Jouer
du violon en montant les escaliers
Jean-François
Rivest apprend à ses étudiants à devenir des
musiciens autonomes.
|
Jean-François
Rivest apprend à ses étudiants à devenir
des musiciens autonomes.
Dans la vie de tous les jours comme sur scène, le
professeur et chef dorchestre Jean-François
Rivest a le geste expressif. |
|
Selon le violoniste
et chef dorchestre Jean-François Rivest, un musicien
doit maîtriser son instrument au point où il lui est
possible davoir une conversation tout en jouant. Pour y parvenir,
les étudiants du professeur Rivest sont soumis à des
acrobaties particulières. Ils apprennent, par exemple, à
marcher et à jouer du violon en même temps. À
une étape plus avancée, ils doivent pouvoir monter et
descendre les escaliers en interprétant des oeuvres de Paganini.
Un bourreau, Jean-François Rivest? Pas vraiment, car ses étudiants
lui ont décerné le Prix dexcellence en enseignement
en 1998.
«Cela peut sembler simple, mais il nen est rien, affirme
le professeur de la Faculté de musique. Ces exercices engendrent
beaucoup de tension. Doù leur pertinence. Un musicien
qui possède une bonne technique a moins tendance à paniquer
avant un concert ou lorsque survient un trou de mémoire. Le
contrôle de la nervosité doit être appris très
tôt au cours de la formation. Une des façons dy
arriver est de programmer son cerveau à faire deux choses à
la fois.»
Depuis une dizaine dannées, M. Rivest observe une augmentation
accrue des tendinites chez les apprentis musiciens. À son avis,
la fréquence de ces inflammations dun tendon atteste
du niveau de stress des jeunes daujourdhui. Ils se préoccupent
beaucoup de leur avenir. Il faut dire quune carrière
artistique exige une disposition particulière à jouer
du coude en plus de larchet. Il en va de même pour les
difficultés financières.
«Très peu détudiants sont toutefois prêts
à manger des nouilles et du beurre darachide pour sacheter
des partitions musicales, comme nous le faisions dans mon temps.»
Sont-ils moins idéalistes? Disons plus matérialistes,
précise le musicien.
Il joue sur toute la gamme
Apprendre la musique représente une exception dans les établissements
denseignement. Dans cette discipline, le maître entre
en relation avec un seul étudiant à la fois. Cet aller-retour,
direct et constant, entre les apports de létudiant et
ceux du professeur est essentiel, dit Jean-François Rivest,
car il ny a rien de plus solitaire au monde que lapprentissage
dun instrument.
Voilà pourquoi il insiste pour que ses étudiants deviennent
des musiciens autonomes. Cela est parfois difficile pour les jeunes
musiciens habitués à recevoir des conseils particuliers
pour chaque doigté. Mais le directeur artistique et chef de
plusieurs orchestres, dont ceux de lUniversité de Montréal
(OUM) et de Laval ainsi que des Thirteen Strings dOttawa, estime
vital de mettre laccent sur le développement de la créativité
et du sens critique. Ce sont des qualités indispensables à
lépanouissement de lautonomie dun artiste,
déclare M. Rivest.
On na guère déchos de maestros et de professeurs
de violon plus accomplis. En témoignent ses nombreux engagements
et distinctions: musicien permanent à lOrchestre symphonique
de Montréal de 1980 à 1985; lauréat de quatre
premiers prix du Conservatoire; fondateur et chef dorchestre
de plusieurs ensembles; membre de nombreux jurys de thèses
et de récitals de fin détudes; responsable du
programme des cordes et de la mise sur pied de nouveaux programmes
en interprétation.
Le professeur Rivest a aussi composé de la musique de film
et de chambre, notamment pour deux productions de lONF, et une
pièce pour le Quatuor Alcan. Sa discographie, qui senrichit
chaque année, comprend actuellement une dizaine de titres.
Il a été, par ailleurs, très engagé dans
les orchestres communs de lUniversité de Montréal
et du Conservatoire. LOUM a beau avoir une vocation pédagogique,
sous la direction de son dynamique chef, ses concerts font salle comble.
Et chaque fois, la baguette de M. Rivest suscite les éloges
de lexigeant critique musical de La Presse, Claude Gingras.
«Cest sur la scène que je satisfais mon ego, avoue
Jean-François Rivest, mais lenseignement tient aussi
une place importante dans ma vie professionnelle.»
Pédagogue très apprécié, il sait canaliser
lenthousiasme et lénergie des débutants
avec un talent remarquable et sa méthode dapprentissage
du violon est connue dans le milieu. «Il y a des variantes qui
dépendent de la personnalité de lenseignant, mais
mon approche est traditionnelle.»
Recoupement de différentes expériences
«Entre la recherche, les cours, les répétitions
et les concerts, je nai pas le temps daller chercher les
étudiants dans le corridor et de les obliger à sexercer.
Ils doivent accomplir par eux-mêmes une grande partie de leur
apprentissage. Mais je leur fournis les outils nécessaires
pour y arriver.»
Ainsi, en plus des rencontres individuelles avec ses nombreux étudiants,
il a élaboré un cours de groupe quil donne chaque
semaine. À la difficulté de faire face à un public
sajoute la différence de niveaux. Mais les étudiants
ne perçoivent pas ce surplus de travail négativement.
Dautres musiciens se joignent dailleurs souvent à
la classe tant lexpérience est enrichissante. Cest
que le cours ne sert pas seulement à approfondir leurs connaissances
de la technique violonistique, indique Jean-François Rivest.
Cest aussi une manière de les initier à jouer
devant un public et de leur permettre de mieux se situer dans leur
cheminement.
Chaque année, sa classe donne au minimum une douzaine de concerts,
incluant les récitals de fin détudes. Dès
son entrée en fonction à lUniversité, en
1992, le professeur a également jugé nécessaire
doffrir à ses étudiants une expérience
de musique dorchestre. Doù la fondation de lOUM.
«Lapprentissage, cest un peu comme un kaléidoscope:
linformation provient de différentes sources. Avant de
pouvoir sen servir, létudiant doit lintégrer
et la synthétiser, explique M. Rivest. Ce processus seffectue
par le recoupement de différentes expériences. Cest
une approche qui remonte au temps de Vivaldi.»
Dominique
Nancy