Il
y a des personnalités dysfonctionnelles parmi nous
En
milieu de travail, il faut savoir composer avec cette réalité,
selon Gérard Ouimet.
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Notre
société, basée
sur la performance, fabrique beaucoup de personnalités
narcissiques et histrioniques, selon
Gérard Ouimet, professeur de psychologie organisationnelle
aux HEC. |
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Personnalités
difficiles, dysfonctionnelles, voire pathologiques, la société
comprendrait, selon des études américaines, de 7 à
10% de personnes anxieuses, dépendantes, histrioniques, narcissiques,
obsessionnelles, paranoïaques, schizoïdes, etc., soit près
de une sur dix.
Si lon applique ce pourcentage à lUniversité
de Montréal, qui compte environ 7000 professeurs, chercheurs,
employés et chargés de cours, cest de 500 à
700 personnes quil sagit! Sans compter les étudiants
Citant dentrée de jeu le philosophe Michel Foucault,
qui disait quune société fabrique les fous quelle
mérite, Gérard Ouimet, professeur à lÉcole
des Hautes Études Commerciales, expliquait, le 1er novembre
dernier aux membres de lAssociation des cadres et professionnels
de lUniversité de Montréal (ACPUM), comment composer
avec ces personnalités difficiles en milieu de travail. Inutile
dessayer de la changer, la personnalité se rigidifie
avec lâge.
Pendant plus de trois heures, le psychologue et politologue sest
adressé unplugged et sans texte à un auditoire
de 200 personnes qui ont bu ses paroles comme du petit lait. M. Ouimet,
qui a déjà prononcé plus de 600 conférences,
a donné un véritable one man show, émaillant
son propos de nombreuses anecdotes, histoires et blagues et même
dimitations de Jean Drapeau et de Pierre Péladeau.
De lobéissance au narcissisme
Gérard Ouimet a dabord tracé à grands traits
lhistoire de la société québécoise
depuis le début du siècle, la divisant en deux tranches.
Dans la première moitié du siècle, «tu
nétais pas payé pour penser et tu contrôlais
tes pulsions. Cétait un système qui nous voulait
obéissants et frustrés. Mais ton intégrité
physique était préservée parce que tu pouvais
toujours dire: Cest la faute de mon père, de mon
boss, de lÉglise ou des Anglais.» Lestablishment
financier avait besoin de cette docilité dans une économie
basée sur les matières premières et la standardisation
des activités.
En 1960 arrivent les idéologues formés aux sciences
sociales dans les universités, le père Lévesque,
Trudeau, Marchand, René Lévesque et compagnie qui déclarent:
«Dans une société démocratique, lhomme,
avec un f, a aussi des droits.»
Suivent Mick Jagger, avec son «I can get no satisfaction»,
les courants de pensée orientale, Terre des Hommes, Woodstock.
Lindividu entre en introspection. «Commence alors le long
voyage intérieur pour découvrir le dieu qui sommeille
en soi
Par quatre chemins...» On largue «la famille,
lÉglise, le boss pour investir dans le Moi inc.».
Avec les années 70, linformatique explose. Léconomie
du savoir émerge des universités, devenues des banques
colossales dinformation, quelles communiquent, créent,
transmettent. On travaille désormais sur des idées.
Moi obèse et êtres téflon
«Mais lhomme qui sest découvert nest
pas intéressé à refouler», poursuit Gérard
Ouimet. Il veut se réaliser. Cest un cerveau. «Nous
sommes passés de lénergie musculaire à
lénergie neuronale, à lénergie du
dépassement.» Lhomme sélève
et séclate. Il veut devenir le number one et rien
dautre. «Le moi devient obèse, gonflé à
lhélium.» Cest lépoque des êtres
téflon et de lesprit olympique: on fait une dépression
nerveuse parce quon arrive deuxième.
«Depuis 30 ans, nous vivons une société de dépassement,
de lexcès et de records Guinness, constate le professeur.
Il nest pas étonnant quil y ait tant de détresse
chez nos jeunes. À 12 ans, je jouais aux billes et jécoutais
La ribouldingue.» Aujourdhui, les parents forcent
leurs enfants à écouter des émissions éducatives
dès lâge de 3 ans, ajoute-t-il en fredonnant lair
de Passe-Partout.
«On a créé des êtres démentiels,
une lignée narcissique. Cest lère du je,
me, moi et du après moi le déluge!»
