Volume 35 numéro 6
2 octobre 2000


 


Les psychothérapeutes sont-ils des informateurs?
Des experts internationaux sont attendus à un colloque sur la confidentialité.

Dianne Casoni est psychologue et criminologue. Son expérience en cour lui a permis de publier aux Presses de l’Université du Québec un livre sur l’expertise psycholégale (en collaboration).

Un homme, dans le cabinet d’un psychologue, affirme qu’il déteste son patron et déclare qu’il veut le tuer. Le thérapeute doit-il passer outre au secret professionnel et révéler à la personne visée, voire à la police, l’intention dont il est témoin?

«On a tous, dans un moment d’égarement, dit des choses qui dépassent notre pensée, signale la criminologue et psychologue Dianne Casoni. Mais il y a généralement un monde entre la parole et l’acte. Le professionnel doit donc apprendre à discerner l’affirmation purement émotive de la préméditation véritable. Je vous avoue que ce n’est pas facile. Dans tous les cas, il faut s’attendre à vivre avec des doutes.»

En plus de son activité de psychothérapeute, qu’elle exerce depuis 1979, Mme Casoni est une experte régulièrement citée à la cour pour éclairer les magistrats dans les cas d’agressions. Elle est parmi la cinquantaine de conférenciers qui participeront à un important congrès intitulé «Confidentialité et société: psychothérapie, éthique et droit», qui se déroulera à Montréal du 13 au 15 octobre. Parrainé par la Société canadienne de psychanalyse, l’Association psychanalytique internationale, l’American Psychiatric Association et l’Association canadienne des psychiatres, ce congrès multidisciplinaire fera le point sur la question en insistant sur les moyens de baliser le respect du secret professionnel dans la pratique de la psychothérapie et de la psychanalyse.

Des experts internationaux ont déjà confirmé leur présence. Parmi eux le Britannique John Forrester, les Américains Otto Kernberg, Jonathan Lear, Arnold Modell, Paul Mosher et Robert Pyles, ainsi que les Canadiens Frederick Lowy, Claire L’Heureux-Dubé, Andrée Lajoie et David Weisstub.


Une confusion règne

«Les psychothérapeutes sont-ils en voie de devenir les nouveaux informateurs de la société?» demande-t-on d’entrée de jeu dans le document de présentation de la rencontre. On sait que psychologues et psychiatres sont de plus en plus sollicités pour des vérifications de contrats d’assurance, dans les procédures de divorce ou de garde d’enfants, dans les cas d’agressions sexuelles, de poursuites en déontologie, etc.

Le secret professionnel, par exemple, existe pour protéger le client. Mais quand un client menace la vie d’autrui, cette protection n’est pas absolue. «Dans les cas d’agressions contre les enfants, la loi 24 est très claire: le secret ne tient plus», signale Mme Casoni.

Il peut arriver que la notion de protection de la vie privée joue des tours aux intervenants. Ainsi les travailleurs sociaux ne seront pas avisés qu’un couple qui a déjà deux enfants victimes d’agressions sexuelles et placés en famille d’accueil vient d’avoir un troisième enfant. Sous prétexte de protéger la vie privée des enfants placés, la Direction de la protection de la jeunesse ne dévoilera pas ce genre d’information. Certes, le fait que deux enfants ont été maltraités ne signifie pas nécessairement que le troisième le sera également, mais il faut reconnaître qu’il s’agit d’une famille à risque…

«Le respect de la confidentialité, c’est bien, mais il règne une confusion autour de certains aspects de ce concept. Il est important d’en bien comprendre les enjeux, les tenants et aboutissants», dit Dianne Casoni.


Pas une science exacte

Pour compliquer les choses, la mémoire est une faculté qui transforme parfois la réalité. Mme Casoni, qui a beaucoup étudié le phénomène des allégations mensongères, relate les conclusions d’une commission d’enquête, présidée par un professeur de droit de l’Université de Montréal, Jean-Louis Gagnon, sur un centre jeunesse de la région montréalaise où l’on soupçonnait plusieurs adultes d’avoir commis des agressions sexuelles sur des mineurs.

Après un an et demi d’investigations, d’interrogatoires et de débats d’experts, les commissaires en sont venus à la conclusion que les enfants n’avaient pas été victimes de telles agressions. Il se serait agi d’inventions ou d’allégations mensongères.
Un des thèmes du congrès d’octobre portera d’ailleurs sur les conceptions juridiques et psychanalytiques de la vie privée. La conférence de Mme Casoni traitera de la mémoire objective et de la vérité personnelle. «Une vérité peut être construite à partir d’un événement fictif, dit-elle. Avec le temps, la personne vient à croire sincèrement une chose qui n’est pas vraie. Il est très difficile d’y voir clair. Mais des méthodes rigoureuses existent.»

En tout cas, la psychologie n’est pas une science exacte, conclut Mme Casoni.

Mathieu-Robert Sauvé


Colloque «Confidentialité et société: psy
chothérapie, éthique et droit», du 13 au 15 octobre, hôtel Omni, à Montréal. L’entrée est libre pour les étudiants à temps plein. Information: (514) 288-6533.