Volume 35 numéro 11
13 novembre
2000




COURRIER

Les sopranos
Quand on choisit de poser sa candidature en tant qu’employée* de bureau à un poste à l’Université de Montréal et que l’on consulte la liste d’ancienneté, on a maintenant tendance à ne pas regarder avec fièvre à quelle place on se situe sur cette liste. On tente plutôt de repérer quelle candidate, faisant partie de la même unité où l’emploi est libre, le ou les supérieurs désirent réellement à ce poste. Et l’on s’interroge sérieusement sur les moyens qu’ils voudront employer pour nous convaincre de laisser tomber si l’on a la naïveté ou le courage de quand même se rendre à l’entrevue d’abord, pour ensuite «essayer» le travail.

Je voudrais ici parler de ces trop nombreux cas où, pleine de bonne volonté et de coeur au ventre, une employée accepte l’un de ces postes alors qu’on fera tout pour la dissuader d’y demeurer.

Soit on vous reçoit alors avec des mines patibulaires, soit on brandit des spectres: on vous dit connaître des périodes infernales de travail, qu’il faudra parler quelques dialectes et bien sûr qu’aucune formation n’est donnée, comme si vous alliez occuper là votre tout premier emploi. On peut aussi vous présenter des tâches qui n’ont rien à voir avec celles que vous auriez à accomplir vraiment ou vous refiler les tâches les plus inintéressantes, ou encore vous fournir un mobilier bancal, un crayon vidé de sa mine ou vous installer coin toilettes ou passage genre rue Sainte-Catherine à l’heure de pointe. Vous devenez parfois le fantôme du bureau, même si l’Halloween est passée, car personne ne s’adressera à vous pour la moindre information. Et puis, il faut parler de la «convoitée»: on vous fait clairement sentir que vous êtes sur son terrain et que ce terrain, on le lui laisse à 200%, donnant parfois à cette «convoitée» le pouvoir des patrons, les vrais étant occupés à des tâches plus urgentes ou préférant jouer les courants d’air.

Et là débute le jeu… ou le combat. Qui n’en est pas un au fait pour l’employée en «probation», qui s’installe au poste dans le seul but de bien remplir ses fonctions. Deux choix alors s’offrent à l’employée: comprendre vite le stratagème et filer à toutes jambes, filer à toutes jambes et comprendre vite le stratagème. De plus, si vous êtes allée jusqu’à vous installer sur la chaise qu’on promet à la «convoitée», c’est que vous êtes un peu folle ou alors que vous aimez les défis, car ce n’était un secret pour personne, on vous avait prévenue que Mme Unetelle était l’élue. Ne l’aviez-vous pas pressenti lorsqu’on vous a convoquée pour ce poste, tentant de vous pousser en bas de la chaise sans vous donner plus de deux secondes pour prendre votre décision?

Je ne fabule pas, de nombreuses fois se répète le scénario. Je prête ma voix à toutes celles qui, comme moi, ont subi un tel affront et pour toutes celles qui le subiront, car peut-on espérer l’anéantissement total de ce genre d’intimidation auquel tout le monde participe?

Bien sûr le débat peut s’ouvrir si l’on parle d’ancienneté et de compétences. Dans ces cas-ci, on ne peut parler de ce sujet, car ce n’est pas de cette façon que s’est déroulée la procédure jusqu’à ce jour. Alors pourquoi ne pas laisser la chance au coureur, l’accueillir dans un environnement harmonieux en lui offrant tout l’essentiel à l’accomplissement des tâches et les deux parties jugeront ensuite? Il y a encore des employées très efficaces à l’Université de Montréal, courageuses, travaillantes, curieuses d’apprendre, de découvrir et qui ne rechignent pas devant une formation exigée. Pourquoi, alors, voudrait-on leur claquer la porte au nez comme à de sales indésirables?

Bien sûr, personne n’est méchant, sauf le personnage de la télé qui crie « J’suis donc méchante!» Personne ne ferait de mal à une mouche.

Voyons donc…

« Les sopranos, ces mafiosi qui vous mettent le gun sur la tempe pour vous faire changer d’idée en deux temps, trois mouvements», c’est bien trop violent, des gens comme ça, on n’est pas d’même. Sauf que… la violence, ça se sert aussi au compte-gouttes et sous des apparences trompeuses.

Jeanne D’Arc Blais
Secrétaire de direction et auteure
Faculté des sciences de l’éducation


* Le féminin est employé parce que plus nombreuse est la population féminine travaillant dans le secteur bureau.