Identité
sexuelle, excision et infibulation
Des
chercheuses tentent de cerner les croyances et les valeurs liées
à ces pratiques traditionnelles.
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Mireille
Kantiébo, étudiante au doctorat en démographie,
a travaillé avec Bilkis Vissandjée à
la réalisation de létude sur les attitudes,
croyances et valeurs entourant lexcision et linfibulation. |
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Il
faut certainement une bonne dose de courage pour sattaquer à
un sujet détude aussi délicat que celui de lexcision
et de linfibulation. À plus forte raison lorsquil
sagit dune recherche qualitative faisant appel à
des témoignages plutôt quà la collecte quantitative
de données. Cest pourtant dans cette entreprise que Bilkis
Vissandjée, professeure à la Faculté des sciences
infirmières, sest lancée en 1997, en soumettant
un projet de recherche à Santé et Bien-être Canada
dans le cadre de son programme national de recherche en matière
de santé.
Des partenaires incontournables
Lobjectif de cette étude denvergure nationale,
menée dans six villes canadiennes (dont Montréal, Toronto
et Vancouver) auprès de 162 immigrantes et immigrants dorigine
africaine, était de déterminer les attitudes, les croyances
et les valeurs entourant les pratiques traditionnelles connues ici
sous le nom dexcision et dinfibulation. Fait intéressant
à noter, le besoin de mieux cerner ce phénomène
est dabord venu de préoccupations exprimées par
les professionnels de la santé et des services sociaux qui
avaient à intervenir auprès de femmes ayant été
soumises à de telles pratiques.
Ce sont aujourdhui 26% des immigrants du Canada qui proviennent
de pays de lAfrique subsaharienne, où lexcision
et linfibulation ont majoritairement cours. Malgré ladoption
de la loi C-27 par le gouvernement canadien en 1997 pour protéger
les femmes et les enfants contre la violence perpétuée
à leur égard en criminalisant, entre autres, lexcision
et linfibulation, les conséquences liées à
de telles pratiques demeurent encore aujourdhui préoccupantes.
Il savère donc nécessaire de trouver des solutions
à la judiciarisation et à la confrontation féministe.
«Un des défis que nous avions énoncés dans
le projet présenté à Santé et Bien-être
Canada concernait la stratégie de partenariat que nous devions
instaurer afin de pouvoir travailler avec les communautés directement
concernées, nous dit Mme Vissandjée. En plus de bénéficier
de la précieuse collaboration de Mireille Kantiébo,
étudiante au doctorat en démographie, comme agente de
recherche, nous avions comme partenaire principale Radegonde NDejuru,
de lassociation Solidarité femmes africaines, qui nous
a aidés à établir les bases du recrutement des
répondants. Les personnes qui ont participé à
létude ont dailleurs été approchées
par le biais dassociations et de groupes communautaires divers.
Vu la nature délicate des questions abordées, nous naurions
pu obtenir de résultats sans ce partenariat essentiel avec
des membres de la communauté.»
De longs préparatifs
En effet, il est difficile dimaginer que les personnes visées
par cette étude parleraient facilement de ces questions à
nimporte qui. La sélection et la formation des intervieweurs
ont dailleurs été un autre élément
important du projet et ont nécessité une quantité
considérable defforts et de préparation. La plupart
des intervieweurs venaient notamment des groupes communautaires, idéalement
des étudiantes à la maîtrise ou au doctorat; elles
étaient également issues des communautés dorigine
africaine. Un manuel ainsi quune vidéo de formation ont
aussi été produits afin de favoriser, chez les intervieweurs,
une approche strictement basée sur lécoute du
discours des femmes et des hommes rencontrés. Par exemple,
on laissait les répondants utiliser leur propre terminologie
pour désigner les pratiques traditionnelles plutôt que
de leur imposer des termes habituellement employés tels que
«mutilations génitales» qui ont une connotation
a priori péjorative.
Identité sexuelle
La définition de lidentité sexuelle dépend
dabord du fait biologique de naître avec des organes génitaux
mâles ou femelles. Toutefois, une série de comportements
et dattributs sociaux, en lien avec la culture à laquelle
un individu appartient, détermineront les rôles et les
responsabilités imputés respectivement aux hommes et
aux femmes. Lidentité sexuelle, cest-à-dire
le fait de se «sentir» homme ou femme, subira donc linfluence
du milieu et sera renforcée par des pratiques en accord avec
les valeurs véhiculées par la communauté.
