Volume 35 numéro 11
13 novembre
2000


 


Travailler conduit-il au décrochage?
Les élèves qui n’obtiennent pas la note de passage sont les plus nombreux à décrocher même lorsqu’ils ne travaillent pas.

Le fait de travailler quelques heures par semaine peut être bénéfique pour certains élèves, soutient Claude Montmarquette.

On croit généralement que le travail pendant les études secondaires nuit au rendement scolaire et peut favoriser le décrochage. Mais le lien entre travail et abandon scolaire est plus complexe qu’il y paraît à première vue. Pour certains élèves, le fait de travailler peut même avoir un effet bénéfique sur la persévérance dans les études, comme le montre une étude du Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO).

«Le rapport entre travail, rendement scolaire et décrochage n’est pas nécessairement linéaire et, si un lien causal existe, les travaux sur la question ne permettaient pas de savoir si c’est le travail qui entraîne de mauvais résultats scolaires ou si ce sont les élèves qui performent moins bien à l’école qui sont portés à décrocher pour aller travailler», souligne Claude Montmarquette, directeur du CIRANO.

Pour y voir plus clair, une équipe du CIRANO — composée de Marcel Dagenais, Claude Montmarquette, Daniel Parent et Nathalie Viennot-Briot — a scruté à la loupe les données d’une vaste enquête de Développement des ressources humaines Canada effectuée en 1991 auprès de jeunes de 18 à 20 ans afin d’établir toute la gamme des causes du décrochage ainsi que les motifs incitant ces jeunes à travailler. Le directeur du Centre livrait les grandes conclusions de cette analyse au cours de la Journée sur l’abandon scolaire, organisée par le CIRANO le 27 octobre dernier.


Performance scolaire

Parmi toutes les variables utilisées, celle de la performance scolaire apporte un nouvel éclairage sur le phénomène du décrochage et semble même jouer un rôle fondamental dans la décision du jeune de poursuivre ou non ses études.

Une première constatation est que la proportion d’élèves qui obtiennent des résultats scolaires de 80% et plus est sensiblement la même chez les jeunes qui travaillent 15 heures ou moins par semaine que chez ceux qui ne travaillent pas du tout: 28,5% des élèves de la première catégorie atteignent ou dépassent cette note de 80% contre 27,6% chez ceux qui ne travaillent pas. Par contre, la proportion de jeunes qui maintiennent cette norme de réussite en travaillant plus de 15 heures par semaine baisse à moins de 18%.

Il semble donc y avoir un seuil au-delà duquel la participation intensive au marché du travail influerait sur les résultats scolaires. Les chercheurs hésitent toutefois à y voir un lien de cause à effet. «Il est tout aussi plausible, écrivent-ils, que les élèves qui décident de travailler plus de 15 heures soient précisément ceux qui réussissent moins bien et qu’en fait travailler plus de 15 heures ne cause pas une baisse des performances scolaires.»

Les données montrent par ailleurs une légère diminution du taux de décrochage entre 20 et 30 heures de travail alors que le taux grimpe en flèche au-delà de 30 heures, ce qui montre que le lien entre travail et abandon n’est ni direct ni proportionnel.

En subdivisant l’échantillon en quatre groupes selon le rendement scolaire, les chercheurs ont mis en évidence que le seuil à partir duquel la corrélation entre travail et études commence à être négative pour la persévérance dans les études se situe plutôt autour de 10 heures de travail. Cette observation vaut pour les trois catégories d’élèves se situant au-dessus de la note de passage de 60%.

C’est le groupe situé sous la barre des 60% qui affiche le taux de décrochage le plus élevé, même lorsque les élèves de ce groupe ne travaillent pas du tout. En revanche, le taux d’abandon au sein de ce groupe chute de plus de la moitié chez ceux qui travaillent entre une et neuf heures par semaine. Le phénomène est également observable, quoique dans une moindre mesure, chez le groupe d’élèves dont la réussite scolaire se situe entre 60 et 69%. Chez ces deux groupes d’élèves, le travail a donc un effet bénéfique sur la persévérance dans les études dans la mesure où ils n’y consacrent pas plus de 10 heures par semaine.


Mesures de prévention

À la lumière de leurs résultats, les auteurs de l’étude ont examiné quelles pourraient être les mesures efficaces de prévention du décrochage. La première recommandation serait de hausser à 17 ans l’âge de la scolarité obligatoire (qui est actuellement de 16 ans) afin de la faire coïncider avec l’âge normal atteint à la fin du secondaire. «Ceci inciterait les jeunes à terminer leurs études secondaires», estime Claude Montmarquette.

L’équipe pointe également le faible nombre d’heures de présence en classe dans l’ensemble des systèmes scolaires canadiens: le nombre moyen d’heures de cours y est de 1000 par année comparativement à 1200 pour les autres pays industrialisés. Les jeunes peuvent être incités à remplir leurs temps libres avec un travail rémunéré, croient les chercheurs.

Ceux-ci ont également mesuré l’impact que peut avoir le salaire minimum sur le décrochage. Leur modèle mathématique montre, comme on pouvait s’y attendre, que chaque fois que les gouvernements haussent le salaire minimum ils créent «des conditions propices à une recrudescence de l’abandon scolaire», l’effet se faisant surtout sentir chez les élèves hésitant à poursuivre leurs études.

Face à ce problème, l’équipe du CIRANO est d’avis que le salaire minimum devrait être moindre pour les jeunes de moins de 17 ans. Ce qui nécessiterait probablement le recours aux clauses dérogatoires des chartes et qui susciterait un vif débat. «Mais est-ce un accroc si grave aux droits fondamentaux que d’adopter des mesures pour contrer le décrochage et le chômage?» questionne Claude Montmarquette.

Daniel Baril