Léconomie
au laboratoire
Léconomie
expérimentale permet de mieux comprendre les comportements
humains.
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Le
professeur Claude Montmarquette invite ses collègues
des autres
disciplines des sciences sociales à faire lexpérience
de cette approche «intégratrice» dans
le nouveau laboratoire du CIRANO. |
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Les politiques
visant à inciter la population à adopter un comportement
sont souvent improvisées. On réalise plusieurs années
et plusieurs dizaines de millions de dollars plus tard quelles
ont complètement raté leur cible. Ainsi, il y a quelques
années, a-t-on offert en vain des sommes dargent aux
assistés sociaux pour les encourager à retourner sur
les bancs décole. Et ce nest quun exemple
parmi beaucoup dautres.
De tels gaspillages nont plus leur raison dêtre
aujourdhui. Léconomie expérimentale permet
danalyser les choix individuels à une fraction du coût
dun essai en milieu naturel, signale Claude Montmarquette. Ce
professeur du Département de sciences économiques et
chercheur au CIRANO est tellement convaincu de lutilité
de léconomie expérimentale quil est intarissable
sur ce sujet.
Mise au point il y a une trentaine dannées par deux économistes
américains, Vernon Smith et Charley Plott, et maintenant bien
implantée aux États-Unis et en Europe, léconomie
expérimentale est relativement nouvelle au Canada. Léquipe
de lUniversité de Montréal et du CIRANO est la
seule au Québec à la mettre en pratique; une autre équipe
au Canada, à lUniversité McMaster, à Hamilton,
lutilise également.
«Il est difficile de recueillir des données sur les choix
individuels, notamment pour des raisons de coût et de confidentialité,
explique le professeur Montmarquette. En outre, dans les études
de terrain, il est impossible de contrôler toutes les variables
pouvant influencer ces choix. Alors lexpérimentaliste
invite des personnes à participer à un jeu économique
dont il a établi le protocole et où les participants
sont rémunérés en fonction des décisions
quils prennent.»
Bien public et réciprocité
Imaginons quon veuille estimer la contribution volontaire que
les gens sont prêts à fournir pour la protection de lenvironnement
ou la défense nationale. «Dans un tel cas, la théorie
économique prédit un comportement de resquilleur, cest-à-dire
que tous les individus auront tendance à laisser les autres
payer pour un bien public auquel personne ne peut se soustraire, observe
léconomiste. Or, en situation de jeu, on constate que
les gens sont prêts à contribuer en moyenne à
hauteur de 20%, donc bien au-delà de ce que prévoit
la théorie, qui évalue cette participation volontaire
à zéro.»
Pourquoi la théorie économique narrive-t-elle
pas à expliquer correctement cette situation? Parce quelle
est fondée sur lhypothèse que nous sommes tous
des resquilleurs, ce qui exclut la notion de réciprocité,
quon peut faire ressortir dans un jeu, poursuit Claude Montmarquette.
«En introduisant la notion de réciprocité grâce
au jeu, on amène les gens à comprendre par eux-mêmes
quils ont tout avantage à coopérer au bien public;
mais bien sûr personne ne veut être le poisson. La grande
beauté de ces expériences est justement de démontrer
que les gens finissent par retrouver seuls des comportements de coopération.»
Incidemment, ces tests ont révélé quau
départ les femmes sont plus coopératrices que les hommes
même si cette différence de comportement disparaît
à mesure que le jeu évolue. Ils permettent aussi détablir
le portrait du coopérateur type et du resquilleur type.
Intervention gouvernementale
Appliquée à la gestion du bien public, léconomie
expérimentale permet de déterminer sil y a véritablement
un fondement à lintervention gouvernementale. Les gouvernements
se croient en effet justifiés dintervenir dans une foule
de domaines en sappuyant sur la théorie selon laquelle
toute personne est resquilleuse.
«Or, cest probablement faux», déclare le
chercheur. Il croit plutôt quen taxant indûment
la population pour financer leurs interventions, les gouvernements
encouragent au contraire les comportements dévitement.
«On peut donc, grâce à léconomie expérimentale,
mettre au point des jeux pour tester la théorie et pour lenrichir
de notions comme la réciprocité. Et lon peut retourner
tester cette nouvelle théorie en laboratoire.»
