Aider
les filles pour contrer le décrochage des garçons
Regrouper
dans des classes spéciales les enfants à trouble de
comportement aggraverait leurs problèmes, estime Richard Tremblay.
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«Lélément
déterminant du décrochage des garçons
est la scolarité de la mère», affirme
Richard Tremblay. |
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Notre système
scolaire fait fausse route en cherchant à contrer le décrochage
des garçons par des interventions à court terme directement
auprès des décrocheurs. Il faut plutôt diriger
les efforts vers le rehaussement à moyen terme du niveau de
scolarité des filles. Cest la position apparemment paradoxale
qua soutenue Richard Tremblay à la Journée de
réflexion sur labandon scolaire, organisée par
le Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations
(CIRANO) le 27 octobre dernier.
Professeur au Département de psychologie et titulaire de la
Chaire sur le développement de lenfant, Richard Tremblay
a présenté de nombreux résultats détudes
effectuées tant en Angleterre et aux États-Unis quen
France ou au Canada, et qui montrent lexistence dun lien
entre le niveau dinstruction dune part et, dautre
part, la santé, la taille, lemployabilité et lespérance
de vie.
Ses propres travaux, poursuivis depuis 1984 avec le Groupe de recherche
sur linadaptation psychosociale chez lenfant auprès
dune même cohorte de 1000 garçons de milieux défavorisés,
révèlent que le meilleur élément prédictif
de décrochage scolaire, mis à part lagressivité,
est la scolarité de la mère.
«Quarante-huit pour cent des garçons dont la mère
na pas terminé son secondaire abandonnent eux aussi lécole
avant la fin du secondaire, précise-t-il. Chez les mères
qui ont une scolarité universitaire, le taux de décrochage
des garçons baisse à 23%. Pour les filles de ces deux
mêmes catégories de mères, labandon scolaire
passe de 33% à moins de 5%.»
Une autre cohorte denfants nés en 1998 montre que 25%
des fils de mères sans diplôme détudes secondaires
(D.E.S.) présentent un taux dagressivité plus
élevé que la normale dès 17 mois; chez les mères
titulaires dun D.E.S., le taux denfants considérés
comme agressifs nest que de 10%. De plus, 35% des mères
sans D.E.S. connaissent des états dépressifs importants,
ce qui influe sur léducation des enfants.
En Angleterre et aux États-Unis, des études ont déjà
mis au jour un lien entre loccupation du père et la taille,
la santé et la persévérance scolaire de lenfant.
Sans rejeter ces études, Richard Tremblay soutient toutefois
que la transmission intergénérationnelle de ces éléments
passe davantage par la mère que par le père.
Le lot des jeunes filles peu scolarisées serait les grossesses
précoces, la monoparentalité, les familles perturbées,
le chômage et la dépression. «La mère transmet
sa trajectoire à lenfant», affirme le chercheur,
ce qui alimente un cercle vicieux.
Prévision et prévention
Létude longitudinale de Richard Tremblay indique également
que seulement 30% des garçons de sa cohorte ont terminé
leur secondaire à 17 ans comme le prévoit le cheminement
normal.
Ce haut taux de décrochage est selon lui prévisible.
«Chez les enfants qui ne souffraient daucun problème
comportemental à la maternelle, seulement 16% en ont développé
un au primaire. Mais 69 % des enfants qui présentaient de multiples
problèmes à la maternelle ont développé
des troubles de comportement au primaire. Les enfants arrivent à
la maternelle avec une histoire et cette histoire est déterminante»,
affirme-t-il, rejetant la vision voulant que les enfants soient sur
le même pied à leur entrée à lécole.
«Le pic de lagressivité se situe autour de lâge
de deux ans et diminue par la suite sous leffet de la socialisation.
Si lapprentissage du contrôle de lagressivité
nest pas fait, des problèmes dattention, dhyperactivité,
de rejet, dabandon et de retard cognitif surviennent.»
Et les mères sont encore principalement celles par qui passe
ou ne passe pas cette socialisation.
Le professeur se montre donc étonné quil ny
ait pas dévaluation comportementale des enfants dès
la maternelle puisquon pourrait y déceler une éventuelle
délinquance et un décrochage potentiel, et même
les prévenir.
Une expérience menée auprès dun sous-groupe
de la cohorte de 1984 a en effet montré que labandon
scolaire pouvait être réduit de moitié par des
interventions appropriées auprès des enfants à
risque et en fournissant aux parents et enseignants les ressources
psychopédagogiques nécessaires.
Par contre, le niveau dagressivité des enfants à
problèmes multiples a significativement augmenté chez
ceux qui ont été placés dans des classes spéciales
ou quon a fait redoubler. «Le redoublement a des conséquences
négatives sur le développement intellectuel de ces enfants
et la pire chose est de les isoler dans des groupes à part.»
Le professeur ignore cependant leffet que lintégration
des enfants à trouble de comportement dans les classes normales
peut avoir sur les autres élèves.
Pour prévenir le décrochage, il lui apparaît donc
essentiel dinvestir dans la petite enfance, avant que les problèmes
deviennent irréversibles. Et comme le déterminant principal
est léducation de la mère, «la meilleure
prévention à long terme contre le décrochage
des garçons réside dans linvestissement auprès
des jeunes filles», conclut Richard Tremblay.
Daniel
Baril