COURRIER
Quel
avenir pour les femmes en recherche dans le milieu universitaire?
Monsieur
Jean Rochon, ministre de la Recherche, de la Science et de la Technologie,
et Monsieur François Legault, ministre de lÉducation
et de la Jeunesse.
Nous sommes cinq étudiantes aux cycles supérieurs de
la Faculté de médecine qui avons participé activement,
à travers notre association, aux consultations publiques sur
la politique scientifique québécoise tenues durant lété1.
La Marche mondiale des femmes rappelle que de nombreuses femmes subissent
encore des discriminations liées à leur identité
de femme et non à leurs habiletés. Moins médiatisée,
la situation particulière des femmes et des jeunes parents
dans le monde de la recherche universitaire en santé démontre
que les difficultés que vivent quotidiennement les femmes touchent
toutes les couches sociales, peu importe la formation ou lexpertise
professionnelle.
En choisissant une carrière en recherche dans le domaine de
la santé, les jeunes femmes entreprennent un long parcours,
allant de la formation jusquà un poste de chercheur.
À la suite dun baccalauréat, dune maîtrise
et dun doctorat (dune durée totale de 8 à
11 ans), les chercheurs-étudiants sont encouragés à
sexiler pour un stage postdoctoral (dune durée
de 2 à 3 ans) avant de revenir au Québec dans lespoir
de trouver un poste dans une université, un centre hospitalier
ou une entreprise. Durant ces années de formation, nous participons
activement à la recherche universitaire, publions nos travaux
dans les revues spécialisées et représentons
notre université à des congrès internationaux,
contribuant ainsi à la renommée mondiale de la recherche
québécoise en santé. Étant donné
limportance de notre tâche, nous dénonçons
le fait quencore 75% dentre nous, hommes et femmes, vivent
sous le seuil de la pauvreté et nont pas droit aux divers
programmes sociaux offerts au Québec.
Les chercheurs-étudiants qui poursuivent leurs études
afin de devenir chercheurs en milieu universitaire ou hospitalier
font face à une vive concurrence et à des conditions
de travail peu intéressantes. Leur salaire étant obtenu
par concours auprès dorganismes subventionnaires et nétant
garanti que pour une période maximale de deux à trois
ans, les chercheurs-étudiants sont en situation dinstabilité
socioéconomique [
] jusquà ce quils
atteignent 40 ans.
Pour les jeunes qui désirent avoir des enfants, la conciliation
avec la carrière en recherche est particulièrement difficile.
Il nest pas aisé pour eux de fonder une famille durant
les études doctorales ou postdoctorales à létranger
ni dattendre une certaine stabilité demploi puisque
ceci les mènerait à accueillir leur premier enfant à
la fin de la trentaine ou à la quarantaine! En réalité,
la majorité des jeunes femmes considèrent la réussite
familiale au même titre que la réussite professionnelle;
elles décrochent donc en plus grand nombre du système
universitaire, découragées par linstabilité
financière, labsence dassurances collectives et
de programmes daide aux jeunes parents, ainsi que par une vieille
mentalité universitaire qui valorise peu la famille. Dans les
programmes de recherche en santé à lUniversité
de Montréal, les femmes représentent 60% des étudiants
à la maîtrise et 40% des étudiants au doctorat.
Ces proportions dégringolent lorsquon observe leur présence
dans le corps professoral: environ le cinquième sont des femmes.
En plus de soulever la problématique familiale, il nous semble
important de sensibiliser la communauté scientifique aux conditions
qui pourraient être discriminatoires pour les jeunes femmes
en recherche. Dune part, il nous apparaît important de
vérifier que les comités (majoritairement composés
dhommes) chargés dévaluer les dossiers en
vue du recrutement dans la communauté universitaire, de la
reconnaissance des aptitudes ou de lattribution de subventions
reconnaissent à leur juste valeur la compétence et linvestissement
des femmes dans leur profession. Dautre part, une étude
menée par le ministère de lÉducation nationale
français (MENF)2 concluait que les femmes sinvestissent
davantage que les hommes dans les tâches denseignement,
ce qui est peu valorisé dans les dossiers dévolution
de carrière. Afin daméliorer la situation des
femmes dans le secteur de la recherche en santé, le MENF a
proposé quelques mesures auxquelles nous adhérons. Parmi
celles-ci, notons: une évaluation équitable des trois
tâches universitaires (enseignement, recherche et administration);
une vérification du jugement par les pairs dans les dossiers
de candidatures afin quil ne comporte aucun préjugé;
et une représentation équitable des femmes dans les
instances qui effectuent les recrutements et gèrent les carrières
des professeurs-chercheurs.
Lamélioration des conditions de vie et du système
de financement devrait être prioritaire si lon veut maintenir
et garantir le calibre international de la recherche en santé
au Québec. Outre laugmentation du nombre et du montant
des bourses, il y a un besoin concret daméliorer les
conditions socioéconomiques des chercheurs-étudiants.
Nous proposons donc de leur reconnaître la double réalité
étudiant/professionnel à la suite de lobtention
de la maîtrise ès sciences. Afin de leur offrir un statut
de salarié, il y aurait lieu de modifier la loi québécoise
sur les normes du travail et le Code du travail de manière
quils puissent profiter des protections sociales traditionnelles
(assurance-emploi, assurance parentale, accès aux REER).
Enfin, nous souhaitons que le gouvernement du Québec réalise
limportance daméliorer le contexte de la recherche
en santé et quau-delà de ses réflexions
et consultations il agisse en faveur: dune stabilisation de
la situation socioéconomique des chercheurs-étudiants
et des jeunes chercheurs; dune reconnaissance du statut de salarié
aux chercheurs-étudiants; et dune évaluation,
dun financement et dune représentation plus équitable
des femmes chercheuses dans le milieu de lenseignement. Sans
demander de traitement de faveur, nous, chercheuses en devenir, souhaitons
par ces revendications améliorer les conditions de travail
non seulement des femmes et des jeunes parents en recherche, mais
également de tous les étudiants qui consacrent leur
temps à la recherche en santé au Québec.
Les chercheuses-étudiantes:
Charlène Bélanger
Doctorat en biochimie
Séverine Descombes
Doctorat en sciences neurologiques
Nancy Gélinas
Doctorat en pathologie et biologie cellulaire
Karine Lévesque
Doctorat en microbiologie-immunologie
Marie-Michèle Mantha
Maîtrise en sciences biomédicales
1. «Recherche en santé: enjeux et perspectives»,
mémoire présenté par lAssociation des étudiants
aux grades supérieurs de la Faculté de médecine,
lAssociation des étudiants aux grades supérieurs
du Département de biochimie et Force Jeunesse, septembre 2000
(www.aegsfm.umontreal.
ca).
2. Ministère de lÉducation nationale français,
«Les enseignants-chercheurs à luniversité:
la place des femmes», résumé du rapport du ministère
de lÉducation nationale de la France, 2000.