Volume 35 numéro 7
16 octobre 2000




Le nouveau contrat social désavantage les jeunes
Des démographes s'attaquent à la question intergénérationnelle.

«Puisque l’économie va bien, nous devrions mettre de l’argent de côté pour assurer la survie du système de santé du Québec pour les 20 ou 30 prochaines années. Sinon, l’aspect universel et gratuit de ce système sera sérieusement compromis. Or, qui prendra cette décision? Personne. Tout le monde veut régler des problèmes immédiats.»

En s’exprimant ainsi, François Rebello a proposé au colloque «Le contrat social à l’épreuve des changements démographiques» une image qui valait mille mots. Si tous se réjouissent de la relance économique actuelle, nul ne veut s’engager pour assurer la survie des programmes sociaux de l’avenir. Or, un principe économique veut qu’en période de croissance les administrateurs mettent de côté des sommes qui permettront de traverser d’autres récessions. Mais peut-on agir ainsi quand une société traîne déjà une lourde dette? Non? Alors qu’elle commence par la rembourser! Cependant, le seul fait d’évoquer le remboursement de la dette publique, c’est s’exposer aux foudres de toute l’élite syndicale et politique du Québec. «Il ne reste que les projets à court terme», déplore le porte-parole des jeunes, coordonnateur du groupe Le pont entre les générations, qui loge à la Faculté de théologie de l’Université de Montréal.

Il estime qu’il existe un moyen d’assurer la survie du système sans toucher à l’éducation ou à l’environnement: puiser dans les caisses de retraite. «Les rendements mirobolants des caisses de retraite — jusqu’à 15% — ne sont pas dus à la compétence de ceux qui ont placé cet argent, mais aux circonstances favorables de l’économie. Il me semblerait normal qu’une partie de ces sommes retourne à la société…»

Évidemment, ces propos n’ont pas fait l’unanimité chez les participants à la table ronde en clôture du colloque. Jane Jenson, professeure au Département de science politique, estime que le débat intergénérationnel ne fait que masquer des problèmes plus profonds. Ce sont encore les femmes qui paient la facture des inégalités sociales, quel que soit leur âge. Pour Yves Séguin, ancien ministre du Revenu et aujourd’hui banquier, le vieillissement de la population et la mauvaise répartition des payeurs de taxes (de 49% à 51% des gens ne paient pas d’impôts, a-t-il dit) sont les vrais problèmes de la fiscalité qui menacent le contrat social.

Mais un démographe d’Italie, Antonio Golini, a rapporté que son pays traversait une crise dont les effets se feraient longtemps sentir. À peine 13% de la population y est âgée de moins de 15 ans et près du tiers a 60 ans et plus. «Y a-t-il un nouveau contrat social? Oui, à cause du vieillissement de la population. Ainsi le nombre d’enseignants pour l’école primaire augmente sans cesse, alors que le nombre d’enfants au pays est passé de 5 à 2,5 millions au cours des dernières années.» La solution, pour le démographe, passe par la solidarité intergénérationnelle. Par exemple par une forme de service civil obligatoire.


Dénis et esquives

Présenté dans le cadre des 13es Entretiens du centre Jacques-Cartier, «Le contrat social à l’épreuve des changements démographiques» s’est donc attaqué principalement aux questions intergénérationnelles. Responsables scientifiques, les démographes Alain Bideau, Jacques Légaré et Jacques Véron, respectivement de l’Université Lumière-Lyon II, de l’Université de Montréal et de l’Institut national d’études démographiques de France, ont demandé à une trentaine de conférenciers de présenter leur vision de la question. Durant trois jours, les experts ont abordé différents thèmes, y compris les problèmes du marché du travail en mutation, de la retraite et de la famille.

Force est de constater que la question intergénérationnelle est abordée très différemment selon l’origine des intervenants. Il faut dire qu’en France le discours intergénérationnel, particulièrement en ce qui concerne le démantèlement de l’État-providence, est associé à la droite, sinon l’extrême droite politique. Les universitaires sont donc très réticents à prendre une position claire en faveur des jeunes. Le politologue Louis Chauvel, de l’Institut d’études politiques de Paris, a cependant fait une présentation remarquée en faveur d’une meilleure équité.

Le directeur de recherche du Laboratoire d’économie théorique et appliquée de l’École normale supérieure de Paris, André Masson, a cependant incarné le courant de l’universitaire réticent. Ses propos paraissaient d’autant plus prudents qu’ils succédaient à un véritable cri du coeur pour une meilleure solidarité intergénérationnelle lancé par Jacques Grand-Maison.

Élogieux à l’endroit des gens qui tendent la main d’une génération à l’autre et très sévère à l’égard des groupes de pression centrés sur eux-mêmes (par exemple les grands-parents opposés à la loi sur l’obligation parentale), M. Grand-Maison a de l’espoir. En effet, les sociologues constatent un retour des personnes âgées dans le monde du travail. Plus de 26% des gens de 65 ans et plus retournent sur le marché du travail après avoir tant vanté et valorisé la vie de rentier et de retraité. Plusieurs le font pour des raisons essentiellement matérielles, mais un certain nombre le font «pour surmonter la déception de leur oisiveté de rentier ou leur solitude ou encore pour redonner un sens à leur vie», selon le théologien.

À la réalité indiscutable des démographes concernant le vieillissement de la population, partout en Occident, M. Grand-Maison répond par une meilleure solidarité, bien sûr. Un plus grand nombre de ponts entre les générations…

Mathieu-Robert Sauvé