Les
autistes ne voient pas comme tout le monde!
Armando
Bertone étudie la sensibilité au mouvement chez les
autistes.
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«Les
mécanismes dintégration de linformation
sur le plan visuel sont moins efficaces chez les autistes
dès que les stimuli requièrent un traitement
cortical plus complexe», affirme Armando Bertone,
étudiant au troisième cycle au Département
de psychologie. |
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Marc-André
a quatre ans et demi. Il est doté dune grande capacité
de mémorisation, mais présente un retard dans lacquisition
du langage et est indifférent à la présence des
personnes. Ses champs dintérêt sont restreints:
il aime aligner des bouts de ficelle sur le sol et contemple inlassablement
les mouvements de rotation du ventilateur. Un médecin a évalué
son comportement et a posé un diagnostic dautisme.
«Selon le Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders,
cette maladie est caractérisée par une anomalie du développement
qui se manifeste dès les premières années de
la vie par un manque de réciprocité sociale et de réactions
émotionnelles, des troubles du langage, des champs dintérêt
limités et des gestes répétitifs», signale
Armando Bertone, étudiant au Département de psychologie.
Ce jeune chercheur âgé de 27 ans a démontré
que les autistes ne voient pas comme tout le monde.
La fascination pour les mouvements rotatifs est présente chez
certains autistes, dit-il. Lobservation attentive, qui peut
durer des heures, semble être provoquée par la stimulation
visuelle et auditive. Cest aussi parfois le déplacement
devant certains types dobjets comme les barres verticales dune
grille ou les lignes du sol qui suscite le stimuli visuel. Ce phénomène
de sensibilité au mouvement a éveillé la curiosité
de létudiant au point quil en a fait lobjet
de sa thèse de doctorat.
Létude sétendra encore sur quelques années,
mais des données commencent à émerger. Le chercheur
a notamment mis en évidence que lautisme ne procède
pas uniquement de troubles cognitifs. Les autistes peuvent aussi éprouver
des difficultés sensorielles et perceptives. Cela navait
jamais été observé auparavant pour la perception
du mouvement.
Une sensibilité réduite aux mouvements complexes
Menée sous la direction du professeur Jocelyn Faubert, de lÉcole
doptométrie, en collaboration avec Laurent Mottron, chercheur
au Département de psychiatrie, la recherche a été
effectuée auprès de 12 garçons et filles autistes
âgés de 9 à 20 ans. «Leur quotient intellectuel
variait de 80 à 100, car les personnes profondément
déficientes qui présentent des traits sévères
dautisme naccèdent généralement pas
au langage», mentionne Armando Bertone.
Par ailleurs, ces sujets ne démontraient pas de talents hors
du commun en calcul, en dessin de détails ou en musique. Le
syndrome de lautiste savant est associé à une
déficience mentale; les compétences phénoménales
sont généralement peu fonctionnelles et touchent un
domaine très particulier.
La méthodologie consistait à soumettre les sujets à
trois types de mouvements (gauche-droite, expansion-contraction et
rotation) dans des conditions de traitement visuel simple et complexe.
Le but visé était dévaluer le seuil de
perception du mouvement des autistes et de comparer les résultats
avec ceux obtenus par un groupe contrôle. «Je leur demandais
dabord dindiquer la direction des mouvements qui se définissent
par la luminosité. Ce sont les stimuli les plus facilement
traités par le système visuel, précise létudiant.
Ensuite, les mêmes mouvements étaient répétés,
mais dans un contexte de contraste. Ce type dinformation requiert
un traitement supplémentaire par le cerveau.»
Le chercheur a constaté que la sensibilité aux mouvements
simples est la même chez les deux groupes, mais le traitement
visuel des autistes est moins efficace avec une augmentation de la
complexité de linformation. Malgré un niveau intellectuel
satisfaisant, les sujets autistes démontrent une sensibilité
réduite aux mouvements qui se définissent par le contraste,
comme le balancement des feuilles au vent.
«Cela nous montre que la perception des autistes nest
pas aussi intacte quon le croyait, souligne Armando Bertone.
Il y a vraisemblablement un sous-fonctionnement sur le plan visuel.
Cela peut paraître insignifiant, mais létude permet
de mieux comprendre la façon dont les autistes traitent linformation
visuelle.»
Une piste de recherche
Pour linstant, on ne connaît pas encore létiologie
précise de lautisme. De nombreux chercheurs plaident
en faveur dune contribution majeure des facteurs génétiques.
Dautres montrent du doigt les complications durant la grossesse
et à laccouchement. Les troubles de développement
propres à lautisme permettent cependant dévoquer
un dysfonctionnement cérébral. Reste à trouver
lequel. Le cerveau des autistes ne présente habituellement
pas de lésions et le dysfonctionnement ne paraît toucher
aucune région cérébrale en particulier.
La récente découverte dArmando Bertone pourrait
conduire à une meilleure compréhension de lautisme.
La faible efficacité du traitement de linformation visuelle
complexe des autistes pourrait notamment expliquer certains comportements
anormaux, comme le manque dintégration sociale et lintérêt
obsessif pour les détails. Cest que les circuits dintégration
qui traitent le mouvement complexe sont aussi actifs dans des fonctions
cognitives comme le comportement, souligne le jeune chercheur.
«De un tiers à la moitié de la matière
corticale est affectée à la vision, conclut-il. Il y
a donc une piste de recherche de ce côté pour mieux comprendre
limpact fonctionnel des troubles autistiques.»
Dominique
Nancy
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