Volume 35 numéro 8
23 octobre
2000




COURRIER

Quel avenir pour les femmes en recherche dans le milieu universitaire?
Monsieur Jean Rochon, ministre de la Recherche, de la Science et de la Technologie, et Monsieur François Legault, ministre de l’Éducation et de la Jeunesse.

Nous sommes cinq étudiantes aux cycles supérieurs de la Faculté de médecine qui avons participé activement, à travers notre association, aux consultations publiques sur la politique scientifique québécoise tenues durant l’été1. La Marche mondiale des femmes rappelle que de nombreuses femmes subissent encore des discriminations liées à leur identité de femme et non à leurs habiletés. Moins médiatisée, la situation particulière des femmes et des jeunes parents dans le monde de la recherche universitaire en santé démontre que les difficultés que vivent quotidiennement les femmes touchent toutes les couches sociales, peu importe la formation ou l’expertise professionnelle.

En choisissant une carrière en recherche dans le domaine de la santé, les jeunes femmes entreprennent un long parcours, allant de la formation jusqu’à un poste de chercheur. À la suite d’un baccalauréat, d’une maîtrise et d’un doctorat (d’une durée totale de 8 à 11 ans), les chercheurs-étudiants sont encouragés à s’exiler pour un stage postdoctoral (d’une durée de 2 à 3 ans) avant de revenir au Québec dans l’espoir de trouver un poste dans une université, un centre hospitalier ou une entreprise. Durant ces années de formation, nous participons activement à la recherche universitaire, publions nos travaux dans les revues spécialisées et représentons notre université à des congrès internationaux, contribuant ainsi à la renommée mondiale de la recherche québécoise en santé. Étant donné l’importance de notre tâche, nous dénonçons le fait qu’encore 75% d’entre nous, hommes et femmes, vivent sous le seuil de la pauvreté et n’ont pas droit aux divers programmes sociaux offerts au Québec.

Les chercheurs-étudiants qui poursuivent leurs études afin de devenir chercheurs en milieu universitaire ou hospitalier font face à une vive concurrence et à des conditions de travail peu intéressantes. Leur salaire étant obtenu par concours auprès d’organismes subventionnaires et n’étant garanti que pour une période maximale de deux à trois ans, les chercheurs-étudiants sont en situation d’instabilité socioéconomique […] jusqu’à ce qu’ils atteignent 40 ans.

Pour les jeunes qui désirent avoir des enfants, la conciliation avec la carrière en recherche est particulièrement difficile. Il n’est pas aisé pour eux de fonder une famille durant les études doctorales ou postdoctorales à l’étranger ni d’attendre une certaine stabilité d’emploi puisque ceci les mènerait à accueillir leur premier enfant à la fin de la trentaine ou à la quarantaine! En réalité, la majorité des jeunes femmes considèrent la réussite familiale au même titre que la réussite professionnelle; elles décrochent donc en plus grand nombre du système universitaire, découragées par l’instabilité financière, l’absence d’assurances collectives et de programmes d’aide aux jeunes parents, ainsi que par une vieille mentalité universitaire qui valorise peu la famille. Dans les programmes de recherche en santé à l’Université de Montréal, les femmes représentent 60% des étudiants à la maîtrise et 40% des étudiants au doctorat. Ces proportions dégringolent lorsqu’on observe leur présence dans le corps professoral: environ le cinquième sont des femmes.

En plus de soulever la problématique familiale, il nous semble important de sensibiliser la communauté scientifique aux conditions qui pourraient être discriminatoires pour les jeunes femmes en recherche. D’une part, il nous apparaît important de vérifier que les comités (majoritairement composés d’hommes) chargés d’évaluer les dossiers en vue du recrutement dans la communauté universitaire, de la reconnaissance des aptitudes ou de l’attribution de subventions reconnaissent à leur juste valeur la compétence et l’investissement des femmes dans leur profession. D’autre part, une étude menée par le ministère de l’Éducation nationale français (MENF)2 concluait que les femmes s’investissent davantage que les hommes dans les tâches d’enseignement, ce qui est peu valorisé dans les dossiers d’évolution de carrière. Afin d’améliorer la situation des femmes dans le secteur de la recherche en santé, le MENF a proposé quelques mesures auxquelles nous adhérons. Parmi celles-ci, notons: une évaluation équitable des trois tâches universitaires (enseignement, recherche et administration); une vérification du jugement par les pairs dans les dossiers de candidatures afin qu’il ne comporte aucun préjugé; et une représentation équitable des femmes dans les instances qui effectuent les recrutements et gèrent les carrières des professeurs-chercheurs.

L’amélioration des conditions de vie et du système de financement devrait être prioritaire si l’on veut maintenir et garantir le calibre international de la recherche en santé au Québec. Outre l’augmentation du nombre et du montant des bourses, il y a un besoin concret d’améliorer les conditions socioéconomiques des chercheurs-étudiants. Nous proposons donc de leur reconnaître la double réalité étudiant/professionnel à la suite de l’obtention de la maîtrise ès sciences. Afin de leur offrir un statut de salarié, il y aurait lieu de modifier la loi québécoise sur les normes du travail et le Code du travail de manière qu’ils puissent profiter des protections sociales traditionnelles (assurance-emploi, assurance parentale, accès aux REER).

Enfin, nous souhaitons que le gouvernement du Québec réalise l’importance d’améliorer le contexte de la recherche en santé et qu’au-delà de ses réflexions et consultations il agisse en faveur: d’une stabilisation de la situation socioéconomique des chercheurs-étudiants et des jeunes chercheurs; d’une reconnaissance du statut de salarié aux chercheurs-étudiants; et d’une évaluation, d’un financement et d’une représentation plus équitable des femmes chercheuses dans le milieu de l’enseignement. Sans demander de traitement de faveur, nous, chercheuses en devenir, souhaitons par ces revendications améliorer les conditions de travail non seulement des femmes et des jeunes parents en recherche, mais également de tous les étudiants qui consacrent leur temps à la recherche en santé au Québec.

Les chercheuses-étudiantes:
Charlène Bélanger
Doctorat en biochimie
Séverine Descombes
Doctorat en sciences neurologiques
Nancy Gélinas

Doctorat en pathologie et biologie cellulaire
Karine Lévesque

Doctorat en microbiologie-immunologie
Marie-Michèle Mantha

Maîtrise en sciences biomédicales


1. «Recherche en santé: enjeux et perspectives», mémoire présenté par l’Association des étudiants aux grades supérieurs de la Faculté de médecine, l’Association des étudiants aux grades supérieurs du Département de biochimie et Force Jeunesse, septembre 2000 (www.aegsfm.umontreal.
ca).
2. Ministère de l’Éducation nationale français, «Les enseignants-chercheurs à l’université: la place des femmes», résumé du rapport du ministère de l’Éducation nationale de la France, 2000.