Volume 35 numéro 11
13 novembre
2000


 


La peste menace la Mongolie
Peter Foggin étudie l’état de santé des populations mongole, inuite et crie.

On pourrait croire que les éleveurs semi-nomades de la Mongolie sont en meilleure santé parce qu’ils vivent au grand air. Ce n’est pas le cas, selon le professeur Peter Foggin. La fragilité de la santé de ces populations est en grande partie liée à leur mode de vie.

À cause de la promiscuité des éleveurs semi-nomades mongols avec les animaux, la peste fait un retour en Asie. Cette maladie infectieuse, notamment transmise par la marmotte, représente un problème reconnu par l’Organisation mondiale de la santé. C’est une préoccupation croissante, affirme Peter Foggin, professeur au Département de géographie.

«Les animaux ne sont pas qu’un simple moyen de subsistance et de transport, ni même un simple objet de transaction, mais font partie intégrante de la vie sociale et des valeurs culturelles, explique le chercheur. En conséquence, plusieurs maladies, comme la peste et la brucellose, sont transmises aux humains par le contact avec les bêtes ou par la consommation de produits laitiers provenant d’animaux infectés.»

D’autres facteurs de risque jouent un rôle dans l’état de santé de ces populations. Dans un article publié dans la revue internationale Social Science and Medicine, M. Foggin démontre les causes de la fragilité de la santé des éleveurs semi-nomades de l’ancienne province chinoise. Pour le géographe, qui s’est rendu plusieurs fois sur place, le pastoralisme nomade, l’activité dominante de l’économie nationale, représente un important facteur de risque pour la santé.

Depuis plusieurs années, dit-il, le gouvernement de la Mongolie essaie de sédentariser la population afin d’améliorer les soins de santé et les services éducatifs. En vain. C’est que le type d’élevage qu’elle pratique ne peut pas se concentrer trop longtemps sur une même surface sans nuire à l’environnement. «Les familles se déplacent donc à chaque saison, sauf l’hiver, avec leurs moutons, chameaux, yacks, chevaux et chèvres. Ceci permet une exploitation maximale des ressources naturelles relativement pauvres», souligne M. Foggin.


Un dilemme

En général, chaque famille mongole possède dans son troupeau trois ou quatre de ces cinq espèces domestiques. D’où l’appellation de «pays aux cinq animaux». Le long de la frontière de la région autonome Uygur de Xinjiang, anciennement le Turkestan chinois, les éleveurs délaissent néanmoins de plus en plus ces espèces au profit d’un élevage plus rentable, soit celui des chèvres.

«Cet animal exerce une influence directe sur la dégradation du milieu; la chèvre arrache les racines, signale le chercheur. Comme la Chine est un important marché pour le cachemire (fait de laine et de poils de chèvre), les éleveurs de cette région pratiquent en grand nombre ce type d’élevage. Mais le commerce du cachemire n’a pas que de mauvais côtés: il constitue un levier de développement économique. Et ceux qui ont un niveau de vie supérieur s’en tirent mieux sur le plan de la santé.»

Devant une telle situation, les éleveurs mongols vivent un dilemme: s’adonner au commerce du cachemire nuit à l’environnement, mais augmente les revenus et peut conséquemment améliorer l’état de santé. D’un autre côté, l’élevage traditionnel, plus écologique, peut entraîner la pauvreté et a des effets sur la santé.

Ce lien étroit qui existe entre santé publique et aménagement du territoire définit la géographie de la santé, fait valoir le professeur Foggin. «C’est l’étude des relations qu’une société entretient avec son espace, explique-t-il. Les géographes de la santé, dont la démarche relève à la fois des sciences de la santé et des sciences sociales, tentent de mettre en évidence les rapports entre l’environnement (géographique, social et culturel), le système de soins et l’état de santé d’une population.» C’est ce type de recherche qu’il a mené auprès des éleveurs semi-nomades de la Mongolie.

