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Volume 35 numéro 11
13 novembre
2000


 


Notre-Dame et Sainte-Justine auront un système révolutionnaire d’imagerie médicale à basse dose
L’image d’une colonne vertébrale sera créée à partir de deux rayons X.

Depuis 12 ans, Jacques de Guise s’intéresse à la conception assistée par ordinateur dans le domaine biomédical. Son groupe vient d’obtenir deux millions de dollars pour l’acquisition des deux premiers prototypes de radiographie à basse dose.

Dès juin prochain, des chercheurs des hôpitaux Notre-Dame et Sainte-Justine inaugureront un système novateur d’imagerie en trois dimensions qui utilise de 10 à 20 fois moins de radiations que les systèmes actuels.

«Le système qui a été construit pour nous par une firme française permet une grande précision en utilisant simplement une vue frontale et une vue latérale de la colonne vertébrale. L’image est obtenue par simple triangulation», explique l’ingénieur Jacques de Guise, chercheur à l’École de technologie supérieure et responsable du Laboratoire de recherche en imagerie orthopédique du CHUM.

Il s’agit d’une percée technologique importante, car le procédé a l’avantage de fonctionner à partir de radiographies à très basse dose mises au point par le physicien français Georges Charpak (Prix Nobel de physique 1992). Pour produire une image complète de la colonne vertébrale, par exemple, ce système n’aura besoin que de deux images obtenues par rayons X à basse dose. Actuellement, les radiologistes doivent utiliser jusqu’à 300 clichés réalisés par rayons X pour reconstituer une image complète de la colonne.

De plus, le fait d’obtenir les images presque instantanément rend l’utilisation du système plus intéressante que l’emploi de la tomodensitométrie, plus lente à donner des résultats. «Actuellement, signale le chercheur, des médecins évitent d’utiliser l’imagerie en trois dimensions, trop longue à produire. La nouvelle technologie est plus rapide et la qualité de l’image finale est d’une précision millimétrique.»

Acquis grâce à un financement de la Fondation canadienne pour l’innovation, du ministère de l’Éducation du Québec, de Valorisation-recherche Québec et de l’entreprise privée totalisant quelque deux millions de dollars sur quatre ans, le premier prototype en milieu clinique est le fruit de plus de 12 ans de travail de Jacques de Guise et d’une équipe composée de chercheurs de l’École Polytechnique, de l’hôpital Sainte-Justine et du CHUM. Mais cette percée est principalement due à un voyage d’études que le professeur de Guise a effectué en France en 1997. «À l’hôpital Saint-Vincent-de-Paul, à Paris, j’ai eu la chance de travailler avec M. Charpak, qui a mis au point le système. Lui-même a lancé une entreprise, Biospace France, qui collabore avec nous depuis.»


Soulager la scoliose

En plus de servir au diagnostic, le système permettra de seconder les chirurgiens orthopédiques qui doivent traiter la scoliose, un problème de déformation de la colonne vertébrale. On doit parfois installer dans les vertèbres des agrafes et des crochets afin de permettre le redressement de la colonne. L’imagerie guidera les gestes du chirurgien, qui doit insérer des instruments dans des cavités osseuses très étroites.

«Les gens qui souffrent de scoliose doivent passer des dizaines de radiographies par année, signale M. de Guise. On ne connaît pas l’effet cumulatif d’une telle dose de radiations. Les nouveaux appareils permettent de diviser par 10 et même par 20 la puissance des radiations sans nuire à la qualité des images obtenues.»

On prévoit également d’autres usages sur le plan clinique. Le genou, par exemple, répond à des forces cinétiques complexes qu’il n’est pas aisé d’étudier. L’imagerie en trois dimensions pourrait aider à trouver les meilleurs points d’ancrage pour fixer les prothèses ligamentaires.

Lorsque le premier prototype sera livré à l’hôpital Notre-Dame, en juin 2001 (un autre suivra à l’hôpital Sainte-Justine un an plus tard), l’appareil de radiographie, qui coulisse sur une rampe verticale, transmettra ses données à un ordinateur. L’utilisateur appliquera une technique de conception assistée par ordinateur semblable à celle qu’on emploie en aérospatiale pour la construction géométrique de modèles. «Ce sont les mêmes modèles mathématiques qui entrent dans la construction des ponts et des aéronefs», explique l’ingénieur.


Recherches en radiographie de basse dose

L’installation du système biplan (en raison des deux sources d’information) permettra la création d’une plateforme de recherche en radiographie de basse dose unique au monde. D’ailleurs, l’École de technologie supérieure recevra, dès le mois prochain, un «banc d’essai» basé sur le même principe. Il pourra accomplir les mêmes opérations que le système installé en milieu hospitalier mais avec des mannequins et différents objets.

«D’autres applications de la radiographie permettent d’inspecter de façon non destructive le contenu des bagages dans les aéroports et de repérer par exemple les explosifs qui s’y dissimuleraient. Certaines techniques sont si précises qu’elles permettent de distinguer un sac de sel d’un sac de sucre. On a encore beaucoup d’applications à tirer de la radiographie, et particulièrement de la radiographie à basse dose dont nous serons à l’avant-garde mondiale», signale Jacques de Guise.

Plusieurs étudiants aux cycles supérieurs ont des projets de recherche dans le Laboratoire de recherche en imagerie orthopédique, qui occupe une aile récemment rénovée du Pavillon J.-A.-DeSève de l’hôpital Notre-Dame. L’équipe que le chercheur a réunie compte des ingénieurs, des informaticiens, des physiciens, des radiologistes, des chirurgiens orthopédiques et des physiatres. «La multidisciplinarité, j’aime ça», dit-il.

Lui-même est «multicasquette», comme il le dit: en plus d’être ingénieur et de travailler dans un hôpital, il est professeur titulaire à l’École de technologie supérieure et professeur associé à l’École nationale supérieure des arts et métiers, à Paris.

Mathieu-Robert Sauvé