Volume 35 numéro 7
16 octobre 200
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La mondialisation ne rend pas la nation inutile
La question canado-québécoise a dominé le débat d’ouverture des 13es Entretiens Jacques-Cartier.

Bernard Landry, Raymond Barre, Bob Rae et Philippe Séguin sont d’accord: les politiciens ont encore un rôle à jouer malgré la mondialisation.

Événement plutôt rare, quatre politiciens se sont montrés unanimes au débat d’ouverture des 13es Entretiens Jacques-Cartier le 3 octobre dernier. Bernard Landry, vice-premier ministre du Québec, Bob Rae, ex-premier ministre de l’Ontario, Raymond Barre, maire de Lyon et ancien premier ministre de France, et Philippe Séguin, député et ancien président de l’Assemblée nationale française, sont d’accord pour dire que la mondialisation des marchés ne rend pas l’idée de nation dépassée ni son rôle inutile.

Pour Bob Rae, loin de rendre l’État caduc, la mondialisation montre l’importance de mesures sociales fortes, d’un État plus efficace et plus ouvert, laissant davantage de pouvoir aux citoyens. Par contre, il est tout aussi illusoire, à son avis, de penser qu’il faut résister de toutes ses forces à ce courant parfois décrit comme le triomphe du capitalisme et de l’homogénéité. L’interdépendance des nations lui apparaît plus importante que la souveraineté et les sociétés fondées sur le nationalisme auraient plus de difficultés à s’adapter aux changements actuellement en cours que les sociétés multiculturelles.

Le vice-premier ministre du Québec, Bernard Landry, a pour sa part mis l’accent sur le sentiment d’appartenance et la notion d’identité qui passent nécessairement par la nation. «La solidarité a besoin du repère de la nation pour s’exprimer, a-t-il soutenu. Même dans l’Europe intégrée, la démocratie s’exerce d’abord et surtout à l’échelle nationale. Sans institution nationale, la mondialisation risque de conduire à l’anarchie.»

Une idée sur laquelle a renchéri Philippe Séguin: «La démocratie et la solidarité nécessitent un sentiment communautaire fort pour accepter la volonté de la majorité et la lutte contre la pauvreté; ce sentiment est assuré par la nation. La nation n’est pas la victime obligée de la mondialisation, mais le passage obligé.» Contrairement au discours dominant, l’idée de nation lui semble même porteuse de valeurs progressistes.

Raymond Barre, qui a déjà présidé le Conseil de l’Union européenne, a souligné que cette institution supranationale, avec ses lois antitrusts et sa monnaie commune, se veut une réplique à la mondialisation, à l’homogénéité et à la monnaie unique, qui serait le dollar américain. Aux États-Unis, le procès contre Microsoft est un exemple qui montre, à ses yeux, que l’État continue d’avoir un rôle important à jouer malgré la mondialisation.

Bref, les politiciens sont d’accord pour dire que la mondialisation ne les rendra pas inutiles. Mais personne n’a souligné que leurs pouvoirs se rétrécissent au fur et à mesure qu’augmente le pouvoir de ceux qui dirigent le marché.


Landry contre Rae

Le consensus s’est arrêté à l’utilité de la nation alors que le débat a rapidement glissé sur la question constitutionnelle canadienne. En critiquant l’approche nationaliste, Bob Rae avait en fait tendu une perche à Bernard Landry, perche que celui-ci s’est empressé de saisir.

«Le Canada manque de vision lorsqu’il considère le Québec comme une simple province, a déclaré M. Landry. Contrairement à l’Ontario, qui n’est pas une nation et qui ne revendique pas d’État, le Québec est une nation qui réclame son État.» Le vice-premier ministre ne voit pas comment une Sheila Copps, même bien intentionnée, pourrait défendre, au Sommet des Amériques, la culture de Gilles Vigneault.

Bob Rae a dit qu’il reconnaissait le caractère distinct du Québec, tel que le définissait le projet du lac Meech, mais que la souveraineté n’était jamais quelque chose d’absolu et qu’elle ne lui paraissait pas un enjeu fondamental dans le contexte de la mondialisation.

Le ping-pong constitutionnel a duré un bon moment sans que les invités français puissent vraiment intervenir dans ce sport national, pas plus que le public d’ailleurs. Alors que les files s’étiraient devant les micros, seulement deux interventions ont été acceptées de la salle, dont l’une venant d’un autre politicien, Daniel Turp, qui a ramené le débat sur la querelle Canada-Québec.

Professeur en congé de la Faculté de droit, M. Turp a souligné que, selon Bob Rae, «la souveraineté est une notion dépassée lorsqu’on la revendique, mais essentielle lorsqu’on l’a».

«Le Québec est souverain dans ses domaines de compétence», a répondu M. Rae tout en soulignant, de concert avec Bernard Landry, que leurs positions respectives sur cette question ne risquaient pas de changer en un après-midi.

Daniel Baril