La yourte, communément appelée «ger» par les Mongols, est fortement ancrée dans les traditions des éleveurs de la Mongolie; près de la moitié des 2,7 millions de population est semi-nomade.

 

Photo: Beautés du monde, Librairie Larousse


«Pays aux cinq animaux»

La Mongolie est un pays rude où l’altitude moyenne dépasse les 1500 m et où les températures varient de 35 oC en été à –40 oC en hiver. Pour survivre dans des conditions climatiques aussi rigoureuses, le peuple mongol a créé une structure sociale qui consiste en un regroupement de quelques familles, rapporte Peter Foggin. Son efficacité est particulièrement notable quand la rareté des pâturages entraîne une forte perte en bétail au point que la vie de ses membres se trouve menacée. L’élevage nomade est essentiellement dépendant de facteurs naturels.

En mars dernier, la FAO (Food and Agriculture Organization) lançait un appel à la communauté internationale pour venir en aide aux éleveurs semi-nomades de la Mongolie. Après l’hiver le plus rude depuis 30 ans, plusieurs centaines de milliers de bêtes sont mortes, ce qui a compromis la survie de la moitié des habitants de la Mongolie.

«Ce sont les animaux qui fournissent de quoi satisfaire les besoins nutritionnels essentiels des éleveurs, dont la viande et les produits laitiers. Ils se nourrissent aussi parfois de pâtes et de céréales. Mais ils ne mangent pas autant de viande qu’on a tendance à le croire, fait remarquer le chercheur. L’abattage se fait une fois l’an, soit au cours du Naadam, la grande fête nationale où les courses de chevaux et les compétitions de lutte mongole sont à l’honneur.»

Depuis l’effondrement de l’ex-Union soviétique, dont la Mongolie dépendait, la République populaire mongole éprouve de graves problèmes socioéconomiques, indique M. Foggin. Sur le plan des services de santé, on observe des répercussions sérieuses, dont la difficulté d’accéder à une assistance médicale. C’est que l’efficacité des systèmes de transport se trouve gravement limitée par le manque d’essence.

«Le problème est qu’il y a un lien entre la façon dont on perçoit le système de soins de santé et celle dont on l’utilise, soutient le chercheur. Le fait que ces gens n’ont pas confiance dans les soins de santé offerts joue un rôle dans leur état de santé collectivement.»


Mongols, Inuits et Cris

«Qu’est-ce qui m’a amené à étudier les éleveurs semi-nomades de la Mongolie? Au début des années 80, des collègues et moi avons mené une recherche similaire auprès des Inuits et des Cris du nord du Québec. Nous avons établi les grands facteurs qui influent sur l’état de santé de ces autochtones. J’ai eu envie de comparer les données avec celles d’une population de l’Asie.»

Un lien étroit existe entre les modes de vie, l’environnement (social et physique) et l’état de santé des éleveurs semi-nomades de la Mongolie et ceux des autochtones du nord du Québec, signale le géographe. De grandes similitudes ont notamment été observées en matière d’alimentation, de consommation d’alcool et de tabac, de défaillances pulmonaires et de la prévalence de maladies respiratoires infantiles.

La mauvaise circulation de l’air dans les habitations semble être la cause principale des problèmes respiratoires, soutient le chercheur. Mais on note un net recul du problème chez les Inuits et les Cris depuis que le gouvernement du Québec a entrepris sa campagne de reconstruction de logements. Toutefois, la situation est tout autre pour les enfants des familles semi-nomades de la Mongolie. Le nombre élevé de décès attribuables chaque année aux maladies respiratoires en fait la deuxième cause de mortalité après la tuberculose, selon l’UNICEF.

«Encore très courantes en Mongolie, les yourtes abritent des familles nombreuses, affirme le professeur Foggin. La yourte est si fortement ancrée dans les traditions que même les Mongols sédentarisés la préfèrent aux maisons. Dans cette hutte de feutre, chauffée par un poêle en fonte qui permet aussi de préparer les repas, il n’y a presque pas de ventilation. D’où la recrudescence des infections transmises par l’air.»

Dominique Nancy