Pour
que leau demeure potable
Niveau
de risque et formation, priorités dune saine gestion
de leau.
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Raymond
Desjardins, directeur intérimaire de la Chaire industrielle
en eau potable, entouré de Jacinthe Mailly et Mélanie
Rivard, associées de recherche. |
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Se désaltérer
à même leau du robinet de la maison a longtemps
fait partie du quotidien de la plupart des foyers. Mais le contexte
nest plus tout à fait le même depuis quelques années.
Les avis de faire bouillir leau avant de la consommer se sont
multipliés dans certaines villes du Québec. Au printemps
dernier, lorsque la qualité douteuse de leau a causé
la mort de sept personnes de la ville ontarienne de Walkerton, les
autorités ont été montrées du doigt et
la population canadienne a eu froid dans le dos.
«Nous faisons de leau potable à partir des eaux
de surface», rappelle Raymond Desjardins, directeur par intérim
de la Chaire industrielle en eau potable et professeur à lÉcole
Polytechnique. À son avis, les observateurs ont «plutôt
changé de lunettes» depuis 20 ans. Les outils dobservation
et de détection au chapitre de la qualité de leau
se sont améliorés au fil des ans. «Ils permettent
de déceler ce quon narrivait pas à détecter
auparavant. Nous nous penchons davantage aujourdhui sur les
effets de la qualité de leau sur la santé humaine»,
souligne-t-il. En outre, relève M. Desjardins, le développement
accru des moyens de communication a amené les chercheurs à
se comparer avec ceux des autres pays. «Nous devons prospecter
partout dans le monde pour nous tenir à laffût.
Et dans le cas de Walkerton, par exemple, des bilans sont effectués
et plus de questions sont soulevées.»
Toutefois, certaines épidémies peuvent être difficiles
à déceler. «On a estimé, déclare
le spécialiste, que jusquà 25% dune population
peut être malade sans que lévénement soit
remarqué. Sur 200 000 personnes souffrant de gastroentérite,
par exemple, 2 seulement iront consulter un médecin.»
La plupart toléreront leurs malaises ou sabsenteront
de leur travail pour une courte période.
Classement et niveau de risque
À quoi doit-on alors attribuer le problème de la gestion
de leau potable? «Ça dépend de ce quon
mesure, répond le professeur. En fait, les eaux qui sont moins
à risque ont moins besoin dêtre traitées.
Quand on a une pollution sérieuse, lusine agit comme
une barrière.» Des grandes villes comme Laval et Repentigny,
reconnues comme des modèles, peuvent compter sur une usine
très performante, un personnel qualifié et une direction
très exigeante quant à la qualité de leau.
Le risque de dégradation de la qualité de leau
peut cependant être plus élevé quand on séloigne
des grands centres. Certaines petites agglomérations, comptant
sur des ressources financières plus limitées, nont
souvent pas dusine de traitement dite complète et lemployé
en fonction fait bien son travail «tant quil ny
a pas de situation spéciale». Un contexte à risque
dépend aussi de lemplacement de la prise deau dans
la ville ou le village. «Sil est situé en terrain
isolé, le danger est moindre. Mais si la région est
très touristique et que les agriculteurs y sont nombreux, le
risque vient daugmenter», prévient Raymond Desjardins.
À la lumière de ces faits, un regroupement de spécialistes,
formé notamment des chercheurs de la Chaire industrielle en
eau potable de lÉcole Polytechnique et de ceux de linstitut
Armand-Frappier, a recommandé au ministère de lEnvironnement
du Québec que les villes soient classées par niveau
de risque. «Les exigences de traitement devraient être
fonction de la qualité de leau brute (la source initiale
deau). Plus celle-ci est mauvaise, plus le traitement devrait
être radical et plus la barrière devrait être solide»,
insiste le professeur.
Outre la qualité de leau, ne faudrait-il pas aussi sattaquer
à la formation des employés de ces usines? Sans aucun
doute, opine M. Desjardins. «Il y a des notions de base que
tous les employés devraient connaître. Il ne faut pas
nécessairement un cours collégial, mais une formation
beaucoup plus sur mesure qui mènerait à une certification.
Elle serait liée à la complexité des tâches
à accomplir à lusine en question.»
Coliformes et turbidité
Pour sassurer de la qualité de leau dune
ville, les deux mesures les plus courantes sont les tests de coliformes
et de turbidité de leau. Dune part, les coliformes
sont de deux types: totaux et fécaux. Les premiers se retrouvent
à létat naturel et il est normal den compter
dans leau, mais pas en trop grande quantité. Quant aux
coliformes fécaux, ils proviennent des intestins des êtres
humains et des animaux à sang chaud et leur espérance
de vie est courte. «Si vous constatez la présence de
coliformes fécaux dans une eau, cest quil y a eu
contamination avec des eaux dégout. Ce nest pas
nécessairement pathogène, mais il faut être prudent»,
indique Raymond Desjardins. Notons que les résultats des tests
de coliformes sont obtenus 24 heures après les prélèvements.
Dautre part, la turbidité est fonction du nombre de matières
en suspension dans leau. «Si le nombre de particules augmente,
cest que lusine narrête pas bien la pollution
ou quil y a contamination», relève le spécialiste.
La mesure de turbidité de leau a lavantage de fournir
des résultats plus rapidement. Toutefois, rappelle Raymond
Desjardins, la turbidité est un indicateur de performance.
«Elle détermine si lusine est capable ou non darrêter
la pollution. On contrôle par le fait même la qualité
des installations.»
Depuis plusieurs années, la norme de turbidité de leau
au Québec, obtenue au moyen de lunité néphélémétrique
(UTN), se situait à 5. Mais les chercheurs lont comparée
avec celle dautres pays. En Chine, en Australie et au Brésil,
elle se situe à 1. La France a exigé quelle se
situe sous cette dernière barre tandis que les États-Unis
ont exigé quelle soit de 0,5 UTN. Avec la menace qua
suscitée la tragédie de Walkerton et dans la révision
de son règlement sur leau potable, qui devrait être
adopté au plus tard en janvier 2001, le ministère de
lEnvironnement a choisi de modifier à la baisse la norme
de turbidité de leau pour la situer également
à 0,5 UTN à 90% du temps. Raymond Desjardins ajoute
que quelque 300 usines de traitement aux États-Unis et quelques
villes au Québec ont quant à elles fixé leur
objectif à 0,1 UTN. «Maintenir cette norme en tout temps,
ce nest pas facile. Il faut lengagement de tous les employés.»
Tarification de leau?
Devra-t-on se résoudre à installer des compteurs deau
dans la plupart des résidences québécoises? En
France, où la majorité des foyers ont des compteurs
deau, la consommation par personne par jour oscille entre 250
et 300 l, signale Raymond Desjardins. En Amérique du Nord,
où les compteurs deau sont rarissimes, chaque personne
consomme quotidiennement de 500 à 750 l deau. À
la Ville de Montréal, compte tenu du rapport entre leau
qui sort de lusine de traitement et le nombre de personnes desservies
en excluant les usines, grandes consommatrices deau,
mais en incluant les foyers, les écoles, les divers établissements,
etc. , la consommation par personne par jour atteint de 1100
à 1200 l! «Nous consommons beaucoup trop deau,
mais nous en avons beaucoup», reconnaît le professeur.
Marie-Josée
Boucher
Collaboration spéciale