Dans le cas de personnes immigrantes, lintégration à
la société daccueil créera inévitablement
une tension entre la nécessité de se conformer à
de nouvelles règles et le désir de continuer dadhérer
aux valeurs de la culture dorigine. On parlera alors de phénomène
dacculturation. Ceci étant vrai pour tous les immigrants,
quels que soient leur pays dorigine et les valeurs culturelles
auxquelles ils adhéraient avant démigrer, on peut
aisément comprendre que, lorsque des règles définissant
lidentité sexuelle renvoient directement à lapparence
extérieure des organes génitaux (comme cest le
cas pour lexcision et linfibulation), il puisse survenir
une crise importante.
«Dans nos résultats, on retrouve beaucoup cette association
entre ces pratiques traditionnelles et lidentité féminine,
souligne Bilkis Vissandjée. Ce qui ressort, à travers
notre recherche, cest une meilleure compréhension des
étapes dintégration progressive dans la société
daccueil. Dans quelle mesure des normes aussi importantes que
celles liées à lexcision et à linfibulation
dans la culture dorigine, pratiques qui deviennent criminelles
dans la société daccueil, peuvent-elles créer
des conflits au cours du processus dintégration? On a
pu constater que ce ne sont ni toujours les hommes ni toujours les
femmes qui veulent perpétuer ces pratiques et que les belles-familles
(particulièrement lorsquelles habitent toujours dans
le pays dorigine) ont une influence notable quant à la
décision dexciser ou dinfibuler une fillette. Mais
on sent en même temps que cette influence est en train de seffriter.»
Les personnes qui ont participé à létude
savent très bien quil existe des problèmes de
santé liés à ces pratiques traditionnelles. Elles
reconnaissent également quune éducation reste
à faire afin de réduire les risques à légard
de la santé. Dailleurs, ce nest pas seulement ici
que les choses sont en train de changer; de nombreux efforts sont
également déployés dans plusieurs pays africains
pour rendre ces pratiques plus hygiéniques et moins dommageables.
Selon Mme Vissandjée, dici une dizaine dannées,
il y aura certainement une façon différente de voir
lexcision et linfibulation et peut-être constitueront-elles
de moins en moins une façon de déterminer si une jeune
fille est devenue une femme.
«Ces pratiques sont profondément ancrées dans
la culture, ajoute Mme Vissandjée, et ne devraient pas simplement
faire appel à une compréhension objective. En tant que
professionnelle de la santé, je me reconnais la responsabilité
de trouver la meilleure façon possible de garder ces femmes
en santé, mais cela doit se faire avec leur concours et en
partenariat avec les communautés. Sans cette collaboration,
cette recherche naurait pu avoir lieu. Cest certainement
quelque chose qui a demandé beaucoup de temps et dénergie,
mais il est essentiel, lorsquon travaille à améliorer
la santé des femmes, de prendre tout le temps nécessaire
et dassouplir les règles en laissant la latitude voulue
aux différents partenaires.»
Lorraine
Desjardins
Collaboration spéciale
Bientôt
un manuel à lintention des professionnels de la santé
En plus de divers articles qui ont été rédigés
à partir des données recueillies, un rapport de recherche
présentant lensemble des résultats de cette étude
(paru en octobre dernier) sera publié sous peu par le Centre
de recherche et de formation du CLSC Côte-des-Neiges. Parallèlement,
léquipe de recherche dirigée par Bilkis Vissandjée
a soumis un projet menant à la tenue dune seconde phase
qui consistera à retourner auprès des femmes des communautés
culturelles concernées afin délaborer, avec elles,
des outils de discussion et de rédiger un manuel permettant
aux professionnels de la santé dêtre mieux préparés
à gérer les cas en lien avec ces pratiques traditionnelles.
Le tout devrait conduire à une meilleure interface entre les
services de santé et le besoin exprimé par les femmes
des communautés de recevoir des soins plus appropriés
culturellement parlant.
L.D.