Travailler
conduit-il au décrochage?
Les
élèves qui nobtiennent pas la note de passage
sont les plus nombreux à décrocher même lorsquils
ne travaillent pas.
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Le
fait de travailler quelques heures par semaine peut être
bénéfique pour certains élèves,
soutient Claude Montmarquette. |
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On croit généralement
que le travail pendant les études secondaires nuit au rendement
scolaire et peut favoriser le décrochage. Mais le lien entre
travail et abandon scolaire est plus complexe quil y paraît
à première vue. Pour certains élèves,
le fait de travailler peut même avoir un effet bénéfique
sur la persévérance dans les études, comme le
montre une étude du Centre interuniversitaire de recherche
en analyse des organisations (CIRANO).
«Le rapport entre travail, rendement scolaire et décrochage
nest pas nécessairement linéaire et, si un lien
causal existe, les travaux sur la question ne permettaient pas de
savoir si cest le travail qui entraîne de mauvais résultats
scolaires ou si ce sont les élèves qui performent moins
bien à lécole qui sont portés à
décrocher pour aller travailler», souligne Claude Montmarquette,
directeur du CIRANO.
Pour y voir plus clair, une équipe du CIRANO composée
de Marcel Dagenais, Claude Montmarquette, Daniel Parent et Nathalie
Viennot-Briot a scruté à la loupe les données
dune vaste enquête de Développement des ressources
humaines Canada effectuée en 1991 auprès de jeunes de
18 à 20 ans afin détablir toute la gamme des causes
du décrochage ainsi que les motifs incitant ces jeunes à
travailler. Le directeur du Centre livrait les grandes conclusions
de cette analyse au cours de la Journée sur labandon
scolaire, organisée par le CIRANO le 27 octobre dernier.
Performance scolaire
Parmi toutes les variables utilisées, celle de la performance
scolaire apporte un nouvel éclairage sur le phénomène
du décrochage et semble même jouer un rôle fondamental
dans la décision du jeune de poursuivre ou non ses études.
Une première constatation est que la proportion délèves
qui obtiennent des résultats scolaires de 80% et plus est sensiblement
la même chez les jeunes qui travaillent 15 heures ou moins par
semaine que chez ceux qui ne travaillent pas du tout: 28,5% des élèves
de la première catégorie atteignent ou dépassent
cette note de 80% contre 27,6% chez ceux qui ne travaillent pas. Par
contre, la proportion de jeunes qui maintiennent cette norme de réussite
en travaillant plus de 15 heures par semaine baisse à moins
de 18%.
Il semble donc y avoir un seuil au-delà duquel la participation
intensive au marché du travail influerait sur les résultats
scolaires. Les chercheurs hésitent toutefois à y voir
un lien de cause à effet. «Il est tout aussi plausible,
écrivent-ils, que les élèves qui décident
de travailler plus de 15 heures soient précisément ceux
qui réussissent moins bien et quen fait travailler plus
de 15 heures ne cause pas une baisse des performances scolaires.»
Les données montrent par ailleurs une légère
diminution du taux de décrochage entre 20 et 30 heures de travail
alors que le taux grimpe en flèche au-delà de 30 heures,
ce qui montre que le lien entre travail et abandon nest ni direct
ni proportionnel.
En subdivisant léchantillon en quatre groupes selon le
rendement scolaire, les chercheurs ont mis en évidence que
le seuil à partir duquel la corrélation entre travail
et études commence à être négative pour
la persévérance dans les études se situe plutôt
autour de 10 heures de travail. Cette observation vaut pour les trois
catégories délèves se situant au-dessus
de la note de passage de 60%.
Cest le groupe situé sous la barre des 60% qui affiche
le taux de décrochage le plus élevé, même
lorsque les élèves de ce groupe ne travaillent pas du
tout. En revanche, le taux dabandon au sein de ce groupe chute
de plus de la moitié chez ceux qui travaillent entre une et
neuf heures par semaine. Le phénomène est également
observable, quoique dans une moindre mesure, chez le groupe délèves
dont la réussite scolaire se situe entre 60 et 69%. Chez ces
deux groupes délèves, le travail a donc un effet
bénéfique sur la persévérance dans les
études dans la mesure où ils ny consacrent pas
plus de 10 heures par semaine.
Mesures de prévention
À la lumière de leurs résultats, les auteurs
de létude ont examiné quelles pourraient être
les mesures efficaces de prévention du décrochage. La
première recommandation serait de hausser à 17 ans lâge
de la scolarité obligatoire (qui est actuellement de 16 ans)
afin de la faire coïncider avec lâge normal atteint
à la fin du secondaire. «Ceci inciterait les jeunes à
terminer leurs études secondaires», estime Claude Montmarquette.
Léquipe pointe également le faible nombre dheures
de présence en classe dans lensemble des systèmes
scolaires canadiens: le nombre moyen dheures de cours y est
de 1000 par année comparativement à 1200 pour les autres
pays industrialisés. Les jeunes peuvent être incités
à remplir leurs temps libres avec un travail rémunéré,
croient les chercheurs.
Ceux-ci ont également mesuré limpact que peut
avoir le salaire minimum sur le décrochage. Leur modèle
mathématique montre, comme on pouvait sy attendre, que
chaque fois que les gouvernements haussent le salaire minimum ils
créent «des conditions propices à une recrudescence
de labandon scolaire», leffet se faisant surtout
sentir chez les élèves hésitant à poursuivre
leurs études.
Face à ce problème, léquipe du CIRANO est
davis que le salaire minimum devrait être moindre pour
les jeunes de moins de 17 ans. Ce qui nécessiterait probablement
le recours aux clauses dérogatoires des chartes et qui susciterait
un vif débat. «Mais est-ce un accroc si grave aux droits
fondamentaux que dadopter des mesures pour contrer le décrochage
et le chômage?» questionne Claude Montmarquette.
Daniel
Baril
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