Des
étudiants de premier cycle font un tabac en France
Leurs
présentations dans un congrès scientifique font des
jaloux chez les chercheurs.
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Dans
le désordre, 12 des 13 membres de léquipe
de recherche sur les comportements antisociaux au travail:
Phanie Rioux, Valérie Bastien, Jacinthe Dion, Dominique
Duguay, Karine Éthier, Jean-Benoit G. Rousseau, Karine
Larose, Sophie Leduc, Nadine Quenneville, Marie-Élène
Roberge, Patrice Roy et Marie-Ève Tanguay. |
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Peu détudiants
au doctorat ont la chance de participer à des congrès
scientifiques. Imaginez une équipe de 13 étudiants de
premier cycle qui non seulement réussit à satisfaire
à tous les critères de sélection, mais qui, en
plus, renverse littéralement les chercheurs de carrière.
Et en France par surcroît!
Cest lexpérience peu banale qua vécue
un groupe détudiants de deuxième et troisième
année du Département de psychologie au terme de deux
années de travail soutenu et acharné.
«Nous voulions aller plus loin que ce quon peut apprendre
dans nos cours et nous former à toutes les étapes de
la recherche, à partir de la documentation jusquà
lanalyse de données et la publication darticles»,
raconte Karine Éthier, lune des membres de léquipe.
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André
Savoie
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Luc
Brunet
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Deux professeurs,
André Savoie, dit «le moustachu», du Département
de psychologie, et Luc Brunet, dit «Britney», du Département
détudes en éducation et dadministration
de léducation, acceptent de les encadrer dans cette aventure
périlleuse qui va conduire léquipe dintrépides
non pas dans un mais dans trois congrès scientifiques.
«Lobjectif final que nous avions fixé était
très élevé, soit la publication dun article
dans une revue scientifique sur les comportements antisociaux en milieu
de travail, un sujet novateur et peu documenté, indique André
Savoie. Nous navons fait aucune sélection et tous ceux
qui voulaient tenter lexpérience pouvaient se joindre
au groupe.»
En plus de recenser la littérature sur le sujet et de clarifier
les notions de base, les étudiants ont dû concevoir leur
propre questionnaire, constituer une banque de 292 répondants
malgré les nombreuses portes «claquées au nez»,
recueillir les données, les analyser, assurer la stabilité
du groupe, chercher du financement et se préparer à
faire des présentations respectant les exigences des congrès
scientifiques.
«Nous avons aussi établi des contacts avec les principaux
chercheurs qui travaillent dans ce domaine en Europe et aux États-Unis,
ce qui nétait pas évident au départ, relate
Phanie Rioux. Nous avons été agréablement surpris
de leur collaboration.»
«Tout ceci a totalisé de 10 à 15 heures de travail
par semaine, en plus de nos cours, et sans que nous soyons crédités»,
ajoute Marie-Élène Roberge.
Le résultat, cest un nouvel éclairage sur le phénomène
des comportements antisociaux au travail dont Forum présente
les grandes lignes en page 4.
Du jamais vu!
Luc Brunet et André Savoie ne tarissent pas déloges
sur ces étudiants qui exigeaient deux plus que ce que
leur offre une formation de base. «Lopération était
hardie et ils ont fait preuve dun enthousiasme qui ne sest
pas démenti tout au long de lentreprise, souligne André
Savoie.
Satisfaits de lavancement du projet, les 13 étudiants
sinscrivent au congrès de la Société québécoise
pour la recherche en psychologie, tenu à Québec en octobre
1999, où ils font des présentations par affiches sur
leur problématique. Puis, en mai dernier, cest au tour
du congrès de lACFAS; même si les données
sont encore brutes, les résultats sont suffisamment avancés
pour que léquipe organise un colloque sur leur recherche.
Mais ce nétait là que des répétitions
avant le vrai défi: le congrès de lAssociation
internationale de psychologie du travail de langue française,
qui se tenait à Rouen en août dernier, participation
quils ont pu se permettre grâce au financement de lOffice
franco-québécois pour la jeunesse. Ces étudiants
au baccalauréat allaient ainsi se confronter aux chercheurs
de toute la francophonie en livrant des données inédites
sur un phénomène méconnu!
«Non seulement ils ont livré des présentations
impeccables, bien organisées, avec projections et tout le matériel
nécessaire, mais ils ont apporté du contenu scientifique
nouveau et solide sur un sujet complexe, déclare André
Savoie. Cest de la haute performance, du jamais vu! Les congressistes
ébahis nen revenaient tout simplement pas dapprendre
quil sagissait détudiants au baccalauréat.
Un Français ma même dit quil en était
tombé sur le cul!»
Le professeur avoue même avoir été un peu gêné
devant les performances moindres et le manque de préparation
des présentations qui ont suivi celles de ses étudiants.
Pour ces étudiants courageux, lexpérience a été
salutaire puisque les 13 membres du groupe ont tous poursuivi leurs
études au doctorat. Par leur détermination, ils ont
aussi obtenu que le Département de psychologie reconnaisse
un nouveau profil de formation au premier cycle pour les étudiants
qui sorientent vers la recherche.
Pour André Savoie, lexpérience montre que lUniversité
sous-utilise souvent les capacités des étudiants.
