Volume 35 numéro 8
23 octobre
2000


 


Aider les enfants esclaves en Bolivie
C’est le défi qu’ont relevé cinq étudiantes du Département de psychologie.

Cette toile de trois mètres sur deux, réalisée par les quelque 200 enfants qui fréquentent l’organisme Enda, en Bolivie, fait partie de l’exposition nationale Les jeunes cultivent la paix. Ce projet de coopération a été pris en charge par les étudiantes Catherine d’Anjou et Catherine Ross.

En Bolivie, des milliers d’enfants travaillent, sept jours par semaine, dans les plantations de café, les bananeraies, les cimenteries ou les mines ou encore cirent les chaussures sur le bord de la route pour un salaire quotidien de moins de 50 ¢. Ils subviennent à leur mesure aux frais de la famille mais, faute de temps, ne peuvent aller à l’école.

«Une des solutions proposées par les organismes d’aide humanitaire consiste à distribuer des repas gratuits aux jeunes qui fréquentent l’école. Ils reçoivent une formation dans l’avant-midi et le reste de la journée est consacré à leur boulot. Cela n’abolit pas l’esclavage des enfants, mais contribue à changer le cours des choses», affirme Mélany Faucher, étudiante au Département de psychologie.

Avec quatre autres collègues de classe — Milène Richer, Catherine d’Anjou, Geneviève Gauthier et Catherine Ross —, elle a décidé d’apporter son aide à l’un de ces organismes: Enda. L’été dernier, grâce à l’appui de leur professeure Margaret Kiely et du Centre canadien d’étude et de coopération internationale (CECI), les cinq jeunes femmes sont parties travailler huit semaines auprès des enfants des bidonvilles de Trinidad, en Bolivie.

Peut-on vraiment modifier le sort de ces pauvres gens? «On peut améliorer à peine la misère quotidienne des enfants, mais on reçoit beaucoup en retour», répond Milène Richer. Les regards approbateurs de ses compagnes témoignent qu’elles partagent son avis. Avec leur ferveur et beaucoup de travail, elles ont pourtant versé un baume sur la vie de ces enfants démunis.

Certains n’estiment guère la coopération internationale puisqu’elle place les pays en développement en situation de dépendance. Une fois l’aide terminée, la misère revient en force. Sert-elle donc davantage à nous donner bonne conscience? «Là-bas, les besoins sont si grands que même les petites choses font une différence», estime Catherine Ross. Mélany Faucher ajoute toutefois que un pour cent des budgets alloués dans le monde à l’armement pourrait améliorer les conditions de vie des 300 millions d’enfants esclaves.


La professeure Margaret Kiely entourée des cinq étudiantes du Département de psychologie qui se sont rendues en Bolivie pour venir en aide aux enfants démunis. Les jeunes femmes présenteront prochainement une conférence sur leur expérience de coopération.


En sandales

Retour en arrière: après une période d’organisation exigeante et plusieurs heures de formation — dont des cours d’espagnol et des séances d’information sur l’engagement communautaire, la communication interculturelle et les conditions d’hygiène dans les pays du tiers-monde —, les étudiantes émergent de l’avion à La Paz au début mai.

À 4000 m d’altitude, certaines éprouvent des malaises. Mais ce n’est rien avec le choc qui les attend. À La Paz, de nombreux enfants traînent leur misère dans les rues. «Heureusement que le Centre canadien d’étude et de coopération internationale et Mme Kiely nous avaient bien préparées au voyage, lance Catherine d’Anjou. On ne s’embarque pas à l’aveuglette dans ce genre d’aventure.»

Après une semaine d’initiation aux différences culturelles, les cinq jeunes femmes, âgées de 20 à 25 ans, affrontent la chaleur asphyxiante de Trinidad, où l’organisme Enda est situé. Dans cette région amazonienne de la Bolivie, où le seul remède contre la faim et la fatigue est la feuille de coca (l’arbuste dont on tire la cocaïne) qu’on mastique, les soirées fraîches succèdent aux journées chaudes: on peut passer de 30oC à 0oC.

«Parfois la température atteint –20 oC, rapporte Geneviève Gauthier; les familles s’entassent dans des taudis, sans eau ni électricité. Les enfants travaillent dans les cimenteries et les fabriques de céramiques en sandales, sans casque ni gants de protection.»

Au début, les étudiantes distribuent aux enfants des vêtements de travail, des ballons de soccer et des objets utiles. Puis, elles participent graduellement aux activités d’Enda: formation, bricolage, préparation des repas, petits travaux de rénovation, etc. Milène Richer s’aventure même à visiter des familles. Mais convaincre les parents de libérer leur progéniture pour apprendre à lire et à écrire n’est pas chose facile. Ça sert à quoi, au juste, l’école? lui demande-t-on. Difficile à expliquer dans cette région où des campagnes d’alphabétisation ont été menées sans grand succès.

«On apprend avec ce genre d’expérience à reconnaître les limites de nos actions, soutient l’étudiante. Ce n’est pas en séjournant quelques semaines en Bolivie qu’on va changer le monde, mais notre engagement nous permet de mieux le comprendre.»


Une expérience riche en apprentissages

Chaque année, des centaines d’étudiants s’engagent dans des programmes d’échanges à l’étranger. Cela représente une excellente occasion de voyager tout en continuant d’étudier. Le principe du CECI est différent: l’entente de coopération est conclue avec un organisme et non un établissement d’enseignement. C’est un supplément à la formation qui n’apporte pas de crédits, mais qui connaît depuis quelques années une grande popularité auprès des étudiants du Département de psychologie.

Dans le cas de Mélany Faucher, Milène Richer, Catherine d’Anjou, Geneviève Gauthier et Catherine Ross, leur dévouement s’est transformé en projet de stage. «Nous avons demandé au Département de superviser notre projet afin que notre expérience soit créditée, raconte Geneviève Gauthier. Mme Kiely s’est gentiment portée volontaire même si, officiellement, elle est à la retraite.»

Sous la supervision de la dynamique professeure âgée de 68 ans, le projet, surnommé «Corazon de niña» («Coeur de petite fille» en espagnol), se structure de manière à acquérir une plus grande ouverture aux autres cultures et une meilleure écoute des besoins du milieu et, surtout, de façon à permettre l’enrichissement de chacun.

«Ces apprentissages exigent une grande maturité, indique Margaret Kiely. Le plus difficile est d’apprendre aux étudiants à ne pas avoir de trop grandes attentes par rapport à leur stage, sans quoi ils risquent de revenir frustrés ou de ressentir un découragement qui peut les laisser sur le carreau.»

Les étudiantes ont rencontré Forum un an jour pour jour après leur décision de s’engager dans cette aventure. Des regrets? Aucun, sauf celui de n’avoir pu amener avec elles leur professeure. Elles ne perçoivent même pas négativement les nombreuses tâches qu’elles ont eu à accomplir en vue du voyage: rencontres préparatoires, recherches, rédaction de rapports, séances de formation. Sans compter les activités de financement qu’elles ont organisées pour couvrir la totalité des coûts du projet et payer la moitié de leurs frais de séjour en Amérique du Sud; l’autre partie était payée par le CECI.

«On doit investir beaucoup de temps dans la préparation, souligne Catherine d’Anjou, mais l’expérience sur le terrain en vaut vraiment la peine.»

Dominique Nancy