Volume 35 numéro 8
23 octobre 2000


 


La lourde mission des enseignants en science
40% de la population ne posséderait pas les préalables pour maîtriser la pensée scientifique.

«Les enseignants en science doivent faire quelque chose pour combattre le fléau des pseudosciences», soutient Serge Larivée.

Les enseignants en science au primaire et au secondaire ne luttent pas à armes égales contre les tenants des pseudosciences qui séduisent leurs élèves et court-circuitent leurs efforts. Leur vigilance doit donc être d’autant plus grande.

C’est le message que lançait Serge Larivée, professeur à l’École de psychoéducation, aux membres de l’Association des professeurs de sciences à leur congrès tenu les 12, 13 et 14 octobre à la Faculté des sciences de l’éducation.

Ces enseignants ont fort à faire puisque, de tous les groupes de professionnels, il semble que ce soit parmi les enseignants du primaire et du secondaire qu’on retrouve le plus haut taux de croyance aux pseudosciences. Une étude française montre par exemple que 65 % des instituteurs croient au paranormal, contre 20 % chez les agriculteurs. Selon Serge Larivée, le phénomène serait le même au Québec. «Les enseignants agissent comme des courroies de transmission de ces croyances», affirme-t-il.


Un fait social entretenu

Mais ils ne sont pas les seuls: une étude effectuée auprès des étudiants en sciences à l’Université de Nice montre que 68 % d’entre eux croient à la torsion de fourchettes par la pensée, alors que seulement 18 % croient à la théorie d’Einstein sur la dilatation du temps. Même les membres du Mensa, ce club sélect de gros QI, n’y échappent pas: 51 % d’entre eux croient à la divination et 73 % à la télépathie.

Serge Larivée a d’ailleurs rappelé la présence de contenus pseudo-scientifiques, comme le balancement des chakras et l’inconscient collectif jungien soumis à l’influence des planètes, dans certains programmes universitaires.

«La croyance au paranormal est un fait social et l’éducation n’y change rien», constate-t-il. Il a même recensé pas moins de 307 approches proposant autant d’explications pseudoscientifiques toutes plus séduisantes les unes que les autres, allant de la numérologie à l’homéopathie en passant par le port de casquettes doublées de papier d’aluminium pour éviter que les extraterrestres lisent nos pensées!

S’il ne s’agissait que d’un fait social, cela pourrait ne pas être très grave en soi. Mais le professeur s’indigne lorsqu’il constate que l’inclusion du paranormal dans les manuels scolaires a été, entre 1988 et 1995, une consigne donnée par le ministère de l’Éducation aux producteurs de manuels.

«Les enfants sont sans défense devant le merveilleux, souligne-t-il. Si l’on met sur le même pied science et pseudoscience, on les empêche de tracer la ligne entre les deux et l’on alimente la pensée magique. Comme disait Pierre Foglia, on en fait de futurs clients de Jojo Savard. Vous devez faire quelque chose pour combattre ce fléau», a-t-il lancé à son auditoire.


Dispositions naturelles et pensée formelle

Pour lutter contre un tel ennemi, les enseignants en science n’ont que la méthode scientifique comme arme. Le combat n’est pas facile puisque cette méthode, contrairement au paranormal, est difficile à acquérir, peu emballante et demande des efforts constants. Pour Serge Larivée, elle n’est d’ailleurs pas quelque chose de naturel ou de spontané chez l’humanoïde bipède qui a très bien vécu sans cet outil jusqu’à il y a à peine 500 ans.

Comme autres embûches, il y a le fait que l’être humain se satisfait de ses propres croyances, puisqu’elles sont le produit de son cerveau, plutôt que de chercher à saisir les lois de la nature. Les croyances lui fournissent également le sens dont il a besoin pour vivre en équilibre. De plus, dans la perception du réel, les émotions priment sur la raison. «C’est pourquoi les faits opposés aux croyances paranormales ne parviennent pas à renverser ces croyances», constate Serge Larivée.

La méthode scientifique s’apprend donc au prix de gros efforts. «Pour maîtriser cette approche, il faut contrôler les instruments cognitifs de la pensée formelle qui permettent d’établir des schèmes de proportion, de probabilité, de corrélation, de même que l’analyse combinatoire et le raisonnement hypothétique et déductif», explique le professeur.

Ces habiletés cognitives sont nécessaires pour comprendre, par exemple, le fonctionnement d’un circuit électrique, la mécanique de Newton ou le tableau des éléments chimiques. Mais selon les travaux de Serge Larivée, conformes à d’autres études américaines, chez 40 % de la population ces structures cognitives sont insuffisamment développées pour permettre d’accueillir les contenus scientifiques.

Loin de vouloir décourager son auditoire en présentant la mission comme impossible, Serge Larivée a surtout voulu démontrer l’importance d’être proactif pour résister à l’attraction naturelle du paranormal et à son envahissement dans l’enseignement primaire et secondaire. Les prétentions des pseudosciences doivent être déconstruites par la confrontation avec les faits; ce rôle de chien de garde revient, à son avis, aux enseignants en science puisque c’est surtout dans cet enseignement que les schèmes de la pensée formelle peuvent être développés.

Daniel Baril


Formation des enseignants en science et Maison des technologies
C’est le vice-recteur à la recherche, Alain Caillé, qui est également président de l’ACFAS, qui a prononcé le mot d’ouverture au congrès de l’Association des professeurs de sciences.

M. Caillé en a profité pour présenter la position de l’Université de Montréal concernant le projet de politique scientifique du ministre Rochon, projet qui aborde notamment la question de la formation des enseignants en science. L’Université, de même que l’ACFAS, souhaiterait revenir à la formule d’avant 1990, c’est-à-dire que la formation de ces enseignants comprenne un baccalauréat dans une discipline scientifique, complété par une année de pédagogie pouvant être une année de maîtrise.

Actuellement, la formation universitaire en enseignement couvre deux disciplines en deux ans, terminée par une année de pédagogie et une année de stage.
«Notre position ne correspond pas aux orientations du ministère de l’Éducation, mais elle a été bien reçue par le ministre Rochon», a fait savoir M. Caillé.

Le vice-recteur a également annoncé la création prochaine, dans le cadre du projet de Technopole-Montréal, de la Maison des technologies de formation et d’apprentissage. «Il s’agira d’un lieu d’élaboration d’outils informatiques destinés à l’enseignement et à l’apprentissage des sciences, des mathématiques et du génie. La Maison verra également au transfert technologique de ces outils vers les utilisateurs et servira de lieu de rencontre et de partage entre la communauté universitaire et les autres ordres d’enseignement.»

Déjà 10 M$ ont été consentis par la fondation DeSève à ce projet.

D.B.