Volume 35 numéro 9
30 octobre 2000


 


La géographie des cancers chez l’enfant révèle une distribution aléatoire
Les bassins de la Chaudière et de la Saint-François paraissent par contre suspects.

La pollution de l’eau et les pesticides pourraient être en cause dans l’étiologie du cancer de l’encéphale
et de la leucémie, estime Jean-François Émard.

Une équipe de chercheurs du CHUM, subventionnée par le Centre de recherche de l’hôpital Sainte-Justine, vient de réaliser le premier atlas québécois de géographie médicale spécialement consacré aux maladies chez les enfants. Dirigé par le Dr Parviz Ghadirian, de l’Unité de recherche en épidémiologie du CHUM–Hôtel-Dieu, l’ouvrage présente la distribution géographique des cancers les plus fréquemment observés chez les enfants de moins de 15 ans selon les données recueillies entre 1984 et 1993.

«Le but de cette méthode n’est pas de trouver des explications, mais de décrire la situation, de faire émerger des schémas géographiques permettant de formuler des hypothèses étiologiques», explique Jean-François Émard, chercheur au CHUM–Hôtel-Dieu et principal auteur de l’étude.

Sept formes de tumeurs malignes ont ainsi été cartographiées: les cancers des os, du rein, de l’encéphale, des ganglions (lymphomes de Hodgkin et non Hodgkin) et du sang (leucémies lymphoïde et non lymphoïde). Ces cancers représentent 70 % de tous les cancers qui affectent les enfants.


Distribution aléatoire

Au total, 1570 cas (toutes formes confondues) ont été enregistrés au cours de la période étudiée. De ce total, les deux formes de leucémie comptent pour 725 cas, ce qui en fait la forme de cancer de loin la plus fréquente.

L’analyse de la distribution géographique de l’ensemble des cancers montre une répartition aléatoire. Quant à la distribution particulière de chacun, le faible nombre de cas ne permet pas d’observer de différences statistiquement significatives entre les régions.

Toutefois, deux d’entre elles se démarquent sur l’une des cartes et deux facteurs environnementaux sont montrés du doigt. Le bassin de la Saint-François, en Montérégie et au centre du Québec, ainsi que celui de la Chaudière présentent une incidence de cancers de l’encéphale proportionnellement plus élevée que celle de l’ensemble du territoire québécois.

Jean-François Émard insiste pour souligner que, selon les chiffres, il s’agit là d’un effet du hasard. Géographe de formation, il ne peut toutefois s’empêcher de se questionner sur les liens possibles avec l’environnement. «La carte de distribution du cancer de l’encéphale montre que les régions les plus touchées suivent le parcours de ces deux rivières, ce qui indique un lien possible entre ce cancer et la pollution de l’eau.»

Le bassin de la Saint-François compte plusieurs usines agroalimentaires, des manufactures et des usines de pâtes et papiers qui ont été à l’origine de déversements de matières organiques et toxiques avant et pendant les années de la collecte des données. Des mesures correctives auraient été apportées depuis.

La Chaudière, qui coule sur des terres agricoles, pourrait être polluée d’une façon comparable.

Par ailleurs, la distribution spatiale des cas de leucémie montre une incidence proportionnelle élevée dans les régions rurales, notamment en Montérégie, dans les Laurentides et dans Lanaudière, bien que là encore les données soient non statistiquement significatives. Les auteurs de l’étude attirent l’attention sur le lien que d’autres travaux ont déjà établi entre pesticides et cancer dans les zones rurales. L’épandage ne serait pas le seul facteur; le travail d’un parent dans une usine de produits servant à la fabrication de pesticides pourrait mettre l’enfant ou le fœtus en contact avec certains antigènes cancérigènes.

Que les corrélations ne soient pas statistiquement significatives peut avoir un certain côté sécurisant. «On s’attendait à une incidence plus forte en Montérégie à cause de l’importance des pesticides, mais il est rassurant de constater que le taux est plus faible que prévu. Il faut toutefois veiller à ce que le taux de leucémie soit encore abaissé.»

Selon M. Émard, les pronostics sont encourageants: «Avec le temps, la situation s’améliore; l’incidence est relativement stable pour l’ensemble des cancers, et le taux de mortalité diminue.»


Les garçons plus que les filles

Cette étude de géocancérologie a aussi fait ressortir d’autres corrélations plus fortes. Par exemple, le taux de cancer plus élevé chez les garçons que chez les filles:
des 1570 cas inclus dans l’étude, 898 (57 %) concernent les garçons et 672 (43 %) les filles.

Ce sont les deux formes de leucémie et les deux formes de lymphome qui sont les principaux responsables de cette fréquence plus élevée. Les garçons représentent en effet 56 % des cas de leucémie lymphoïde, 66 % des cas de lymphome de Hodgkin et 75 % des lymphomes non Hodgkin. Le facteur aggravant pour les garçons pourrait être de nature génétique, mais rien ne permet pour l’instant de l’affirmer.

L’étude confirme également une autre corrélation déjà connue mais tout aussi mystérieuse: il y a plus de cas de leucémie dans les milieux socioéconomiquement forts. Aux yeux de Jean-François Émard, ce fait n’est pas facile à comprendre et plusieurs hypothèses seraient à explorer, comme l’allaitement, l’alimentation ou des causes virales.

Les chercheurs proposent de poursuivre les recherches en géocancérologie, notamment à l’aide de méthodes de modélisation des risques.

Daniel Baril