Volume 35 numéro 8
23 octobre
2000


 


Un criminologue auprès des jeunes décrocheurs
L’Ancre des jeunes, aidé par Centraide, amène les jeunes à raccrocher.

Louis Bellemare coordonne les activités de jour à l’Ancre des jeunes, à Verdun. Sa formation de criminologue lui est utile. En effet, rares sont les jeunes, ici, qui n’ont pas commis un délit. Et puis, il y a la drogue, l’alcool dès l’âge de 13 ans…

À Verdun, 45% des jeunes quittent l’école avant d’obtenir leur diplôme d’études secondaires. Une trentaine d’entre eux se retrouvent chaque année dans un ancien salon mortuaire transformé en salle multidisciplinaire, à l’angle des rues Wellington et Lasalle: l’Ancre des jeunes. Ils apprennent à reconstruire leur confiance en soi afin de retourner à l’école.

«L’ancre d’un bateau sert à éviter qu’il dérive; de plus, elle permet de l’immobiliser à bon port avant de repartir», dit Louis Bellemare, l’un des fondateurs de cet organisme communautaire. Comptant une dizaine de salariés et autant de bénévoles, l’Ancre des jeunes existe depuis 10 ans et est financé par Centraide à raison de 80,000$ par année sur un budget de 250,000$.

Au moment du passage de Forum, la maison aux pièces spacieuses accueillait des adolescents de 14 à 16 ans. L’un travaillait à une pièce de pyrogravure, un autre étudiait l’anglais, un autre encore les mathématiques. Chacun était assisté d’un adulte. Lorsque la cloche annonçant la fin de l’atelier a sonné, les jeunes sont descendus au sous-sol pour une partie de ping-pong ou de baby-foot; les «profs» se sont retrouvés dans la cuisinette pour un café. «Nous sommes très stricts sur la ponctualité et le respect des horaires, signale Louis Bellemare. Mais les jeunes aiment cet aspect. Ils savent qu’ils n’ont pas une grande marge de manoeuvre.»

Avec un taux de «raccrochage» de 83%, l’Ancre a acquis une excellente réputation dans le milieu. À tel point que les écoles du quartier collaborent au programme: les décrocheurs peuvent y passer les examens d’étape qu’ils auraient dû réussir à l’école. Lorsqu’ils retourneront en classe, leurs succès seront crédités. «Nous accueillons ici des jeunes en situation de crise. Ils entretiennent un sentiment d’échec généralisé. Ils doivent tout d’abord se prendre en main. Personne ne les force à venir, mais s’ils veulent rester ils doivent se mobiliser. La liste d’attente est longue», dit Louis Bellemare.


Rebâtir une confiance en soi

D’abord, il faut les encourager à réussir de petites choses. La maison compte, outre des salles de leçons individuelles, un laboratoire photo, une cuisine (pour apprendre à faire la popote) et plusieurs ateliers: cuir, bois, vitrail, émail sur cuivre, aérographe, mécanique, etc. Il y a même une pièce consacrée à la fabrication de fusées miniatures. «À la première visite d’un jeune, on lui fait visiter la maison, et c’est à lui de choisir les ateliers qui lui conviennent le mieux. Puis, on lui donnera un horaire qu’il devra suivre.»

En principe, on accepte tout le monde à l’Ancre des jeunes. En pratique, la priorité est accordée aux plus jeunes. «À 14 ou 15 ans, très peu de décrocheurs se trouvent du travail. Leur seule issue, c’est la rue. C’est pourquoi nous les considérons comme des cas urgents.»

Les parents, le centre local de services communautaires et les écoles lui envoient la plupart des clients. Mais compte tenu du nombre de bénévoles et de l’espace disponible, le nombre est limité à 25. Les garçons sont de loin les plus nombreux. «Nous pourrions être trois centres l’un à côté de l’autre et nous ne nous ferions pas concurrence. Les besoins sont immenses», dit Louis Bellemare.


Des adultes appréciés

Les jeunes décrocheurs qui arrivent à l’Ancre ont presque toujours eu des relations conflictuelles avec les adultes. Au cours de leurs leçons, ils découvrent que les adultes peuvent être des «transmetteurs de passion», signale le criminologue membre de la communauté religieuse des Frères du Sacré-Coeur. «Un de nos bénévoles, Roch, a enseigné les mathématiques durant 50 ans. Depuis qu’il a pris sa retraite, il les enseigne à nos jeunes.»

Un autre bénévole, Maurice, a 80 ans et anime l’atelier d’émail sur cuivre. Il a un succès fou. Louis Bellemare, à titre de coordonnateur des programmes de jour, rencontre chaque semaine, individuellement, tous les élèves. Il peut passer une heure avec chacun. «Nous appelons cela un suivi. Nous devons savoir comment le jeune évolue dans le cadre de l’Ancre.»

L’organisme s’occupe aussi de prévention auprès des élèves qui risquent de décrocher. Une psychoéducatrice, Véronique Ross, coordonne ces programmes qui débutent après l’école et qui touchent une quarantaine d’élèves. Ils viennent approfondir leurs matières faibles ou participer aux ateliers.

Dès ses études en criminologie, Louis Bellemare savait qu’il s’engagerait auprès des jeunes en difficulté. Après avoir travaillé dans un centre pour délinquants, puis dans un centre d’accueil, il a fondé l’Ancre. «C’est certain que nous recommençons toujours avec de nouveaux jeunes, et quelques bénévoles trouvent ça dur pour le moral. Mais quand un ancien vient nous voir pour nous dire qu’il a obtenu son diplôme ou qu’il poursuit ses études, ça nous encourage. Nous savons que notre travail est utile.»

Mathieu-Robert Sauvé