Percer
le mystère des felsenmeers
Geneviève
Marquette étudie ces champs de roches dans les monts Torngat.
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Geneviève
Marquette, étudiante à la maîtrise au
Département de géographie, tient dans sa main
un échantillon de felsenmeer, quon retrouve
sur le sommet des plateaux des monts Torngat.
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Les monts Torngat,
qui séparent la baie dUngava de la mer du Labrador, cachent
un mystère. Sur le sommet de hauts plateaux, dominés
par les 1622 m du mont dIberville, se trouvent détranges
champs de pierres concassées dont lorigine intrigue les
géomorphologues depuis longtemps. Presque aucune végétation
ny pousse.
«Une hypothèse veut que ces champs de blocs, appelés
felsenmeers, existent depuis plusieurs milliers
dannées: les roches, qui peuvent atteindre jusquà
un mètre, auraient donc été cassées par
le froid, explique Geneviève Marquette, étudiante au
Département de géographie. Selon une autre théorie,
ces champs seraient beaucoup plus récents: ils se seraient
formés après la dernière glaciation. La cime
de ces montagnes aurait alors été recouverte dune
calotte glaciaire.»
Pourquoi est-ce important détudier ce phénomène?
Létude des felsenmeers ce mot signifie «mers
de blocs» en allemand permet de mieux comprendre lhistoire
glaciaire de la région et ce que lenvironnement devient
avec le temps, répond la géographe. Ses recherches effectuées
dans le cadre de son projet de maîtrise lont amenée,
en août dernier, dans cette région hostile. En compagnie
de trois autres chercheurs, dont son directeur de recherche, James
Gray, elle y a séjourné un mois. «Cétait
mon deuxième voyage dans les Torngat, précise-t-elle.
Lété dernier, grâce à une bourse
de la Société géographique royale du Canada,
je suis partie 17 jours en expédition dans la vallée
dAlluviaq.»
Les felsenmeers ne se retrouvent-ils pas quen altitude? Oui
et non, répond létudiante. On peut rencontrer
des champs de blocs dans dautres zones, mais leur étendue
est généralement restreinte; on ne peut donc pas les
qualifier de felsenmeers. Il faut ramasser divers types de roches
et spécimens de sol afin de pouvoir établir des comparaisons
avec la géomorphologie des champs de blocs, ajoute Geneviève
Marquette. Ceux-ci sont en grande majorité composés
de gneiss. Pour étudier ce phénomène, elle a
rapporté de grandes quantités déchantillons
dans son sac à dos.
Hardes de caribous et ours noirs
Au cours de son plus récent voyage dans le nord de la péninsule
du Québec et du Labrador, elle a exploré les régions
de Koroksoak et de Tasiguluk. Un hélicoptère a dabord
conduit léquipe de géographes au lac Nakvak, où
une harde de caribous les a accueillis. Cest à partir
de là que laventure a réellement commencé.
Ils ont sondé le terrain afin de pouvoir ultérieurement,
à laide dimages satellites et de photos aériennes,
élaborer la cartographie des zones de felsenmeers.
Après une longue marche de plusieurs jours, ils ont atteint,
enfin, le sommet dun plateau presque aussi haut que le mont
Jacques-Cartier (1288 m), dans le parc de la Gaspésie. «Jaime
beaucoup la randonnée pédestre, souligne la jeune femme
de 23 ans, mais ce nest pas évident de transporter tout
son matériel en plus des pierres à analyser.»
Et le froid? Pas un problème. Elle préfère le
climat hivernal
sauf quand il sagit de traverser pieds
nus des eaux glacées!
«Du fait de leur altitude et de leur position, les plateaux
nordiques sont soumis à des écarts de température,
signale la chercheuse. Durant la période estivale, heureusement,
cest moins dur. Des soirées fraîches, dont la température
oscille autour de 0 °C, succèdent à des journées
chaudes qui peuvent atteindre les 27 °C.»
Daprès létudiante, la beauté du paysage
et sa tranquillité font presque oublier les moments difficiles,
comme la dernière semaine de leur expédition au lac
des Moraines. La tension a alors monté dun cran. Cest
que les chercheurs ont constaté la présence dours
noirs à proximité de leur campement. «On avait
beau faire beaucoup de bruit, ça ne les effrayait pas du tout.
Pendant notre absence du camp, ils ont déchiré la toile
de la tente où se trouvaient nos provisions; leur tentative
a échoué, car la nourriture était rangée
dans des caisses spéciales. Nous nétions pas mécontents
lorsque lhydravion est venu nous chercher.»
Depuis son retour, Geneviève Marquette effectue des analyses
spatiales et chronologiques sur les échantillons de sol et
de pierres recueillis durant son séjour dans les Torngat. «Je
commence à peine; il mest donc impossible pour linstant
de tirer des conclusions quant à lévolution morphologique
des champs de blocs. Des analyses dargile montrent une différence
daltération dans la matrice des felsenmeers. Cela tend
à appuyer lhypothèse que les blocs dateraient
davant les glaciations, il y a environ 40 000 ans. Il faut toutefois
poursuivre les études si lon veut parvenir à élucider
cette énigme de la nature.»
Dominique
Nancy