Volume 35 numéro 6
2 octobre 2000


 


L’économie au laboratoire
L’économie expérimentale permet de mieux comprendre les comportements humains.

Le professeur Claude Montmarquette invite ses collègues des autres
disciplines des sciences sociales à faire l’expérience de cette approche «intégratrice» dans le nouveau laboratoire du CIRANO.

Les politiques visant à inciter la population à adopter un comportement sont souvent improvisées. On réalise plusieurs années et plusieurs dizaines de millions de dollars plus tard qu’elles ont complètement raté leur cible. Ainsi, il y a quelques années, a-t-on offert en vain des sommes d’argent aux assistés sociaux pour les encourager à retourner sur les bancs d’école. Et ce n’est qu’un exemple parmi beaucoup d’autres.

De tels gaspillages n’ont plus leur raison d’être aujourd’hui. L’économie expérimentale permet d’analyser les choix individuels à une fraction du coût d’un essai en milieu naturel, signale Claude Montmarquette. Ce professeur du Département de sciences économiques et chercheur au CIRANO est tellement convaincu de l’utilité de l’économie expérimentale qu’il est intarissable sur ce sujet.

Mise au point il y a une trentaine d’années par deux économistes américains, Vernon Smith et Charley Plott, et maintenant bien implantée aux États-Unis et en Europe, l’économie expérimentale est relativement nouvelle au Canada. L’équipe de l’Université de Montréal et du CIRANO est la seule au Québec à la mettre en pratique; une autre équipe au Canada, à l’Université McMaster, à Hamilton, l’utilise également.

«Il est difficile de recueillir des données sur les choix individuels, notamment pour des raisons de coût et de confidentialité, explique le professeur Montmarquette. En outre, dans les études de terrain, il est impossible de contrôler toutes les variables pouvant influencer ces choix. Alors l’“expérimentaliste” invite des personnes à participer à un jeu économique dont il a établi le protocole et où les participants sont rémunérés en fonction des décisions qu’ils prennent.»


Bien public et réciprocité

Imaginons qu’on veuille estimer la contribution volontaire que les gens sont prêts à fournir pour la protection de l’environnement ou la défense nationale. «Dans un tel cas, la théorie économique prédit un comportement de resquilleur, c’est-à-dire que tous les individus auront tendance à laisser les autres payer pour un bien public auquel personne ne peut se soustraire, observe l’économiste. Or, en situation de jeu, on constate que les gens sont prêts à contribuer en moyenne à hauteur de 20%, donc bien au-delà de ce que prévoit la théorie, qui évalue cette participation volontaire à zéro.»

Pourquoi la théorie économique n’arrive-t-elle pas à expliquer correctement cette situation? Parce qu’elle est fondée sur l’hypothèse que nous sommes tous des resquilleurs, ce qui exclut la notion de réciprocité, qu’on peut faire ressortir dans un jeu, poursuit Claude Montmarquette. «En introduisant la notion de réciprocité grâce au jeu, on amène les gens à comprendre par eux-mêmes qu’ils ont tout avantage à coopérer au bien public; mais bien sûr personne ne veut être le poisson. La grande beauté de ces expériences est justement de démontrer que les gens finissent par retrouver seuls des comportements de coopération.»

Incidemment, ces tests ont révélé qu’au départ les femmes sont plus coopératrices que les hommes même si cette différence de comportement disparaît à mesure que le jeu évolue. Ils permettent aussi d’établir le portrait du coopérateur type et du resquilleur type.


Intervention gouvernementale

Appliquée à la gestion du bien public, l’économie expérimentale permet de déterminer s’il y a véritablement un fondement à l’intervention gouvernementale. Les gouvernements se croient en effet justifiés d’intervenir dans une foule de domaines en s’appuyant sur la théorie selon laquelle toute personne est resquilleuse.

«Or, c’est probablement faux», déclare le chercheur. Il croit plutôt qu’en taxant indûment la population pour financer leurs interventions, les gouvernements encouragent au contraire les comportements d’évitement. «On peut donc, grâce à l’économie expérimentale, mettre au point des jeux pour tester la théorie et pour l’enrichir de notions comme la réciprocité. Et l’on peut retourner tester cette nouvelle théorie en laboratoire.»