Nous ferions donc de considérables économies de fonds
publics si nos politiciens se mettaient à lheure de léconomie
expérimentale plutôt que dimproviser en fonction
des états dâme des électeurs. «Parce
que léconomie expérimentale permet de cibler les
paramètres qui influencent réellement le comportement
des individus, ajoute le chercheur. On na donc pas besoin de
courir tous les risques financiers liés à une nouvelle
implantation en milieu naturel. Cest un peu comme la maquette
de larchitecte. Et ça marche! Beaucoup déconomistes
y voient une façon rigoureuse de tester de nouvelles idées.»
Environ 30% des articles de revues scientifiques déconomique
publiés actuellement ont comme point de départ des expériences
déconomie expérimentale.
Un jeu rémunéré
Tous les participants qui acceptent de jouer le jeu de léconomie
expérimentale sont rémunérés à
leur «coût dopportunité», cest-à-dire
plus ou moins selon leur revenu. Ainsi, si lon veut obtenir
la participation dhommes daffaires, il faudra débourser
davantage que si lon a recours à des étudiants.
De plus, les joueurs sont aussi rémunérés en
fonction du sérieux quils mettent à étudier
les instructions et à suivre les consignes; en effet, une participation
active est nécessaire pour que les résultats obtenus
soient significatifs.
«En économie, la rémunération est considérée
comme un élément fondamental pour inciter les gens à
adopter un comportement, explique léconomiste. On rémunère
donc les participants pour ne pas quils sendorment et
quils prennent les décisions au hasard.»
En situation de marché, où il y a des offreurs et des
demandeurs, de telles expériences savèrent également
fort utiles. On pourrait, par exemple, étudier linfluence
dune diminution des taxes sur lessence sur le comportement
des consommateurs. Comme la plupart des économistes, Claude
Montmarquette est davis quun prix moins élevé
provoquerait une augmentation de la demande qui ferait de nouveau
monter les prix. Grâce au jeu, on pourrait vérifier si
ces économistes ont raison.
Autre application possible: une firme qui veut changer le mode de
rémunération de son personnel peut ainsi tester en laboratoire
les répercussions de ce changement sur le comportement de ses
employés avant de limplanter.
Une approche «intégratrice»
«Léconomie expérimentale permet aux économistes
de voir sils ont tort ou raison. Elle offre la possibilité
daller chercher des données très riches, disponibles
rapidement, dans un environnement contrôlé, à
relativement peu de frais et sans risque de coûts sociaux élevés.
Cest une approche très pédagogique parce quelle
permet de comprendre, par lexpérience, des règles
statistiques complexes. Le génie de lexpérimentateur
est de traduire une théorie complexe en instructions simples
qui collent bien à la réalité de ce quil
veut tester.»
Léconomiste, qui a mis sur pied avec ses collaborateurs
du CIRANO un laboratoire déconomie expérimentale
de 20 ordinateurs, invite même ses collègues des autres
disciplines des sciences sociales à faire lexpérience
de cette approche très «intégratrice»: ainsi
des psychologues peuvent y tester les comportements altruistes des
individus; les spécialistes en management, la confiance des
usagers; les politologues, les stratégies de vote des électeurs;
et la liste nest pas exhaustive. Les chercheurs intéressés
peuvent communiquer avec M. Montmarquette par courrier électronique:
<claude.montmarquette@umontreal.ca>.
Françoise
Lachance
Jouez et gagnez de 15 $ à 30 $ lheure
Les expériences
déconomie expérimentale nécessitent la participation
dun grand nombre de joueurs. Plusieurs étudiants se sont
déjà prêtés au jeu et ont adoré lexercice,
selon le professeur Claude Montmarquette, du Département de sciences
économiques. «Ils en redemandent!» ajoute-t-il.
Les étudiants sont rémunérés selon les décisions
quils prennent durant lexpérience. La rémunération
varie de 15 $ à 30 $ lheure.
Ces recherches sont menées dans un but de publication scientifique.
Les personnes désireuses de faire partie de la banque de participants
peuvent sinscrire en envoyant un message électronique à:
<gaudryc@cirano.umontreal.ca> ou à <landrys@cirano.umontreal.ca>
ou encore consulter la page Web du CIRANO: <www.cirano.umontreal.ca>.