Vote,
choix rationnel et sens du devoir
Les
électeurs agiraient plus par devoir que par calcul.
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La
théorie du choix rationnel a permis de faire ressortir
quil y a autre chose que le rationnel dans la décision
daller voter, indique André Blais. |
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Selon la théorie
du choix rationnel, qui veut quune personne ne fasse un geste
que dans la mesure où les avantages escomptés sont supérieurs
au prix à payer pour accomplir le geste, lindividu considéré
isolément ne devrait pas aller voter puisque le seul fait dajouter
son vote ne changera rien aux résultats attendus.
Et pourtant, nous allons voter, encore plus au Québec quailleurs.
Quest-ce qui motive ce geste? sest demandé André
Blais, professeur au Département de science politique. En analysant
les motifs selon lesquels les électeurs justifient leur participation
à une élection ou à un référendum,
il a mis en évidence quau moins la moitié des
électeurs agissent plutôt par devoir que par calcul du
coût et du bénéfice. Lautre moitié
présente une combinaison de plusieurs facteurs; «il peut
y avoir le sens du devoir associé au calcul du coût ou
lidée que le vote individuel peut faire une différence»,
explique le professeur, qui présente les résultats de
son analyse dans un volume récent, To Vote or Not to Vote:
The Merits and Limits of Rational Choice Theory.
Ceux qui font un calcul ne le font en fait que sur des considérations
marginales, comme lissue serrée du scrutin pour aller
voter ou la pluie pour ne pas y aller. La théorie nexplique
donc quune partie du comportement dune partie de lélectorat.
Le sens du devoir
Selon la théorie empruntée aux sciences économiques,
plus un résultat sannonce serré, plus la participation
devrait être forte; par contre, pour une élection à
deux candidats ou un référendum, la participation devrait
être moindre puisque les chances quun vote fasse la différence
sont encore plus faibles étant donné la répartition
des voix en deux camps seulement. Au référendum de 1995,
les deux facteurs étaient réunis: le résultat
sannonçait serré et le choix était binaire.
Avec un taux de participation de 93%, le premier facteur aurait donc
eu un effet largement déterminant en incitant les gens à
aller voter plutôt quà sabstenir.
Ce référendum est lun des deux principaux événements
étudiés par le politologue et son analyse montre que,
malgré une participation record, les électeurs ne croyaient
pas nécessairement que les choses allaient vraiment changer.
Le second événement, lélection de 1996
en Colombie-Britannique, indique encore plus clairement que plus lindividu
a un sens du devoir élevé, moins il prend en considération
des arguments comme le rapport coût-bénéfice ou
la probabilité que son geste change quelque chose.
On pourrait ainsi penser que la satisfaction du devoir accompli est
en soi un avantage recherché par lélecteur, ce
que refuse de considérer André Blais. «La théorie
a ses défenseurs mous, qui considèrent que
la satisfaction de se conformer aux normes représente un avantage.
Mais si lon inclut nimporte quel avantage dans le modèle,
la théorie devient trop élastique et nexplique
plus rien.»
André Blais défend donc une utilisation pointue de la
théorie, quitte à ce que, comme dans ce cas-ci, les
résultats soient plutôt négatifs. «Il faut
toutefois interpréter ces résultats de façon
nuancée, précise-t-il. Dune part la théorie
éclaire une partie du comportement. Dautre part, il est
compréhensible quelle nexplique pas tout puisque
lirrationalité daller voter nest pas un choix
coûteux; il se limite à une demi-heure de son temps.
Ce nest pas comme acheter une maison.»
Le plus grand mérite de lanalyse serait ainsi de mettre
en lumière lexistence dun élément
autre que le rationnel dans lacte daller voter. «Une
fois ceci admis, on peut alors chercher ailleurs.»
Ailleurs, cest du côté du devoir: «Les répondants
nous disent que la démocratie est une bonne chose et quil
faut agir en conséquence. Ils sentent une contradiction entre
croire à la démocratie et ne pas faire un geste aussi
facile qualler voter. Même lorsquils considèrent
que les deux partis se valent et quune élection ne changerait
rien à la situation, ils y vont quand même. La pression
extérieure joue quant à elle très peu; le sens
du devoir est une chose intériorisée à laquelle
lindividu croit.»
André Blais a bénéficié dune bourse
Killam pour effectuer cette enquête auprès de quelque
1930 répondants. Le 20 septembre dernier, il faisait par ailleurs
son entrée à la Société royale du Canada.
Daniel
Baril
André
Blais, To Vote or Not to Vote: The Merits and Limits of Rational
Choice Theory, University of Pittsburg Press, 2000.