Volume 35 numéro 12
20 novembre 2000


 


La Chaire industrielle Essilor s’attaquera à la presbytie
L’École d’optométrie, qui fête son 75e anniversaire, aura aussi un laboratoire d’imagerie virtuelle.

La première chaire industrielle de l’École d’optométrie portera
le nom de son commanditaire, Essilor, et c’est Jocelyn Faubert
qui en sera le titulaire.

Tous ceux qui portent des lunettes savent que leur vision est moins bonne à la périphérie des lentilles. Une observation attentive montre que les droites deviennent courbées aux extrémités et que les objets mouvants se déforment. Les verres peuvent causer, à l’occasion, une collision sans gravité avec l’encadrement de la porte ou un faux pas au bas d’un escalier.

Mais ce phénomène pourrait aussi occasionner aux gens qui portent des lunettes leur prochain accident d’automobile… Les angles morts, ça ne pardonne pas.

«La presbytie est due à un changement irréversible du cristallin et frappe la quasi-totalité des gens de 50 ans et plus, explique Jocelyn Faubert, chercheur à l’École d’optométrie. On imagine facilement qu’une découverte permettant de l’atténuer aurait des applications intéressantes.»

M. Faubert est un jeune «Gretszky» de la recherche. En plus de ses travaux financés par l’Institut de recherche en santé du Canada (IRSC, anciennement Conseil de recherches médicales) et par le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie (CRSNG), ce lauréat du Prix du scientifique de l’IRSC vient de se voir octroyer la première chaire industrielle de la société française Essilor, dotée d’un fonds de un million de dollars sur cinq ans (dont la moitié financée par le CRSNG).


Marché: l’Occident

Comme le dit le chercheur, l’amélioration des lunettes traditionnelles ou à foyer progressif (les lentilles cornéennes, déposées directement sur la cornée, ne provoquent pas ce phénomène de distorsion) pourrait toucher un marché gigantesque étant donné l’incidence de la presbytie et le vieillissement de la population. C’est une bonne partie de la population adulte occidentale qui constitue la clientèle potentielle. «La Chaire aura pour but de quantifier le phénomène et de modéliser les problèmes afin de proposer des suggestions à Essilor, qui est le plus grand fabricant de lentilles ophtalmiques au monde.»

En vertu d’une entente de transfert technologique, l’entreprise reconnaîtra des droits à l’Université de Montréal si des brevets sont déposés dans le cadre des travaux du Laboratoire de recherche en perception et psychophysique visuelle.

M. Faubert a une certaine expérience dans le domaine puisqu’il a conçu il y a deux ans, en collaboration avec Vasile Diaconu, un appareil pouvant mesurer le taux sanguin par un simple examen de la rétine. Cet appareil, appelé «On-line spectroreflectometry oxygenation measurement in the eye» ou OSOME, est aujourd’hui en cours de commercialisation par la société Ophtalox, dont M. Faubert est président. L’invention avait été retenue parmi les 10 découvertes de l’année 1998 de la revue Québec Science (voir Forum du 18 janvier 1999).

Invité jusqu’au Japon pour donner des conférences sur la perception visuelle, Jocelyn Faubert a reçu plusieurs offres de l’entreprise privée. Il les a toutes déclinées. «Je suis un universitaire. J’aime bien la recherche appliquée, mais je ne vivrais pas sans recherche fondamentale. Ce qui m’anime, c’est le plaisir de découvrir des choses. Si elles trouvent leur application, tant mieux. Mais ce n’est pas le but premier.»


Un mini-IMAX en milieu universitaire

Comme une bonne nouvelle n’arrive jamais seule, la Fondation canadienne pour l’innovation a annoncé une subvention de 1,7 M$ pour financer la construction d’un laboratoire d’imagerie virtuelle au Pavillon 3744 Jean-Brillant. Le chercheur pourra y mener des expériences sur la perception visuelle en toute sécurité pour les sujets de recherche. «Dans ce laboratoire d’immersion virtuelle, nous pourrons simuler diverses situations. Ça pourra aller du pilotage d’une fusée dans l’espace à la conduite automobile. L’usage que nous en ferons tournera autour de l’amélioration des moyens destinés à remédier aux problèmes de la vision.»

Jocelyn Faubert expérimentera diverses pistes afin de mieux comprendre le système visuel humain, qui accapare une bonne partie des activités du cerveau. «Ce laboratoire d’imagerie virtuelle est comme un cinéma IMAX; il présente des images sur les murs et le plancher, explique-t-il. Le sujet est placé au milieu de l’enceinte et ses moindres mouvements font bouger l’image qu’il regarde. On peut aussi faire l’inverse: le sujet est immobile et les images lui donnent l’impression qu’il bouge.»

La construction de ce laboratoire débutera sous peu pour se poursuivre jusqu’à l’été 2001. «J’ai plusieurs projets. Certains ont pour thème la presbytie, mais d’autres porteront sur la dégénérescence maculaire et la correction optique. Ce laboratoire sera très occupé, croyez-moi.»

Ces bonnes nouvelles arrivent à point nommé pour l’École d’optométrie, qui célèbre cette année son 75e anniversaire. Pour l’occasion, le directeur de l’école, Pierre Simonet, remettra un doctorat honoris causa à un pionnier dans le domaine de l’optométrie au Canada, Jacob G. Sivak. Diplômé de l’Université de Montréal en 1967, M. Sivak a été, selon M. Simonet, «le premier optométriste canadien à entamer des travaux débordant le cadre clinique puisqu’il a mené des études sur la phylogenèse et la fonction optique de l’oeil».

La cérémonie de remise du doctorat honorifique aura lieu le 25 novembre prochain. M. Simonet souligne que M. Sivak, aujourd’hui doyen de la Faculté des études supérieures de l’Université de Waterloo, a dirigé plus de 50 étudiants aux cycles supérieurs, en plus de signer quelque 200 articles scientifiques. «Plus que quiconque, il aura contribué à la reconnaissance universitaire de l’optométrie», croit le directeur de l’École.

Mathieu-Robert Sauvé


Les borgnes sont-ils des dangers publics?

Les borgnes sont-ils des dangers publics? La question semble un peu drôle, comme ça, mais les gens qui voient d’un seul oeil ne peuvent pas percevoir la profondeur de la même façon qu’une personne qui dispose de ses deux yeux. Pour la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, cette question était assez importante pour justifier les coûts d’une recherche qu’elle a confiée à Jocelyn Faubert en 1992.

«La réponse est non, explique Jocelyn Faubert. Lorsqu’on a perdu l’usage d’un oeil, on développe un réflexe qui nous permet d’évaluer la profondeur avec une efficacité étonnante. Plutôt que d’analyser simultanément les images stéréoscopiques venant des deux yeux, le cerveau le fait alternativement. On nomme ce phénomène la “parallaxe de mouvement”.»

Cette recherche originale a fait son chemin. Au cours d’une conférence d’ingénieurs en optique qui s’est déroulée à Boston récemment, M. Faubert a appris que les conclusions de cette recherche avaient fait jurisprudence. «On m’a dit que des avocats américains ont utilisé mes données dans une cause concernant une personne monoculaire.»

C’est ce qu’on appelle de la recherche appliquée.

M.-R.S.