Volume 35 numéro 8
23 octobre
2000


 


Pour que l’eau demeure potable
Niveau de risque et formation, priorités d’une saine gestion de l’eau.

Raymond Desjardins, directeur intérimaire de la Chaire industrielle en eau potable, entouré de Jacinthe Mailly et Mélanie Rivard, associées de recherche.

Se désaltérer à même l’eau du robinet de la maison a longtemps fait partie du quotidien de la plupart des foyers. Mais le contexte n’est plus tout à fait le même depuis quelques années. Les avis de faire bouillir l’eau avant de la consommer se sont multipliés dans certaines villes du Québec. Au printemps dernier, lorsque la qualité douteuse de l’eau a causé la mort de sept personnes de la ville ontarienne de Walkerton, les autorités ont été montrées du doigt et la population canadienne a eu froid dans le dos.

«Nous faisons de l’eau potable à partir des eaux de surface», rappelle Raymond Desjardins, directeur par intérim de la Chaire industrielle en eau potable et professeur à l’École Polytechnique. À son avis, les observateurs ont «plutôt changé de lunettes» depuis 20 ans. Les outils d’observation et de détection au chapitre de la qualité de l’eau se sont améliorés au fil des ans. «Ils permettent de déceler ce qu’on n’arrivait pas à détecter auparavant. Nous nous penchons davantage aujourd’hui sur les effets de la qualité de l’eau sur la santé humaine», souligne-t-il. En outre, relève M. Desjardins, le développement accru des moyens de communication a amené les chercheurs à se comparer avec ceux des autres pays. «Nous devons prospecter partout dans le monde pour nous tenir à l’affût. Et dans le cas de Walkerton, par exemple, des bilans sont effectués et plus de questions sont soulevées.»

Toutefois, certaines épidémies peuvent être difficiles à déceler. «On a estimé, déclare le spécialiste, que jusqu’à 25% d’une population peut être malade sans que l’événement soit remarqué. Sur 200 000 personnes souffrant de gastroentérite, par exemple, 2 seulement iront consulter un médecin.» La plupart toléreront leurs malaises ou s’absenteront de leur travail pour une courte période.


Classement et niveau de risque

À quoi doit-on alors attribuer le problème de la gestion de l’eau potable? «Ça dépend de ce qu’on mesure, répond le professeur. En fait, les eaux qui sont moins à risque ont moins besoin d’être traitées. Quand on a une pollution sérieuse, l’usine agit comme une barrière.» Des grandes villes comme Laval et Repentigny, reconnues comme des modèles, peuvent compter sur une usine très performante, un personnel qualifié et une direction très exigeante quant à la qualité de l’eau.

Le risque de dégradation de la qualité de l’eau peut cependant être plus élevé quand on s’éloigne des grands centres. Certaines petites agglomérations, comptant sur des ressources financières plus limitées, n’ont souvent pas d’usine de traitement dite complète et l’employé en fonction fait bien son travail «tant qu’il n’y a pas de situation spéciale». Un contexte à risque dépend aussi de l’emplacement de la prise d’eau dans la ville ou le village. «S’il est situé en terrain isolé, le danger est moindre. Mais si la région est très touristique et que les agriculteurs y sont nombreux, le risque vient d’augmenter», prévient Raymond Desjardins.

À la lumière de ces faits, un regroupement de spécialistes, formé notamment des chercheurs de la Chaire industrielle en eau potable de l’École Polytechnique et de ceux de l’institut Armand-Frappier, a recommandé au ministère de l’Environnement du Québec que les villes soient classées par niveau de risque. «Les exigences de traitement devraient être fonction de la qualité de l’eau brute (la source initiale d’eau). Plus celle-ci est mauvaise, plus le traitement devrait être radical et plus la barrière devrait être solide», insiste le professeur.

Outre la qualité de l’eau, ne faudrait-il pas aussi s’attaquer à la formation des employés de ces usines? Sans aucun doute, opine M. Desjardins. «Il y a des notions de base que tous les employés devraient connaître. Il ne faut pas nécessairement un cours collégial, mais une formation beaucoup plus sur mesure qui mènerait à une certification. Elle serait liée à la complexité des tâches à accomplir à l’usine en question.»


Coliformes et turbidité

Pour s’assurer de la qualité de l’eau d’une ville, les deux mesures les plus courantes sont les tests de coliformes et de turbidité de l’eau. D’une part, les coliformes sont de deux types: totaux et fécaux. Les premiers se retrouvent à l’état naturel et il est normal d’en compter dans l’eau, mais pas en trop grande quantité. Quant aux coliformes fécaux, ils proviennent des intestins des êtres humains et des animaux à sang chaud et leur espérance de vie est courte. «Si vous constatez la présence de coliformes fécaux dans une eau, c’est qu’il y a eu contamination avec des eaux d’égout. Ce n’est pas nécessairement pathogène, mais il faut être prudent», indique Raymond Desjardins. Notons que les résultats des tests de coliformes sont obtenus 24 heures après les prélèvements.

D’autre part, la turbidité est fonction du nombre de matières en suspension dans l’eau. «Si le nombre de particules augmente, c’est que l’usine n’arrête pas bien la pollution ou qu’il y a contamination», relève le spécialiste. La mesure de turbidité de l’eau a l’avantage de fournir des résultats plus rapidement. Toutefois, rappelle Raymond Desjardins, la turbidité est un indicateur de performance. «Elle détermine si l’usine est capable ou non d’arrêter la pollution. On contrôle par le fait même la qualité des installations.»

Depuis plusieurs années, la norme de turbidité de l’eau au Québec, obtenue au moyen de l’unité néphélémétrique (UTN), se situait à 5. Mais les chercheurs l’ont comparée avec celle d’autres pays. En Chine, en Australie et au Brésil, elle se situe à 1. La France a exigé qu’elle se situe sous cette dernière barre tandis que les États-Unis ont exigé qu’elle soit de 0,5 UTN. Avec la menace qu’a suscitée la tragédie de Walkerton et dans la révision de son règlement sur l’eau potable, qui devrait être adopté au plus tard en janvier 2001, le ministère de l’Environnement a choisi de modifier à la baisse la norme de turbidité de l’eau pour la situer également à 0,5 UTN à 90% du temps. Raymond Desjardins ajoute que quelque 300 usines de traitement aux États-Unis et quelques villes au Québec ont quant à elles fixé leur objectif à 0,1 UTN. «Maintenir cette norme en tout temps, ce n’est pas facile. Il faut l’engagement de tous les employés.»


Tarification de l’eau?

Devra-t-on se résoudre à installer des compteurs d’eau dans la plupart des résidences québécoises? En France, où la majorité des foyers ont des compteurs d’eau, la consommation par personne par jour oscille entre 250 et 300 l, signale Raymond Desjardins. En Amérique du Nord, où les compteurs d’eau sont rarissimes, chaque personne consomme quotidiennement de 500 à 750 l d’eau. À la Ville de Montréal, compte tenu du rapport entre l’eau qui sort de l’usine de traitement et le nombre de personnes desservies — en excluant les usines, grandes consommatrices d’eau, mais en incluant les foyers, les écoles, les divers établissements, etc. —, la consommation par personne par jour atteint de 1100 à 1200 l! «Nous consommons beaucoup trop d’eau, mais nous en avons beaucoup», reconnaît le professeur.

Marie-Josée Boucher
Collaboration spéciale