La
peste menace la Mongolie
Peter
Foggin étudie létat de santé des populations
mongole, inuite et crie.
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On
pourrait croire que les éleveurs semi-nomades de
la Mongolie sont en meilleure santé parce quils
vivent au grand air. Ce nest pas le cas, selon le
professeur Peter Foggin. La fragilité de la santé
de ces populations est en grande partie liée à
leur mode de vie. |
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À cause
de la promiscuité des éleveurs semi-nomades mongols
avec les animaux, la peste fait un retour en Asie. Cette maladie infectieuse,
notamment transmise par la marmotte, représente un problème
reconnu par lOrganisation mondiale de la santé. Cest
une préoccupation croissante, affirme Peter Foggin, professeur
au Département de géographie.
«Les animaux ne sont pas quun simple moyen de subsistance
et de transport, ni même un simple objet de transaction, mais
font partie intégrante de la vie sociale et des valeurs culturelles,
explique le chercheur. En conséquence, plusieurs maladies,
comme la peste et la brucellose, sont transmises aux humains par le
contact avec les bêtes ou par la consommation de produits laitiers
provenant danimaux infectés.»
Dautres facteurs de risque jouent un rôle dans létat
de santé de ces populations. Dans un article publié
dans la revue internationale Social Science and Medicine, M.
Foggin démontre les causes de la fragilité de la santé
des éleveurs semi-nomades de lancienne province chinoise.
Pour le géographe, qui sest rendu plusieurs fois sur
place, le pastoralisme nomade, lactivité dominante de
léconomie nationale, représente un important facteur
de risque pour la santé.
Depuis plusieurs années, dit-il, le gouvernement de la Mongolie
essaie de sédentariser la population afin daméliorer
les soins de santé et les services éducatifs. En vain.
Cest que le type délevage quelle pratique
ne peut pas se concentrer trop longtemps sur une même surface
sans nuire à lenvironnement. «Les familles se déplacent
donc à chaque saison, sauf lhiver, avec leurs moutons,
chameaux, yacks, chevaux et chèvres. Ceci permet une exploitation
maximale des ressources naturelles relativement pauvres», souligne
M. Foggin.
Un dilemme
En général, chaque famille mongole possède dans
son troupeau trois ou quatre de ces cinq espèces domestiques.
Doù lappellation de «pays aux cinq animaux».
Le long de la frontière de la région autonome Uygur
de Xinjiang, anciennement le Turkestan chinois, les éleveurs
délaissent néanmoins de plus en plus ces espèces
au profit dun élevage plus rentable, soit celui des chèvres.
«Cet animal exerce une influence directe sur la dégradation
du milieu; la chèvre arrache les racines, signale le chercheur.
Comme la Chine est un important marché pour le cachemire (fait
de laine et de poils de chèvre), les éleveurs de cette
région pratiquent en grand nombre ce type délevage.
Mais le commerce du cachemire na pas que de mauvais côtés:
il constitue un levier de développement économique.
Et ceux qui ont un niveau de vie supérieur sen tirent
mieux sur le plan de la santé.»
Devant une telle situation, les éleveurs mongols vivent un
dilemme: sadonner au commerce du cachemire nuit à lenvironnement,
mais augmente les revenus et peut conséquemment améliorer
létat de santé. Dun autre côté,
lélevage traditionnel, plus écologique, peut entraîner
la pauvreté et a des effets sur la santé.
Ce lien étroit qui existe entre santé publique et aménagement
du territoire définit la géographie de la santé,
fait valoir le professeur Foggin. «Cest létude
des relations quune société entretient avec son
espace, explique-t-il. Les géographes de la santé, dont
la démarche relève à la fois des sciences de
la santé et des sciences sociales, tentent de mettre en évidence
les rapports entre lenvironnement (géographique, social
et culturel), le système de soins et létat de
santé dune population.» Cest ce type de recherche
quil a mené auprès des éleveurs semi-nomades
de la Mongolie.
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La
yourte, communément appelée «ger»
par les Mongols, est fortement ancrée dans les
traditions des éleveurs de la Mongolie; près
de la moitié des 2,7 millions de population est
semi-nomade.
