COURRIER
Les
sopranos
Quand on
choisit de poser sa candidature en tant quemployée* de
bureau à un poste à lUniversité de Montréal
et que lon consulte la liste dancienneté, on a
maintenant tendance à ne pas regarder avec fièvre à
quelle place on se situe sur cette liste. On tente plutôt de
repérer quelle candidate, faisant partie de la même unité
où lemploi est libre, le ou les supérieurs désirent
réellement à ce poste. Et lon sinterroge
sérieusement sur les moyens quils voudront employer pour
nous convaincre de laisser tomber si lon a la naïveté
ou le courage de quand même se rendre à lentrevue
dabord, pour ensuite «essayer» le travail.
Je voudrais ici parler de ces trop nombreux cas où, pleine
de bonne volonté et de coeur au ventre, une employée
accepte lun de ces postes alors quon fera tout pour la
dissuader dy demeurer.
Soit on vous reçoit alors avec des mines patibulaires, soit
on brandit des spectres: on vous dit connaître des périodes
infernales de travail, quil faudra parler quelques dialectes
et bien sûr quaucune formation nest donnée,
comme si vous alliez occuper là votre tout premier emploi.
On peut aussi vous présenter des tâches qui nont
rien à voir avec celles que vous auriez à accomplir
vraiment ou vous refiler les tâches les plus inintéressantes,
ou encore vous fournir un mobilier bancal, un crayon vidé de
sa mine ou vous installer coin toilettes ou passage genre rue Sainte-Catherine
à lheure de pointe. Vous devenez parfois le fantôme
du bureau, même si lHalloween est passée, car personne
ne sadressera à vous pour la moindre information. Et
puis, il faut parler de la «convoitée»: on vous
fait clairement sentir que vous êtes sur son terrain et que
ce terrain, on le lui laisse à 200%, donnant parfois à
cette «convoitée» le pouvoir des patrons, les vrais
étant occupés à des tâches plus urgentes
ou préférant jouer les courants dair.
Et là débute le jeu
ou le combat. Qui nen
est pas un au fait pour lemployée en «probation»,
qui sinstalle au poste dans le seul but de bien remplir ses
fonctions. Deux choix alors soffrent à lemployée:
comprendre vite le stratagème et filer à toutes jambes,
filer à toutes jambes et comprendre vite le stratagème.
De plus, si vous êtes allée jusquà vous
installer sur la chaise quon promet à la «convoitée»,
cest que vous êtes un peu folle ou alors que vous aimez
les défis, car ce nétait un secret pour personne,
on vous avait prévenue que Mme Unetelle était lélue.
Ne laviez-vous pas pressenti lorsquon vous a convoquée
pour ce poste, tentant de vous pousser en bas de la chaise sans vous
donner plus de deux secondes pour prendre votre décision?
Je ne fabule pas, de nombreuses fois se répète le scénario.
Je prête ma voix à toutes celles qui, comme moi, ont
subi un tel affront et pour toutes celles qui le subiront, car peut-on
espérer lanéantissement total de ce genre dintimidation
auquel tout le monde participe?
Bien sûr le débat peut souvrir si lon parle
dancienneté et de compétences. Dans ces cas-ci,
on ne peut parler de ce sujet, car ce nest pas de cette façon
que sest déroulée la procédure jusquà
ce jour. Alors pourquoi ne pas laisser la chance au coureur, laccueillir
dans un environnement harmonieux en lui offrant tout lessentiel
à laccomplissement des tâches et les deux parties
jugeront ensuite? Il y a encore des employées très efficaces
à lUniversité de Montréal, courageuses,
travaillantes, curieuses dapprendre, de découvrir et
qui ne rechignent pas devant une formation exigée. Pourquoi,
alors, voudrait-on leur claquer la porte au nez comme à de
sales indésirables?
Bien sûr, personne nest méchant, sauf le personnage
de la télé qui crie « Jsuis donc méchante!»
Personne ne ferait de mal à une mouche.
Voyons donc
« Les sopranos, ces mafiosi qui vous mettent le gun sur la tempe
pour vous faire changer didée en deux temps, trois mouvements»,
cest bien trop violent, des gens comme ça, on nest
pas dmême. Sauf que
la violence, ça se sert
aussi au compte-gouttes et sous des apparences trompeuses.
Jeanne
DArc Blais
Secrétaire de direction et auteure
Faculté des sciences de léducation
* Le féminin est employé parce que plus nombreuse est
la population féminine travaillant dans le secteur bureau.