Daniel
Baril
Le
comportement antisocial au travail: bien peu sont au-dessus de tout
soupçon
Près de
92% des employés commettraient une forme ou lautre de gestes
déviant des normes du millieu.
Vous est-il déjà
arrivé de prolonger indûment votre pause café,
de parler en mal de votre employeur ou de faire des photocopies personnelles
au bureau? Vous nêtes pas les seuls. Pas moins de 91,5%
des travailleurs ou des professionnels de tous les secteurs commettent
un jour ou lautre ce type de gestes considérés
comme antisociaux.
Cest le chiffre auquel arrive un groupe informel de recherche
sur les comportements antisociaux au travail qui sest penché,
pendant deux ans, sur ce phénomène méconnu et
peu documenté. Composé de 13 étudiants de premier
cycle en psychologie (voir larticle en page 1), ce groupe a
mesuré les attitudes de 292 employés de diverses entreprises
(manufactures, ventes, services professionnels, etc.) devant 47 comportements
pouvant avoir un impact négatif sur le travail, les collègues
de travail ou lentreprise qui les emploie.
La liste de ces comportements est assez exhaustive et va du simple
dédain à légard des autres jusquaux
menaces physiques et au harcèlement sexuel en passant par le
vandalisme. Seulement 7,5% des répondants ont indiqué
navoir commis aucun de ces gestes au cours des six mois précédant
la collecte de données.
«Le comportement antisocial au travail inclut tout geste qui
dévie des normes du milieu et qui peut porter atteinte à
quelquun dautre ou à lorganisation elle-même»,
précise Phanie Rioux, une des membres de léquipe
de recherche. Un comportement est ainsi considéré comme
antisocial en fonction de la déviance et non de lintention
de nuire.
Si certains des gestes retenus pour létude peuvent paraître
anodins, il faut savoir quils ne sont jamais accomplis tout
seuls; sur une période de six mois, les fautifs accomplissent
en fait une moyenne de sept actes antisociaux. «Un individu
qui sadonne à un type de comportement antisocial sera
porté à en commettre dans dautres catégories»,
écrivent les auteurs de létude.
«Il faut aussi tenir compte de ces gestes sur une grande échelle,
ajoute Phanie Rioux. Si 92% des employés prolongent leurs pauses
ou utilisent le matériel à des fins personnelles, cela
peut avoir un impact sur lorganisation.»
Surtout contre lentreprise
Alors que les études sur cette problématique se situent
du point de vue des victimes ou des témoins, la présente
recherche a innové en partant de la perspective de lagent
considéré ici comme lagresseur , ce
qui a permis de faire avancer les connaissances sur plusieurs points.
La typologie retenue pour lanalyse montre que 91% des répondants
reconnaissent avoir commis un geste contre lorganisation et
52%, contre un individu. Des sept comportements antisociaux les plus
fréquents, cinq sont en fait dirigés contre lentreprise
et deux contre les individus. Aucune étude navait jusquici
analysé simultanément ces deux cibles.
Dans les gestes dirigés contre lentreprise, les chercheurs
ont également départagé ce qui relève
de la «déviance de propriété» (vol,
vandalisme, etc.) et ce qui a trait à la «déviance
de production» (retards, départs sans permission...).
Quelque 85% des répondants avouent avoir commis au moins un
geste de déviance de propriété, ce qui est beaucoup
plus élevé que ce quont rapporté dautres
études situant le phénomène entre 21% et 32%.
«Lécart sexplique par le fait que les déviances
de propriété les plus souvent signalées dans
notre étude soit parler en mal de lorganisation
et utiliser le matériel à des fins personnelles
navaient jamais été mesurées auparavant,
explique Phanie Rioux. Lorsquon retranche ces éléments,
on obtient un taux de près de 30% de déviance de propriété,
ce qui est comparable aux résultats des autres études.»
Pour la jeune chercheuse, il apparaît donc tout à fait
pertinent de mesurer ces deux composantes puisquelles semblent
être des marqueurs importants de comportements déviants.
Létude a également fait ressortir que les gestes
contre lorganisation sont généralement faits à
linsu de tout le monde, une autre caractéristique qui
navait jamais été mise en évidence.
Oeil
voyeur
Quant aux comportements contre les personnes, ce sont les agressions
de type psychologique et de type sexuel qui viennent en tête,
chacune étant commise en moyenne un peu plus dune fois
tous les six mois. Mais il ne faut pas penser pour autant que les
milieux de travail sont des endroits où sévit un climat
de violence: lagression psychologique la plus rapportée
(une fois par année) est d«ignorer quelquun
de façon blessante» et lagression sexuelle la plus
importante est de «déshabiller une personne du regard».
Les éléments «détruire les biens dune
personne en sa présence» et «monter un faux dossier
sur quelquun» ont été ignorés par
les 292 répondants.
Il serait par ailleurs intéressant de connaître la répartition
de ces comportements en fonction du sexe. Dans cette étude,
65% des répondants étaient des femmes alors que la littérature
indique que les hommes sont plus portés que les femmes à
commettre des gestes antisociaux. «Notre questionnaire pourrait
permettre daller plus loin et de désigner quels sont
les comportements propres aux deux sexes, indique Phanie Rioux. Ceci
pourrait faire lobjet dun second article.»
Léquipe a même comme projet de rédiger un
volume à partir des données de sa recherche, le sujet
étant très peu documenté.
Daniel
Baril
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