Nous ferions donc de considérables économies de fonds publics si nos politiciens se mettaient à l’heure de l’économie expérimentale plutôt que d’improviser en fonction des états d’âme des électeurs. «Parce que l’économie expérimentale permet de cibler les paramètres qui influencent réellement le comportement des individus, ajoute le chercheur. On n’a donc pas besoin de courir tous les risques financiers liés à une nouvelle implantation en milieu naturel. C’est un peu comme la maquette de l’architecte. Et ça marche! Beaucoup d’économistes y voient une façon rigoureuse de tester de nouvelles idées.» Environ 30% des articles de revues scientifiques d’économique publiés actuellement ont comme point de départ des expériences d’économie expérimentale.


Un jeu rémunéré

Tous les participants qui acceptent de jouer le jeu de l’économie expérimentale sont rémunérés à leur «coût d’opportunité», c’est-à-dire plus ou moins selon leur revenu. Ainsi, si l’on veut obtenir la participation d’hommes d’affaires, il faudra débourser davantage que si l’on a recours à des étudiants. De plus, les joueurs sont aussi rémunérés en fonction du sérieux qu’ils mettent à étudier les instructions et à suivre les consignes; en effet, une participation active est nécessaire pour que les résultats obtenus soient significatifs.

«En économie, la rémunération est considérée comme un élément fondamental pour inciter les gens à adopter un comportement, explique l’économiste. On rémunère donc les participants pour ne pas qu’ils s’endorment et qu’ils prennent les décisions au hasard.»

En situation de marché, où il y a des offreurs et des demandeurs, de telles expériences s’avèrent également fort utiles. On pourrait, par exemple, étudier l’influence d’une diminution des taxes sur l’essence sur le comportement des consommateurs. Comme la plupart des économistes, Claude Montmarquette est d’avis qu’un prix moins élevé provoquerait une augmentation de la demande qui ferait de nouveau monter les prix. Grâce au jeu, on pourrait vérifier si ces économistes ont raison.

Autre application possible: une firme qui veut changer le mode de rémunération de son personnel peut ainsi tester en laboratoire les répercussions de ce changement sur le comportement de ses employés avant de l’implanter.


Une approche «intégratrice»

«L’économie expérimentale permet aux économistes de voir s’ils ont tort ou raison. Elle offre la possibilité d’aller chercher des données très riches, disponibles rapidement, dans un environnement contrôlé, à relativement peu de frais et sans risque de coûts sociaux élevés. C’est une approche très pédagogique parce qu’elle permet de comprendre, par l’expérience, des règles statistiques complexes. Le génie de l’expérimentateur est de traduire une théorie complexe en instructions simples qui collent bien à la réalité de ce qu’il veut tester.»

L’économiste, qui a mis sur pied avec ses collaborateurs du CIRANO un laboratoire d’économie expérimentale de 20 ordinateurs, invite même ses collègues des autres disciplines des sciences sociales à faire l’expérience de cette approche très «intégratrice»: ainsi des psychologues peuvent y tester les comportements altruistes des individus; les spécialistes en management, la confiance des usagers; les politologues, les stratégies de vote des électeurs; et la liste n’est pas exhaustive. Les chercheurs intéressés peuvent communiquer avec M. Montmarquette par courrier électronique: <claude.montmarquette@umontreal.ca>.

Françoise Lachance



Jouez et gagnez de 15 $ à 30 $ l’heure


Les expériences d’économie expérimentale nécessitent la participation d’un grand nombre de joueurs. Plusieurs étudiants se sont déjà prêtés au jeu et ont adoré l’exercice, selon le professeur Claude Montmarquette, du Département de sciences économiques. «Ils en redemandent!» ajoute-t-il.

Les étudiants sont rémunérés selon les décisions qu’ils prennent durant l’expérience. La rémunération varie de 15 $ à 30 $ l’heure.

Ces recherches sont menées dans un but de publication scientifique.

Les personnes désireuses de faire partie de la banque de participants peuvent s’inscrire en envoyant un message électronique à: <gaudryc@cirano.umontreal.ca> ou à <landrys@cirano.umontreal.ca> ou encore consulter la page Web du CIRANO: <www.cirano.umontreal.ca>.