Il
me bat, mais je laime...
Dans
un tel couple, lhomme a une image négative de lui-même
alors que la femme est craintive devant les autres.
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Selon
Kathryn Campbell,
les
données empiriques montrent quenviron cinq
pour cent des couples connaissent des situations de violence.
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Quest-ce
qui motive un couple à maintenir sa relation même lorsquelle
est marquée par une violence grave? Pour le commun des mortels,
cela dépasse lentendement, mais la chose existe.
Kathryn Campbell a consacré son doctorat en criminologie, sous
la direction de Diane Casoni, à essayer de cerner le type de
lien qui unit les conjoints de ces couples où sévit
la violence physique grave et répétitive. Lexistence
et même la stabilité de ces couples lavaient dabord
étonnée alors quelle agissait à titre de
thérapeute auprès dhommes incarcérés
pour violence conjugale. Les hypothèses avancées pour
expliquer le phénomène lui paraissaient insatisfaisantes.
«Mon premier défi a été de trouver des
couples prêts à témoigner, indique-t-elle. Dans
les pénitenciers, les gens ne veulent pas en parler. Il ma
fallu deux ans pour constituer un échantillon de huit couples!»
Des entrevues portant sur la relation entre les conjoints de chacun
des couples lui ont permis de faire ressortir les construits sémantiques
à travers lesquels les hommes et les femmes interprètent
la situation vécue et les moyens quils utilisent pour
y faire face.
Chez les femmes, quatre attitudes émergent: elles expliquent
le comportement violent du conjoint par une perte dautocontrôle
comme sil était un enfant; elles sallient au conjoint
en excusant son attitude; elles considèrent être «capables
den prendre»; et elles ressentent un amour passionné
pour le conjoint.
Les hommes recourent à cinq types darguments ou dattitudes
pour expliquer leur violence: ils ont peur de perdre leur conjointe;
ils se sentent impuissants devant elle; ils imputent la cause de leur
violence à des éléments déclencheurs;
ils minimisent limportance de leur violence; et, à linstar
des femmes, ils ressentent un amour passionné pour leur conjointe.
Lamour passionné nommé de part et dautre
surprend en pareille situation mais, explique Kathryn Campbell, «le
niveau de violence plus élevé que la moyenne chez certaines
personnes leur fait paraître normal de régler leur conflit
de cette façon». À ses yeux, il ny a donc
pas vraiment de paradoxe entre violence et sentiment amoureux.
Attirance et rejet
Lanalyse des construits sémantiques fait apparaître,
chez la moitié des couples de léchantillon, une
dynamique dattachement particulière. «Les hommes
présentent une forme dattachement de type préoccupé
et ils sont marqués par langoisse de perdre leur conjointe,
explique la chercheuse. Ils ont une faible estime deux-mêmes,
alors quils sont portés à valoriser les autres,
dont ils recherchent lapprobation.»
Les femmes de ces mêmes couples démontrent une angoisse
plus globale allant jusquau sentiment de terreur. «Leur
estime delles-mêmes et la représentation des autres
sont toutes les deux négatives et leur attachement est de style
craintif.»
Avec ces éléments combinés, la table est mise
pour un affrontement. «Lhomme incertain de lui cherche
de façon soutenue des contacts avec sa partenaire qui, elle,
a déjà tendance à éviter les relations
interpersonnelles et à fuir lintimité à
cause de langoisse que ces situations éveillent. Lhomme
qui a une mauvaise estime de lui perçoit ce recul comme un
rejet, craint labandon de sa partenaire et devient violent pour
la contrôler. Déjà craintive, la femme devient
terrorisée face à cette violence et fuit encore plus.»
Les témoignages ont également révélé
que les styles dattachement sont à limage dune
conception macrosociale patriarcale où lexercice du pouvoir
cherche à créer un individu docile désirant être
associé au détenteur du pouvoir. Kathryn Campbell a
en fait établi le lien entre cette lecture féministe
de la théorie de lattachement et le discours individuel
révélant le type de représentation de soi et
des autres.
La chercheuse a en outre noté une forte dépendance émotive
entre les deux conjoints de chacun des couples de son échantillon
parce quils ont de la difficulté à nouer des liens
et se croient incapables détablir de nouvelles relations.
«Les femmes de ces couples sont en général très
isolées socialement et ont peu ou pas de famille. Elles ne
conservent même que les amies qui ne remettent pas en question
leur couple», ajoute-t-elle.
Pour la chercheuse, qui est présentement professeure à
lUniversité dOttawa, la faiblesse de léchantillon
lempêche de généraliser ce type de dynamique
à lensemble des couples aux prises avec des comportements
violents. Toutefois, elle estime que sa recherche a ouvert une voie
qui mérite dêtre explorée plus à
fond.
Déjà, il lui semble que les thérapies qui ne
prennent en compte que le comportement de lhomme violent sans
considérer la dynamique de la relation à deux présentent
une certaine lacune.
Daniel
Baril