Volume 35 numéro 9
30 octobre
2000


 


Putain de métier!
Selon Christopher Earls, les origines socioéconomiques et familiales des prostitués n’expliquent pas tout.

Christopher Earls, professeur au Département de psychologie depuis 1984, a mené une étude auprès des jeunes travailleuses et travailleurs du sexe du Centre-Sud.

La prostitution commence entre 15 et 17 ans. C’est à ce moment-là que les jeunes ont leur premier contact sexuel en échange de sommes d’argent. Mais qu’est-ce qui les pousse à se prostituer? Selon Christopher Earls, professeur au Département de psychologie, l’âge au moment du départ de la maison semble encourager le phénomène puisqu’ils doivent alors subvenir à leurs besoins.

«Les origines familiales n’expliquent pas, à elles seules, l’entrée dans le monde de la prostitution, estime le chercheur. Il existe une combinaison de facteurs, notamment la lutte pour survivre de façon autonome à un très jeune âge, les expériences sexuelles plus précoces et une histoire de sévices sexuels intrafamiliale.»

C’est ce qui ressort des données recueillies auprès de 100 prostitués (autant d’hommes que de femmes) du Centre-Sud de Montréal. La recherche, effectuée en collaboration avec la professeure Hélène David, du Département de psychologie, avait pour but de préciser les différences entre l’environnement familial et les expériences sexuelles hâtives des prostitués et des non-prostitués.


Les multiples visages de la prostitution

Les chercheurs ont inclus un groupe contrôle comptant aussi 100 sujets. Celui-ci permet d’établir des comparaisons selon l’âge, le sexe, le niveau d’instruction et le statut socioéconomique. Peu de recherches dans ce domaine comprennent un groupe de comparaison, soutient M. Earls. C’est qu’il est délicat de comparer les prostitués avec des sujets de la population en général, affirme-t-il.

«Il faut s’assurer que l’âge et le statut socioéconomique des sujets du groupe contrôle sont comparables à ceux du groupe d’étude. La jeunesse caractérise le monde de la prostitution, dit le psychologue. Quant à l’environnement familial, la criminalité, l’abus d’alcool et de drogues, ces variables sont dépendantes des conditions financières dans lesquelles ont évolué les prostitués.»

Mais il demeure difficile de dresser un profil de la prostitution compte tenu des différents sous-groupes: la prostitution de rue, d’hôtel, de salons de massage, sur appel, etc. Sans compter celle qui se fait de façon occasionnelle pour boucler les fins de mois.

«Il n’est pas utile de mettre tout le monde dans le même panier. Chaque sous-groupe possède des caractéristiques propres qu’il faut prendre en considération si l’on veut établir un programme de prévention ou d’intervention», signale M. Earls. Avec sa collègue Hélène David, il s’est intéressé à la prostitution de rue, car elle représente la forme la plus dérangeante socialement.


Des hommes de joie

«Pute», «putain», «fille de joie» ou «fille de rien», les appellations pour décrire les prostituées sont nombreuses, mais le plus vieux métier du monde n’est pas exclusif aux femmes. On compte plusieurs centaines d’hommes prostitués seulement à Montréal. Leur préférence sexuelle semble avoir une influence significative sur le fait d’entrer ou non dans le monde de la prostitution. Quelque 70% d’entre eux sont homosexuels ou bisexuels, signale le professeur Earls. La plupart ont eu une première expérience sexuelle avec un partenaire plus âgé et commencent leurs activités de prostitution plus tôt que les femmes prostituées, soit à 15 ans contre 17 ans. Ils n’ont donc pas atteint la majorité à leur première «passe».

Pour le psychologue qui agit également depuis 20 ans à titre d’expert auprès des agresseurs sexuels (voir l’encadré), légaliser la prostitution n’est pas une solution. Cette approche peut être pernicieuse: trop de tolérance peut conduire à l’indifférence. C’est ouvrir grande la porte à tous ceux qui exploitent les plus faibles et les jeunes, estime-t-il. Mais criminaliser la sollicitation faite par les prostitués n’est pas mieux, selon lui. Pour venir à bout des problèmes qu’engendre la prostitution de rue, il faudrait s’en prendre aux clients!

L’idée que les prostitués viennent d’un milieu socioéconomique défavorisé est-elle surestimée? La prostitution est un problème multifactoriel, répond le psychologue; la situation socioéconomique n’en est pas la cause principale, contrairement à ce qu’on a tendance à croire. Aucune différence significative n’a été observée entre les deux groupes quant à l’environnement familial: ils connaissent le même taux de divorce ou de séparation, d’absences parentales, de violence verbale, etc. Une exception, toutefois.

«La violence physique dont ont fait l’objet les femmes prostituées dans leur enfance les distinguent des sujets féminins du groupe de comparaison, admet M. Earls. Les hommes prostitués ont pour leur part davantage été témoins de consommation d’alcool et de drogues ainsi que de violence entre leurs parents que les sujets masculins du groupe contrôle.»

Un autre facteur majeur serait l’âge de la première expérience sexuelle: beaucoup plus précoce chez les travailleurs et travailleuses du sexe (respectivement vers 12 et 14 ans) que chez les sujets des groupes de comparaison.

«L’étude se conclut toutefois sur une note optimiste, fait valoir Christopher Earls: la majorité des jeunes prostitués ont recours à des condoms.»

Dominique Nancy



Agressions sexuelles

Depuis 1996, quelque 11 Québécois ont été déclarés «délinquants dangereux» après avoir commis des crimes à caractère sexuel. Un nombre de condamnations peu élevé comparativement à la Colombie-Britannique, où il y en a 10 par année. «Le Québec ne compte pas moins d’agresseurs dangereux, affirme Christopher Earls, professeur au Département de psychologie, mais les juges québécois usent de ce verdict avec trop de parcimonie.»

Si le psychologue est d’avis que les sentences ne sont pas assez sévères, c’est que 50% des agresseurs sexuels commettent des récidives. Les différentes méthodes thérapeutiques font baisser ce taux à 20%. Au pénitencier de La Macaza, ville située au nord de Saint-Jovite, où un programme de traitement a été mis en place par le professeur Earls, la récidive d’ordre sexuel est de 6%.

«La thérapie n’élimine pas les délits sexuels, mais elle les réduit considérablement, déclare-t-il. On ne peut toutefois pas traiter les agresseurs qui sont indifférents aux conséquences de leur conduite ou impénitents.» D’autres minimisent l’importance de leur crime. L’argument souvent invoqué par les pédophiles est qu’ils ont eux-mêmes été victimes d’agressions dans leur jeunesse. Le déni de leurs responsabilités donne à prévoir qu’ils recommenceront aussitôt réintégrés dans la société, selon le psychologue.

La castration représente-t-elle une solution? Non, semble dire M. Earls. à son avis, l’abaissement du seuil de tolérance de la population explique pourquoi de plus en plus de personnes se disent en faveur de cette méthode plutôt radicale, mais qui n’enlève pas la capacité d’avoir une relation sexuelle.

«On peut castrer tant qu’on voudra, on ne diminuera pas le nombre de crimes sexuels. Les violeurs ne sont pas exclusivement motivés par le plaisir; la haine constitue aussi un mobile. Dans ces conditions, même si la castration diminue la motivation et la capacité érectile, elle n’empêche pas les agressions. Plusieurs agresseurs utilisent d’ailleurs des objets, car ils sont impuissants.»

D.N.