Volume 35 numéro 11
13 novembre
2000


 


La garde partagée peut être plus néfaste que le divorce
Mais ce n’est pas tant le type de garde que le climat entre les parents après un divorce qui joue un rôle dans l’adaptation de l’enfant, selon Francine Cyr.

«La médiation familiale ne règle pas tous les problè-
mes liés au divorce, dit Francine Cyr, professeure au Département de psycho-logie. Mais plusieurs parents parviennent, avec l’accompagnement du médiateur, à une entente consensuelle concernant les modalités de garde, de visite et de paiement de la pension alimentaire. Toute-fois, certains n’arrivent pas à mettre leur colère de côté et doivent recourir à un arbitre qui tranchera le différend pour eux, rôle habituellement confié à un juge.»

Quelque 13 % des couples choisissent la garde partagée après leur séparation. Cette modalité de garde, prisée par plusieurs spécialistes, peut dans certains cas être plus néfaste que le divorce en ce qui concerne l’adaptation sociale et émotive des jeunes.

«Pour les enfants qui s’adaptent difficilement aux changements, qui entretiennent des relations conflictuelles avec un de leurs parents ou encore qui sont pris à témoin dans les conflits conjugaux, la garde partagée peut être éprouvante», signale Francine Cyr, professeure au Département de psychologie.

Quel que soit le type de garde, la qualité de l’interaction entre les conjoints, avant et après la rupture, joue un rôle important dans l’adaptation de l’enfant, soutient la chercheuse. Plus le conflit conjugal persiste et implique l’enfant, moins la garde partagée est indiquée, précise-t-elle. Si les adultes parviennent à communiquer et à mettre de côté leur colère et leurs différends au bénéfice de l’enfant, ce mode de garde permet à celui-ci de garder le contact avec ses deux parents, ce qui s’avère un facteur déterminant dans l’adaptation à la séparation parentale.

L’avantage principal de la garde partagée pour les parents est qu’elle réduit leur stress en leur donnant un moment de répit. Cela leur permet notamment d’améliorer ou de développer une relation significative et de meilleure qualité avec l’enfant. Un autre facteur relié à l’adaptation des jeunes au divorce, souligne la psychologue. Des recherches indiquent que cette formule de garde est privilégiée par les adultes plus âgés ayant un revenu et un niveau d’éducation supérieurs.


Communication et collaboration

«Quelles que soient les modalités de garde préférées, les deux parents exercent conjointement l’autorité parentale, selon la loi. C’est ce qu’on appelle communément la “garde conjointe”, dit Mme Cyr. Cela signifie que les grandes décisions liées notamment à l’éducation, la religion, la santé et le bien-être de l’enfant ne peuvent pas être prises par un seul parent.» Quant à la garde physique partagée, elle ne signifie pas nécessairement une semaine chez maman et une semaine chez papa. La division du temps de vie des enfants entre les résidences des parents peut varier. Par exemple, l’enfant peut habiter la semaine chez l’un et la fin de semaine chez l’autre. La formule qui prévoit une garde où le temps est également partagé ne représente que deux pour cent des cas au Canada.

En théorie, la garde physique partagée encourage et suppose une collaboration accrue entre les ex-conjoints. Selon Francine Cyr, cela n’est pas toujours le cas. Pour cette professeure, qui s’intéresse depuis 25 ans aux effets du divorce et qui exerce la médiation familiale, les problèmes entre les parents existent bien avant la séparation. Cette crise familiale engendre du stress, des difficultés financières et une désorganisation qui nuisent aux échanges avec les enfants et qui peuvent aussi aggraver les interactions entre les ex-conjoints. Du moins pour une certaine période de temps.

Lorsqu’elle fait de la médiation familiale, Mme Cyr vérifie à la fois le degré d’hostilité entre les parents et leurs motivations par rapport au choix de garde. Parfois, ils optent pour la garde partagée sans vraiment penser au bien-être de l’enfant, affirme-t-elle; ils sont belliqueux et veulent se diviser l’enfant comme s’il s’agissait d’un bien matériel. D’autres la choisissent simplement dans le but de réduire la pension alimentaire. Le médiateur est là pour aider les parents à ne pas perdre de vue les besoins fondamentaux de leurs enfants.

