Volume 35 numéro 11
13 novembre
2000


 


Centre-ville: le trou de beigne se remplit
Les nouveaux modes de vie favorisent le repeuplement et la revitalisation des centres-villes.

«Il y a un retour aux valeurs urbaines chez les jeunes ménages», observe Daniel Gill.

Le «trou de beigne» créé par l’exodede la population vers les banlieues et qui touche le grand centre-ville de Montréal serait en voie de s’emplir de nouveau. Du moins l’exode semble être fortement ralenti, le rêve de la banlieue ne correspondant plus au mode de vie de la génération montante.

«Nous avons idéalisé la banlieue, qui est un modèle urbain conçu pour la famille traditionnelle, composée d’un couple et de deux ou trois enfants, déclare Daniel Gill, professeur à l’Institut d’urbanisme. Mais la famille s’effrite, un couple sur deux connaît une séparation, les baby-boomers vieillissent, le taux de natalité est très bas et certains couples choisissent de ne pas cohabiter. La famille traditionnelle ne représente maintenant que 15 % des ménages. La banlieue n’est plus le modèle recherché par les jeunes, qui sont moins intéressés à quitter la ville.»

À Montréal, 70 % des ménages seraient composés de une ou deux personnes alors qu’en banlieue, c’est l’inverse: entre 70 et 75 % des ménages sont ou ont été des familles traditionnelles. «Mais les enfants de ces familles sont partis et plusieurs se sentant isolés, loin de tout, ne sachant plus quoi faire de leur piscine reviennent en ville», souligne le professeur.

Le phénomène demeure encore trop marginal pour se traduire par une augmentation de la population de Montréal. «C’est plus un retour aux valeurs urbaines qu’un mouvement de population, précise Daniel Gill. Les jeunes préfèrent demeurer en ville: trouvez-moi une seule personne vivant seule qui décide d’aller s’installer en banlieue!»

Le phénomène des yuppies des années 80 a d’ailleurs continué de se développer et, signe des temps, a même vu apparaître son équivalent féminin, les «jupes»: les jeunes urbaines professionnelles émancipées, qui préfèrent la vie de célibataire ou la monoparentalité au couple traditionnel.

Ce changement de mœurs annoncerait la fin de la banlieue du type bungalows-en-rangées-à-perte-de-vue. Même des jeunes qui ont grandi dans ce milieu sont attirés par la ville parce que l’environnement social et le genre d’habitations de la banlieue ne correspondent plus au mode de vie plus individualiste d’aujourd’hui.

«Le développement des banlieues s’articule autour des maisons unifamiliales et peu de terrains sont prévus pour les condominiums. Les futurs développements urbains devront prévoir des centres plus densément peuplés, offrant des services sur place, avec des habitations unifamiliales alentour.»

Construction résidentielle à la hausse

La rétention des jeunes dans les villes est un phénomène qui marque l’ensemble des grandes villes nord-américaines. À Manhattan, par exemple, on ne dénombre que 19 400 résidants, mais on prévoit que ce nombre passera à 35 000 dans 10 ans.

Le professeur en promotion immobilière s’attend à ce que les tendances qu’il observe à Montréal soient visibles dans les données démographiques du prochain recensement, mais le phénomène influe déjà sur la construction immobilière de l’île.

«Avant 1996, seulement 16 % des nouvelles résidences construites dans la grande région métropolitaine l’étaient sur l’île de Montréal. L’an dernier, le taux était de 34 % et l’on s’attend cette année à ce qu’il se situe entre 35 et 40 %. De plus, les prix montent à Montréal, ce qui indique une forte demande. Sur l’avenue du Mont-Royal, il n’y a plus de trous entre Saint-Denis et Saint-Laurent, où les appartements se vendent “comme des beignes” même si l’endroit n’est pas le plus tranquille qui soit.»

La nouvelle économie, portée par l’industrie de l’informatique et de la recherche dont bénéficie Montréal présentement, a aussi pour effet de revitaliser le centre-ville grâce aux projets comme la Cité du multimédia, la Cité de l’électronique, la Cité internationale ou la réouverture du canal de Lachine. «Tous ces projets comblent de réels trous et se prêtent à un développement mixte combinant le résidentiel et l’industriel.»

Selon le professeur, ce développement va durer encore une quinzaine d’années pour connaître par la suite des jours plus sombres. Les données démographiques actuelles indiquent que la population concernée par le marché résidentiel, c’est-à-dire celle entre 20 et 75 ans, compte 5,2 millions de personnes au Québec; en 2016, elle va atteindre un sommet avec 5,6 millions d’individus pour redescendre jusqu’à 4,7 millions en 2050.

«Pendant les 20 prochaines années, il va falloir continuer de construire pour loger cette population, puis on va se retrouver avec un important surplus de ménages par la suite. Une crise majeure de la construction est à prévoir dans 20 ans et il n’y aura plus personne pour acheter les maisons de banlieue.»

À moins qu’on se mette à faire des enfants, ce que Daniel Gill estime fort peu probable.

Daniel Baril