Volume 35 numéro 7
16 octobre 200
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Les neiges du Kilimandjaro… avec un mal de dos
En 2000, Micheline Gagnon remporte le prix de l’Association canadienne de biomécanique et atteint le plus haut sommet d’Afrique.

On aperçoit la plateforme mise au point par l’équipe de Micheline Gagnon. «C’est la grande force de notre laboratoire», dit-elle. Des capteurs y enregistrent la moindre pression des pieds, et les volontaires portent jusqu’à 35 marqueurs enregistrés sur vidéo.

Cinq ans après avoir connu des problèmes de dos majeurs qui l’ont forcée à être traitée d’urgence à l’hôpital, Micheline Gagnon a atteint, le 11 août dernier, le sommet du Kilimandjaro, en Tanzanie. «J’ai encore mal au dos, dit cette professeure du Département de kinésiologie. Mais je n’ai jamais plus ressenti de douleurs comme durant mes crises de 1995.»

Le traitement-choc que cette spécialiste de la biomécanique s’est imposé a de quoi surprendre: la salle de musculation cinq fois par semaine et la marche en montagne presque chaque week-end en compagnie de randonneurs expérimentés. Les Adirondacks et la plupart des hauts sommets de la Nouvelle-Angleterre n’ont plus de secrets pour elle. C’est à l’âge de 57 ans qu’elle a décidé d’affronter l’un des plus hauts sommets «non techniques» du monde, à 5895 m d’altitude. «On dit “non technique” parce que l’ascension ne nécessite pas d’équipement d’alpinisme.»

Même si elle a pu compter sur l’aide de porteurs pour le transport du matériel, l’expédition n’a pas été du gâteau. D’ailleurs, seules 7 personnes parmi les 14 ayant pris le départ ont atteint le sommet. Le manque d’oxygène et, surtout, le froid l’ont fait souffrir. «J’ai souffert d’engelures. Je commence tout juste à récupérer la sensibilité aux orteils.»

Des souvenirs du sommet? Presque aucun. «Nous avons pris quelques photos et nous sommes redescendus, car une longue route nous attendait.»


Le 11 août dernier, Micheline Gagnon a atteint le sommet du plus haut volcan au monde, le Kilimandjaro. Seuls 7 des 14 marcheurs du groupe ont atteint le sommet. La poussée finale s’est faite en pleine nuit en vue de rallier l’objectif à l’aube.


Second sommet

Pour l’universitaire, ce n’était pas le premier sommet de l’année puisqu’elle avait obtenu, quelques semaines plus tôt, le prix de l’Association canadienne de biomécanique pour l’ensemble de sa carrière, en reconnaissance de sa contribution à la discipline. «C’est un prix qui me fait énormément plaisir, mais j’avoue que je me suis demandé en le recevant si c’était le temps de prendre ma retraite», lance-t-elle en riant.

Plus sérieusement, la fondatrice du Laboratoire de biomécanique occupationnelle savait que les travaux qu’elle mène au sixième étage du CEPSUM jouissaient d’une réputation internationale dans le monde de l’ergonomie et de la biomécanique, mais elle n’était pas convaincue d’être reconnue parmi ses collègues immédiats. Le prix qui lui a été présenté au dernier congrès de l’Association lui a apporté cette reconnaissance.

Depuis 30 ans, Mme Gagnon fait en sorte que l’on connaisse mieux certains problèmes musculo-squelettiques liés au déplacement d’objets lourds. Durant les années 80, ses recherches portaient sur les préposés aux malades qui doivent occasionnellement soulever des patients. Les efforts déployés causent très souvent des maux de dos. L’Institut de recherche en santé et en sécurité du travail (IRSST) a financé les premières études de Mme Gagnon dès cette époque et l’a fait sans interruption depuis. «Nous avons alors découvert que le seul fait de fractionner une tâche — introduire une pause entre la traction et la poussée, lorsqu’une personne retourne un patient alité — pouvait réduire la fréquence des pressions sur la région lombaire.»


Un laboratoire unique

Tout en élaborant une «banque d’outils pour mesurer les facteurs mécaniques de risque associés au travail», Mme Gagnon a mis au point, en collaboration avec l’ingénieur Pierre Desjardins, une plateforme munie de capteurs et reliée à des caméras vidéo. Elle peut ainsi étudier avec une grande précision les gestes de volontaires placés en situation de travail. Après l’étude des préposés aux malades, son intérêt s’est alors porté sur les manutentionnaires. «Mieux comprendre les problèmes de dos a toujours constitué un objectif important pour l’IRSST, et les manutentionnaires sont un groupe cible, explique-t-elle. Nous essayons de dégager les grands principes de la manutention sécuritaire pour guider les manutentionnaires dans l’exercice de leurs fonctions», résume la biomécanicienne.

Elle a privilégié une approche permettant de comparer les «experts» et les novices. Plusieurs éléments les distinguent, dont la façon d’incliner les boîtes, leurs déplacements et la position des épaules. «Lorsqu’on observe attentivement les experts manipuler des boîtes de 16 kg par exemple, on constate qu’ils jonglent avec leurs boîtes. Ils font corps avec elles en quelque sorte. Le novice va plutôt les manipuler comme un élément étranger. De plus, le novice garde très souvent le fond parallèle au sol, contrairement à l’expert.»

L’analyse fine montre aussi que la façon de se déplacer joue un rôle dans la réalisation de la tâche; les experts adoptent des patrons de déplacement différents des novices, qui conduisent moins à l’asymétrie des postures. La position des épaules est déterminante pour améliorer la posture: il vaut mieux les garder parallèles au sol.

«Cette plateforme est réellement la force de notre laboratoire, signale Mme Gagnon. Si l’on mettait bout à bout les heures que des gens ont passées à perfectionner nos systèmes de collecte de données, on aurait un siècle de programmation. Des étudiants ont effectué ici des travaux de maîtrise et de doctorat qui leur ont valu des prix; nous avons mené des recherches sur une période de 20 ans. L’expertise que nous y avons acquise est unique au monde.»

En tout cas, Mme Gagnon ne parle pas de prendre sa retraite. Et puis, elle a un autre sommet en tête: l’Aconcagua, dans les Andes argentines.

Mathieu-Robert Sauvé