Volume 35 numéro 9
30 octobre
2000


 


Les autistes ne voient pas comme tout le monde!
Armando Bertone étudie la sensibilité au mouvement chez les autistes.

«Les mécanismes d’intégration de l’information sur le plan visuel sont moins efficaces chez les autistes dès que les stimuli requièrent un traitement cortical plus complexe», affirme Armando Bertone, étudiant au troisième cycle au Département
de psychologie.

Marc-André a quatre ans et demi. Il est doté d’une grande capacité de mémorisation, mais présente un retard dans l’acquisition du langage et est indifférent à la présence des personnes. Ses champs d’intérêt sont restreints: il aime aligner des bouts de ficelle sur le sol et contemple inlassablement les mouvements de rotation du ventilateur. Un médecin a évalué son comportement et a posé un diagnostic d’autisme.

«Selon le Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, cette maladie est caractérisée par une anomalie du développement qui se manifeste dès les premières années de la vie par un manque de réciprocité sociale et de réactions émotionnelles, des troubles du langage, des champs d’intérêt limités et des gestes répétitifs», signale Armando Bertone, étudiant au Département de psychologie. Ce jeune chercheur âgé de 27 ans a démontré que les autistes ne voient pas comme tout le monde.

La fascination pour les mouvements rotatifs est présente chez certains autistes, dit-il. L’observation attentive, qui peut durer des heures, semble être provoquée par la stimulation visuelle et auditive. C’est aussi parfois le déplacement devant certains types d’objets comme les barres verticales d’une grille ou les lignes du sol qui suscite le stimuli visuel. Ce phénomène de sensibilité au mouvement a éveillé la curiosité de l’étudiant au point qu’il en a fait l’objet de sa thèse de doctorat.

L’étude s’étendra encore sur quelques années, mais des données commencent à émerger. Le chercheur a notamment mis en évidence que l’autisme ne procède pas uniquement de troubles cognitifs. Les autistes peuvent aussi éprouver des difficultés sensorielles et perceptives. Cela n’avait jamais été observé auparavant pour la perception du mouvement.


Une sensibilité réduite aux mouvements complexes

Menée sous la direction du professeur Jocelyn Faubert, de l’École d’optométrie, en collaboration avec Laurent Mottron, chercheur au Département de psychiatrie, la recherche a été effectuée auprès de 12 garçons et filles autistes âgés de 9 à 20 ans. «Leur quotient intellectuel variait de 80 à 100, car les personnes profondément déficientes qui présentent des traits sévères d’autisme n’accèdent généralement pas au langage», mentionne Armando Bertone.

Par ailleurs, ces sujets ne démontraient pas de talents hors du commun en calcul, en dessin de détails ou en musique. Le syndrome de l’autiste savant est associé à une déficience mentale; les compétences phénoménales sont généralement peu fonctionnelles et touchent un domaine très particulier.

La méthodologie consistait à soumettre les sujets à trois types de mouvements (gauche-droite, expansion-contraction et rotation) dans des conditions de traitement visuel simple et complexe. Le but visé était d’évaluer le seuil de perception du mouvement des autistes et de comparer les résultats avec ceux obtenus par un groupe contrôle. «Je leur demandais d’abord d’indiquer la direction des mouvements qui se définissent par la luminosité. Ce sont les stimuli les plus facilement traités par le système visuel, précise l’étudiant. Ensuite, les mêmes mouvements étaient répétés, mais dans un contexte de contraste. Ce type d’information requiert un traitement supplémentaire par le cerveau.»

Le chercheur a constaté que la sensibilité aux mouvements simples est la même chez les deux groupes, mais le traitement visuel des autistes est moins efficace avec une augmentation de la complexité de l’information. Malgré un niveau intellectuel satisfaisant, les sujets autistes démontrent une sensibilité réduite aux mouvements qui se définissent par le contraste, comme le balancement des feuilles au vent.

«Cela nous montre que la perception des autistes n’est pas aussi intacte qu’on le croyait, souligne Armando Bertone. Il y a vraisemblablement un sous-fonctionnement sur le plan visuel. Cela peut paraître insignifiant, mais l’étude permet de mieux comprendre la façon dont les autistes traitent l’information visuelle.»


Une piste de recherche

Pour l’instant, on ne connaît pas encore l’étiologie précise de l’autisme. De nombreux chercheurs plaident en faveur d’une contribution majeure des facteurs génétiques. D’autres montrent du doigt les complications durant la grossesse et à l’accouchement. Les troubles de développement propres à l’autisme permettent cependant d’évoquer un dysfonctionnement cérébral. Reste à trouver lequel. Le cerveau des autistes ne présente habituellement pas de lésions et le dysfonctionnement ne paraît toucher aucune région cérébrale en particulier.

La récente découverte d’Armando Bertone pourrait conduire à une meilleure compréhension de l’autisme. La faible efficacité du traitement de l’information visuelle complexe des autistes pourrait notamment expliquer certains comportements anormaux, comme le manque d’intégration sociale et l’intérêt obsessif pour les détails. C’est que les circuits d’intégration qui traitent le mouvement complexe sont aussi actifs dans des fonctions cognitives comme le comportement, souligne le jeune chercheur.

«De un tiers à la moitié de la matière corticale est affectée à la vision, conclut-il. Il y a donc une piste de recherche de ce côté pour mieux comprendre l’impact fonctionnel des troubles autistiques.»

Dominique Nancy