Photo:
Beautés du monde, Librairie Larousse
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«Pays aux cinq animaux»
La Mongolie est un pays rude où laltitude moyenne dépasse
les 1500 m et où les températures varient de 35 oC en
été à 40 oC en hiver. Pour survivre dans
des conditions climatiques aussi rigoureuses, le peuple mongol a créé
une structure sociale qui consiste en un regroupement de quelques
familles, rapporte Peter Foggin. Son efficacité est particulièrement
notable quand la rareté des pâturages entraîne
une forte perte en bétail au point que la vie de ses membres
se trouve menacée. Lélevage nomade est essentiellement
dépendant de facteurs naturels.
En mars dernier, la FAO (Food and Agriculture Organization) lançait
un appel à la communauté internationale pour venir en
aide aux éleveurs semi-nomades de la Mongolie. Après
lhiver le plus rude depuis 30 ans, plusieurs centaines de milliers
de bêtes sont mortes, ce qui a compromis la survie de la moitié
des habitants de la Mongolie.
«Ce sont les animaux qui fournissent de quoi satisfaire les
besoins nutritionnels essentiels des éleveurs, dont la viande
et les produits laitiers. Ils se nourrissent aussi parfois de pâtes
et de céréales. Mais ils ne mangent pas autant de viande
quon a tendance à le croire, fait remarquer le chercheur.
Labattage se fait une fois lan, soit au cours du Naadam,
la grande fête nationale où les courses de chevaux et
les compétitions de lutte mongole sont à lhonneur.»
Depuis leffondrement de lex-Union soviétique, dont
la Mongolie dépendait, la République populaire mongole
éprouve de graves problèmes socioéconomiques,
indique M. Foggin. Sur le plan des services de santé, on observe
des répercussions sérieuses, dont la difficulté
daccéder à une assistance médicale. Cest
que lefficacité des systèmes de transport se trouve
gravement limitée par le manque dessence.
«Le problème est quil y a un lien entre la façon
dont on perçoit le système de soins de santé
et celle dont on lutilise, soutient le chercheur. Le fait que
ces gens nont pas confiance dans les soins de santé offerts
joue un rôle dans leur état de santé collectivement.»
Mongols, Inuits et Cris
«Quest-ce qui ma amené à étudier
les éleveurs semi-nomades de la Mongolie? Au début des
années 80, des collègues et moi avons mené une
recherche similaire auprès des Inuits et des Cris du nord du
Québec. Nous avons établi les grands facteurs qui influent
sur létat de santé de ces autochtones. Jai
eu envie de comparer les données avec celles dune population
de lAsie.»
Un lien étroit existe entre les modes de vie, lenvironnement
(social et physique) et létat de santé des éleveurs
semi-nomades de la Mongolie et ceux des autochtones du nord du Québec,
signale le géographe. De grandes similitudes ont notamment
été observées en matière dalimentation,
de consommation dalcool et de tabac, de défaillances
pulmonaires et de la prévalence de maladies respiratoires infantiles.
La mauvaise circulation de lair dans les habitations semble
être la cause principale des problèmes respiratoires,
soutient le chercheur. Mais on note un net recul du problème
chez les Inuits et les Cris depuis que le gouvernement du Québec
a entrepris sa campagne de reconstruction de logements. Toutefois,
la situation est tout autre pour les enfants des familles semi-nomades
de la Mongolie. Le nombre élevé de décès
attribuables chaque année aux maladies respiratoires en fait
la deuxième cause de mortalité après la tuberculose,
selon lUNICEF.
«Encore très courantes en Mongolie, les yourtes abritent
des familles nombreuses, affirme le professeur Foggin. La yourte est
si fortement ancrée dans les traditions que même les
Mongols sédentarisés la préfèrent aux
maisons. Dans cette hutte de feutre, chauffée par un poêle
en fonte qui permet aussi de préparer les repas, il ny
a presque pas de ventilation. Doù la recrudescence des
infections transmises par lair.»
Dominique
Nancy