Les vieux baby-boomers qui se sont fait dire toute leur vie quils
ne pouvaient pas avoir le beurre et largent du beurre et qu«un
tiens vaut mieux que deux tu lauras» ont de la difficulté
à traiter avec des baby-busters qui exigent tout et
tout de suite. «Nous sommes passés de lorgasme
indéfiniment différé dans le temps au Jouis
tout de suite et tu paieras en 2018.»
Quand ces jeunes arrivent sur le marché du travail, cest
souvent le choc parce que «si tu ne livres pas on te donne ton
quatre pour cent». Ils vivent alors leur premier deuil comme
une blessure narcissique profonde.
Du normal au pathologique
Quand un comportement passe-t-il du normal au pathologique? Lorsquil
est inapproprié à la situation, répétitif
et sans nuances, explique Gérard Ouimet. Il dénote une
difficulté de lindividu à sadapter, le rendant
dysfonctionnel. Par exemple, une personne prudente sabstient
de rouler sans pneus dhiver pendant la saison froide, mais lorsquelle
garde son automobile au garage 12 mois par année de peur davoir
un accident on dit quelle est anxieuse. Et les anxieux sont
légion si lon en juge daprès les ventes
danxiolytiques. Cest aussi la personne dévouée
qui sombre dans la dépendance affective et se met à
la recherche dun gourou pour la protéger. Elle est toujours
rendue dans le bureau du patron pour se faire rassurer.
Dans la lignée des personnalités narcissiques, il y
a l«histrionique», néologisme pour hystérique.
Certes, un peu de mise en scène reste dans les limites de la
normalité. Dans la forme pathologique, la personne devient
excessive, dramatise lexpression de ses émotions et supporte
mal de ne pas faire constamment lobjet de lattention générale.
Elle tente de séduire le patron pour mieux prendre sa place
et recherche la compagnie des personnes en vue ou haut placées
afin de réaliser ses ambitions. Pour elle, les autres ne sont
que du matériel à utiliser pour atteindre ses buts et
à jeter après usage.
Convaincue dêtre exceptionnelle et voulant être
reconnue comme telle, la personne narcissique a besoin de lautre
comme miroir pour se faire dire quelle est la meilleure, la
plus belle, etc., rôle dont sacquittent bien les dépendants
affectifs. Lorsquon cesse de lui projeter limage de sa
toute-puissance, Narcisse se venge. Mieux vaut ne pas lui faire de
lombre, conseille Gérard Ouimet. «Notre société
basée sur la performance fabrique beaucoup dhistrioniques
et de narcissiques», fait-il remarquer.
De la vigilance, le paranoïaque en a à revendre parce
quil se sent constamment persécuté et lésé
dans ses droits. Sil est à sa place dans un travail solitaire
de douanier où la méfiance est un atout, il minera par
contre le moral dune équipe de travail.
Gare au passif-agressif (placide en tant que personnalité normale).
Convaincu quil devrait être à la place du patron,
il veut de lautonomie. Cest un sournois qui naccepte
pas lautorité et qui agresse passivement, ni vu ni connu;
cest le spécialiste du sabotage. Il aura sa proie à
lusure. Calculateur, il frappe dans le dos. Inciter un passif-
agressif à accélérer la cadence, cest peine
perdue, il nen sera que plus lent. «Parce que cest
lui le boss!»
Le solitaire devenu schizoïde est un incompris, jaloux de son
intimité. Dune intelligence exceptionnelle, il fuit le
contact des autres pour se réfugier dans ses pensées,
réfléchir à des problématiques. «Il
faut respecter lisolement dun schizoïde. Il peut
jouer un rôle important dans une entreprise parce quil
a un trésor dimagination enfoui dans son cerveau»,
observe M. Ouimet.
La personnalité dynamique est dite de type A dans sa forme
extrême. Un tel individu est en compétition avec tout
le monde et veut toujours gagner. Cest un workaholic.
Tous les moyens sont bons pour arriver à ses fins. Cest
un bélier mécanique qui maintient une culture tribale
dans lentreprise.
Mais lêtre humain est généralement beaucoup
plus complexe. Et tous les coloris sont dans la nature, signale Gérard
Ouimet. Pour ceux qui veulent en savoir plus sur ce sujet qui le passionne,
il conseille la lecture de Comment gérer les personnalités
difficiles, de F. Lelord et C. André, publié aux
Éditions Odile Jacob.
Françoise
Lachance
