Le
nouveau contrat social désavantage les jeunes
Des démographes
s'attaquent à la question intergénérationnelle.
«Puisque
léconomie va bien, nous devrions mettre de largent
de côté pour assurer la survie du système de santé
du Québec pour les 20 ou 30 prochaines années. Sinon,
laspect universel et gratuit de ce système sera sérieusement
compromis. Or, qui prendra cette décision? Personne. Tout le
monde veut régler des problèmes immédiats.»
En sexprimant ainsi, François Rebello a proposé
au colloque «Le contrat social à lépreuve
des changements démographiques» une image qui valait
mille mots. Si tous se réjouissent de la relance économique
actuelle, nul ne veut sengager pour assurer la survie des programmes
sociaux de lavenir. Or, un principe économique veut quen
période de croissance les administrateurs mettent de côté
des sommes qui permettront de traverser dautres récessions.
Mais peut-on agir ainsi quand une société traîne
déjà une lourde dette? Non? Alors quelle commence
par la rembourser! Cependant, le seul fait dévoquer le
remboursement de la dette publique, cest sexposer aux
foudres de toute lélite syndicale et politique du Québec.
«Il ne reste que les projets à court terme», déplore
le porte-parole des jeunes, coordonnateur du groupe Le pont entre
les générations, qui loge à la Faculté
de théologie de lUniversité de Montréal.
Il estime quil existe un moyen dassurer la survie du système
sans toucher à léducation ou à lenvironnement:
puiser dans les caisses de retraite. «Les rendements mirobolants
des caisses de retraite jusquà 15% ne sont
pas dus à la compétence de ceux qui ont placé
cet argent, mais aux circonstances favorables de léconomie.
Il me semblerait normal quune partie de ces sommes retourne
à la société
»
Évidemment, ces propos nont pas fait lunanimité
chez les participants à la table ronde en clôture du
colloque. Jane Jenson, professeure au Département de science
politique, estime que le débat intergénérationnel
ne fait que masquer des problèmes plus profonds. Ce sont encore
les femmes qui paient la facture des inégalités sociales,
quel que soit leur âge. Pour Yves Séguin, ancien ministre
du Revenu et aujourdhui banquier, le vieillissement de la population
et la mauvaise répartition des payeurs de taxes (de 49% à
51% des gens ne paient pas dimpôts, a-t-il dit) sont les
vrais problèmes de la fiscalité qui menacent le contrat
social.
Mais un démographe dItalie, Antonio Golini, a rapporté
que son pays traversait une crise dont les effets se feraient longtemps
sentir. À peine 13% de la population y est âgée
de moins de 15 ans et près du tiers a 60 ans et plus. «Y
a-t-il un nouveau contrat social? Oui, à cause du vieillissement
de la population. Ainsi le nombre denseignants pour lécole
primaire augmente sans cesse, alors que le nombre denfants au
pays est passé de 5 à 2,5 millions au cours des dernières
années.» La solution, pour le démographe, passe
par la solidarité intergénérationnelle. Par exemple
par une forme de service civil obligatoire.
Dénis et esquives
Présenté dans le cadre des 13es Entretiens du centre
Jacques-Cartier, «Le contrat social à lépreuve
des changements démographiques» sest donc attaqué
principalement aux questions intergénérationnelles.
Responsables scientifiques, les démographes Alain Bideau, Jacques
Légaré et Jacques Véron, respectivement de lUniversité
Lumière-Lyon II, de lUniversité de Montréal
et de lInstitut national détudes démographiques
de France, ont demandé à une trentaine de conférenciers
de présenter leur vision de la question. Durant trois jours,
les experts ont abordé différents thèmes, y compris
les problèmes du marché du travail en mutation, de la
retraite et de la famille.
Force est de constater que la question intergénérationnelle
est abordée très différemment selon lorigine
des intervenants. Il faut dire quen France le discours intergénérationnel,
particulièrement en ce qui concerne le démantèlement
de lÉtat-providence, est associé à la droite,
sinon lextrême droite politique. Les universitaires sont
donc très réticents à prendre une position claire
en faveur des jeunes. Le politologue Louis Chauvel, de lInstitut
détudes politiques de Paris, a cependant fait une présentation
remarquée en faveur dune meilleure équité.
Le directeur de recherche du Laboratoire déconomie théorique
et appliquée de lÉcole normale supérieure
de Paris, André Masson, a cependant incarné le courant
de luniversitaire réticent. Ses propos paraissaient dautant
plus prudents quils succédaient à un véritable
cri du coeur pour une meilleure solidarité intergénérationnelle
lancé par Jacques Grand-Maison.
Élogieux à lendroit des gens qui tendent la main
dune génération à lautre et très
sévère à légard des groupes de pression
centrés sur eux-mêmes (par exemple les grands-parents
opposés à la loi sur lobligation parentale), M.
Grand-Maison a de lespoir. En effet, les sociologues constatent
un retour des personnes âgées dans le monde du travail.
Plus de 26% des gens de 65 ans et plus retournent sur le marché
du travail après avoir tant vanté et valorisé
la vie de rentier et de retraité. Plusieurs le font pour des
raisons essentiellement matérielles, mais un certain nombre
le font «pour surmonter la déception de leur oisiveté
de rentier ou leur solitude ou encore pour redonner un sens à
leur vie», selon le théologien.
À la réalité indiscutable des démographes
concernant le vieillissement de la population, partout en Occident,
M. Grand-Maison répond par une meilleure solidarité,
bien sûr. Un plus grand nombre de ponts entre les générations
Mathieu-Robert
Sauvé