«Même lorsque les intentions sont bonnes, la situation n’est pas facile. Les parents doivent démontrer une grande maturité pour être capables de faire abstraction de leurs frustrations et déceptions l’un envers l’autre, indique la psychologue. La garde partagée requiert une bon- ne communication entre les ex- conjoints. Car un enfant exposé à la violence et à l’agressivité verbale en sera affecté. Il n’apprendra pas à résoudre les conflits de façon appropriée et il risque de développer divers problèmes de comportement, dont des conduites antisociales. Par ailleurs, il sera dans bien des cas amené à prendre parti pour un parent contre l’autre et cela est dévastateur pour le développement tant émotif que social de l’enfant, qui souffre énormément de ces conflits d’allégeance.»


Les enfants ne divorcent pas

Quels sont les enfants les plus à risque d’éprouver des difficultés d’adaptation à la garde partagée? «Peu d’études se sont penchées sur la question et les chercheurs n’en viennent pas aux mêmes conclusions, répond la chercheuse. Des recherches indiquent que les enfants ne sont ni mieux ni pires en garde partagée qu’en garde unique (garde principale à l’un des parents et droits de visite à l’autre). D’autres ont fait valoir une légère supériorité de la garde partagée pour ce qui est de l’estime de soi, des comportements et de l’adaptation psychologique.»

Pour la psychologue, il est dans une certaine mesure possible de prédire, à partir des recherches sur l’adaptation des enfants à la séparation parentale, la réaction à la garde partagée. Ainsi les tout-petits (0-5 ans) — le groupe d’âge où le divorce est le plus répandu en Amérique du Nord — risquent d’avoir de la difficulté à supporter la grande instabilité de la garde partagée. Le fait de voir les deux parents pourrait cependant réduire le sentiment de perte et d’abandon, fait remarquer la psychologue. C’est aussi plus fa- cile à cet âge d’introduire un nou-veau conjoint, mais cela doit se faire progressivement, sans forcer les liens d’affection et les lignes d’autorité.

Les enfants d’âge scolaire et les adolescents semblent relativement bien s’adapter à la garde partagée. «Alors que les jeunes garçons semblent plus affectés par le divorce et la vie au sein d’une famille monoparentale où la mère n’est pas remariée, les filles seraient plutôt perturbées par le remariage de leurs parents et particulièrement résistantes à l’arrivée d’un beau-père, car il met en jeu la relation privilégiée qu’elles entretenaient avec leur mère.»

Un autre avantage de la garde partagée est l’engagement du père auprès de ses enfants un an après le divorce. Les pères obtiennent la garde légale seulement dans sept pour cent des cas1. Le désengagement paternel est très fréquent au cours des deux années qui suivent la rupture du couple et particulièrement marqué lorsque la garde est accordée à la mère, révèle Mme Cyr. Ce retrait est souvent associé par les pères aux difficultés d’être un parent à temps partiel dans un contexte parfois artificiel et à l’obstruction plus ou moins ouverte faite par l’ex-conjointe. Cette dernière limite au minimum les droits de visite accordées par la cour et mine le lien avec l’ex-conjoint. L’enfant risque alors de ne pas avoir envie de voir le père simplement pour ne pas blesser la mère ni aliéner son lien avec elle.

«La mère peut vouloir couper définitivement les ponts avec cet “ex” qu’elle abomine mais elle ne doit pas inciter l’enfant à en faire autant, conclut Francine Cyr. Les parents se séparent, mais les enfants ne divorcent pas.»

Dominique Nancy

1 Nicole Marcil-Gratton et Céline Le Bourdais, rapport de recherche Garde des enfants, droits de visite et pension alimentaire: résultats tirés de l’enquête longitudinale nationale sur les enfants et les jeunes, Centre interuniversitaire d’études démographiques de l’Université de Montréal et Institut national de la recherche scientifique, 1999. Les statistiques citées dans ce texte proviennent de cette source.