lecteur et luvre, fait remarquer la spécialiste
de la littérature québécoise des 19e et 20e siècles.
«Les outils sont nécessaires pour apprendre aux élèves
comment saisir la structure dun texte, mais lacte de lecture
doit être un geste libre et les outils de lecture ne doivent
pas entraver cette liberté».
Technicisation de la lecture littéraire
Dans la foulée de la réforme de lenseignement
collégial, qui impose aux enseignants une approche basée
sur la notion de compétence, la dynamique de lenseignement
de la littérature a bien changé. Cela nest pas
sans effet sur les conditions denseignement de la littérature,
souligne dans son texte Marcel Goulet, professeur au collège
Édouard-Montpetit.
Il déplore notamment la mise en place dune pédagogie
quil nomme «de nécessité». Ainsi,
afin doutiller le mieux possible ses élèves pour
réussir lépreuve ministérielle, lenseignant
sélectionne les uvres à étudier en fonction
des procédés littéraires facilement reconnaissables.
La capacité des uvres à susciter des émotions
et des questionnements ou à transmettre des connaissances historiques
et culturelles représente un critère secondaire.
Il y a pire encore. Cet apprentissage littéraire laisse peu
de place au plaisir de lire. Car le rapport des élèves
avec la littérature est réduit à des exercices
de classement et de repérage. Une telle pratique de la lecture,
contre laquelle sinsurge lauteur français Daniel
Pennac dans son livre Comme un roman, conduit à la mécanisation
dun savoir-faire et empêcherait lappropriation des
uvres.
Mettre les «classiques de lheure» à lhonneur?
Lenseignement de la littérature devrait-il davantage
sancrer dans la réalité? Pourquoi pas, disent
certains professeurs qui refusent dadhérer à la
pratique officielle. «Leur discours contestataire, qui se réclame
entre autres de Daniel Pennac et de ses idées, repose sur la
conviction que les élèves se leurrent quand ils soutiennent
quils naiment pas lire, indique M. Goulet. Ce nest
pas avec la lecture quils seraient brouillés, mais plutôt
avec sa pratique institutionnalisée; ce nest pas aux
livres quils seraient réfractaires, mais plutôt
aux livres quon leur commande de lire et de commenter.»
Selon Micheline Cambron, ce discours met en lumière certaines
lacunes de lapproche de lenseignement préconisée
par le ministère de lÉducation, mais le fait de
réfléchir sur une uvre ne tue pas nécessairement
le goût de lire. Pour créer des habitudes de lecture,
il semble toutefois préférable daborder la pédagogie
avec des yeux de littéraire plutôt que de favoriser un
apprentissage purement technique de la langue et de la littérature.
«Il faut sinterroger sur la façon dont les outils
danalyse peuvent être mis au service dune conception
de la littérature selon laquelle la lecture duvres
littéraires contribue à la formation dêtres
libres et imaginatifs», estime-t-elle.
On peut choisir des livres en fonction du plaisir quils procurent.
Cela rassure les apprentis lecteurs et contribue au développement
dune meilleure compréhension deux-mêmes,
observe Mme Cambron. Il y a cependant des limites à ne sen
tenir quà ce type de lecture: de grands pans de la littérature
sont notamment négligés. Pour la professeure, qui prend
beaucoup de plaisir à relire Jacques le Fataliste et son
maître, de Diderot, une réflexion simpose sur
les différents genres de lectures valorisées dans notre
société:
«Lire les grands classiques de lheure, selon
lexpression du professeur Jean Larose, nest pas du tout
indigne, mais cela détourne lexpérience littéraire
de son objectif premier en ramenant luvre lue sous la
coupe de lexpérience du lecteur. Les auteurs des classiques
dautrefois comme Diderot, Camus ou Rimbaud peuvent sans
doute dépayser le lecteur, mais ils favorisent une plus grande
ouverture à la culture et au monde.»
Dominique
Nancy
Quelques
activités du CETUQ
«Quest-ce
qui distingue la lecture autobiographique dune autre plus technique?
Quelle place faut-il accorder aux livres québécois dans
lenseignement de la littérature? Faut-il enseigner les
classiques? Ce sont des questions relativement importantes, encore peu
étudiées, qui permettront de mieux éclairer ce
que doit être la formation des lecteurs», affirme Micheline
Cambron, directrice du Centre détudes québécoises
(CETUQ).
Le séminaire «Enseigner la littérature au cégep»,
mis sur pied en juin 1999 par des membres du CETUQ, Micheline Cambron
et Élisabeth Nardout-Lafarge, pour examiner ces questions, a
suscité un si grand enthousiasme que le Département détudes
françaises a décidé dintégrer ce cours
dété à son programme officiel. Un deuxième
séminaire intitulé «Former des lecteurs» sest
déroulé au Département le printemps dernier.
Les Cahiers de recherche, publiés sous la responsabilité
du CETUQ, veulent rendre compte des réflexions et analyses présentées
dans les séminaires dété. La collection,
qui existe depuis une dizaine dannées, comprend également
des recherches, des bibliographies, des index ou autres types de travaux
analogues sur la littérature québécoise.
Au nombre de deux ou trois par année, les Cahiers sont
envoyés dans les centres de recherche en littérature québécoise,
dans les bibliothèques universitaires du Québec et aux
chercheurs qui, partout dans le monde, collaborent avec le CETUQ. «Il
est essentiel pour le développement de la recherche de faire
circuler linformation, affirme la professeure Cambron. Ainsi,
malgré leur petit tirage (environ 150 copies), les textes publiés
dans les Cahiers sont très cités dans les articles scientifiques,
fait-elle valoir. Selon la demande, certains numéros sont réédités.»
La directrice tient à signaler que les travaux du dernier séminaire
seront disponibles au printemps 2001. On peut se procurer le numéro
Enseigner la littérature au cégep au coût
de 5 $ en communiquant avec le CETUQ à ladresse électronique
suivante: cetuq@ere.umontreal.ca.
D.N.
|