Volume 35 numéro 8
23 octobre
2000


 


Comme le disait si bien Wen zi…
Spécialiste de la philosophie chinoise ancienne, Charles Le Blanc vient de traduire un texte important du taoïsme tout en éclairant le mystère de ses origines.

L’analyse du Wen zi proposée par Charles Le Blanc a été très bien reçue par les spécialistes de la question au récent congrès international des études asiatiques et nord-africaines.

Pour la plupart d’entre nous, la philosophie chinoise ancienne se résume à un nom, Confucius. Pour quelques-uns, Lao zi (ou Lao-tseu) est associé à l’origine du taoïsme. Mais qui a jamais entendu parler de Wen zi?

Wen zi, ou le maître raffiné, était un contemporain de Confucius et probablement un disciple de Lao zi, le vieux maître. L’oeuvre qui porte son nom a marqué le taoïsme tardif et se trouve au centre d’une polémique chez les spécialistes de cette philosophie. Toutefois, cette oeuvre est demeurée jusqu’ici inédite en Occident.

Mais comme on trouve de tout dans une université, même des gens pour traduire d’obscurs textes chinois, nous avons à l’Université de Montréal notre spécialiste de la question, Charles Le Blanc, qui a été le premier à traduire le Wen zi en langue occidentale en plus d’effectuer une analyse philologique et philosophique de textes modernes et anciens.


Le taoïsme

On a toujours suspecté le Wen zi moderne d’être un faux. Des doutes sérieux subsistent à propos de son auteur, de sa date et des idées qu’il contient.

«Pour la philosophie taoïste, explique Charles Le Blanc, la nature et l’univers sont gouvernés par des principes métaphysiques invisibles qui sont les seules sources de création reconnues. L’action humaine est alors dépréciée; ce qui importe, c’est d’atteindre le non-être, qui est la source de tout. Ce n’est que parvenu à ce point qu’on devient véritablement créateur, qu’on peut “ne rien faire et ne rien laisser qui ne soit fait”. Le chef doit ainsi donner l’impression au peuple que c’est la nature qui agit à travers lui.»

Devant ce principe fondamental, le Wen zi apparaît réformateur: «Il délaisse les principes métaphysiques pour la sagesse appliquée et réhabilite l’action humaine, souligne le professeur. Les philosophes de l’époque étaient en fait des conseillers des rois; ils se basaient sur leurs principes philosophiques pour guider les programmes politiques et militaires des souverains.»

Mais le Wen zi moderne est écrit sous forme de dialogue non pas entre un philosophe et un roi mais entre deux philosophes, Wen zi lui-même et Lao zi. Ces personnages ont vécu au 6e siècle avant notre ère alors que les experts chinois estiment que le Wen zi a été écrit entre le 2e et le 7e siècle de notre ère.

En 1973, une découverte archéologique a apporté de nouvelles données. Quelque 277 tiges de bambou, marquées de 2790 caractères, ont été mises au jour dans un tombeau à Dingxian, à 200 km à l’est de Beijing. Ces artéfacts, datant du 4e siècle avant notre ère, s’avèrent être des passages du Wen zi moderne.

Plusieurs rouleaux de ces tiges de bambou reliées comme des clôtures à neige ont servi de combustible à des pillards. «Heureusement, ce qui reste est bien préservé, mentionne Charles Le Blanc. Le bambou se conserve bien et les caractères sont non seulement inscrits à l’encre noire mais gravés sur le bois.» Il a tout de même fallu 22 ans à 12 chercheurs pour reconstituer le texte, qui n’a été publié qu’en 1995.


Un gouvernement efficace

La contribution de Charles Le Blanc est d’avoir effectué une étude comparative du texte commun avec le Wen zi moderne et celui sur bambou, et d’avoir traduit en français ces deux textes qui ne l’avaient jamais été dans une langue occidentale.
«Nous sommes en présence de deux oeuvres différentes, estime-t-il. Sur le texte de bambou, le dialogue se tient entre Wen zi et le roi Ping; le roi pose des questions et Wen zi y répond à la lumière des principes taoïstes. Le Wen zi moderne apparaît comme une oeuvre syncrétique dont seulement le tiers serait emprunté au Wen zi ancien. Un autre tiers aurait été emprunté à un autre courant taoïste du 2e siècle avant notre ère, le Huainan zi, alors que le reste pourrait provenir de diverses sources ou de l’auteur lui-même.»

Le dialogue entre le philosophe et son roi révèle des préoccupations aussi contemporaines qu’éternelles: comment assurer un gouvernement efficace, comment garder le pouvoir politique et militaire, comment gagner le coeur du peuple. Si nos politiciens se mettaient au taoïsme, ils pourraient peut-être y trouver des trucs pour la prochaine élection.

Les amateurs de philosophie chinoise qui veulent tout savoir sur le Wen zi pourront prendre connaissance de l’analyse de Charles Le Blanc dans un volume qu’il vient de publier aux PUM, Le Wen zi à la lumière de l’histoire et de l’archéologie. Selon l’auteur, les parties synthétiques sont accessibles à tout néophyte intéressé par le taoïsme alors que les parties analytiques s’adressent à une clientèle plus érudite.

Daniel Baril