La
résistance au changement de notre système de santé
Le
titulaire de la nouvelle Chaire sur la transformation et la gouverne
des organisations de santé étudie le phénomène.
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Jean-Louis
Denis est le titulaire de la nouvelle Chaire sur la transformation
et la gouverne des organisations de santé. |
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Pour le titulaire
de la nouvelle Chaire sur la transformation et la gouverne des organisations
de santé, le réseau de la santé a connu de grands
bouleversements au cours des 10 dernières années mais
peu de transformations. Cette résistance au changement gêne
la réalisation dun agencement des ressources propice
à une bonne intégration des soins et à une prise
en charge optimale des patients.
Cependant, Jean-Louis Denis, qui a une formation multidisciplinaire
en anthropologie, en administration de la santé et en théorie
des organisations, est convaincu que cette opération, il ne
saurait la mener seul. Ses travaux de recherche des 10 dernières
années lont convaincu de limportance pour lui dêtre
en relation étroite avec les milieux de pratique et les instances
décisionnelles concernées. Cette demande de chaire a
dailleurs été faite en collaboration avec la Régie
régionale de la santé et des services sociaux de Montréal-Centre,
qui y participera activement.
CHUM
et CHUQ
«Dans les travaux danalyse du processus de restructuration
des hôpitaux universitaires que nous avons effectués
ici, au Département, il mest apparu clairement que nos
études deviennent pertinentes pour les praticiens et les décideurs
dans la mesure où nous en discutons avec eux afin de les placer
dans leur contexte, explique M. Denis. Cest au cours de ces
échanges que nos travaux prennent tout leur sens.»
Pour analyser lévolution dans le temps des différents
processus qui façonnent les organisations, les chercheurs en
administration de la santé ont absolument besoin de la collaboration
étroite de ces établissements. Cest ainsi quils
ont suivi depuis le début le processus de regroupement du CHUM
à Montréal et du CHUQ à Québec.
«Cest à travers ces collaborations que jai
raffermi ma conviction quil était essentiel pour moi,
en tant que chercheur, détablir de véritables
échanges avec les publics qui sont mon objet détude.
Grâce à leur expérience, ils fournissent une forme
de validation à nos travaux si lon se donne la peine
de les écouter. Notre vision analytique sen trouve élargie
et nous accumulons du matériel pour lenseignement. Il
est important de comprendre comment nos résultats deviennent
probants, ce qui pose toute la problématique de lutilisation
des connaissances dans les champs sociaux complexes.»
Cest donc avec cette vision que Jean-Louis Denis tente de comprendre
le processus du changement et de transformation dans les services
de santé.
Le difficile changement
Pourquoi est-il si difficile pour ces organisations, et principalement
pour les individus qui les composent, de prendre la voie du changement?
«On a trop souvent sous-estimé linquiétude
que provoque chez les gens le fait de devoir changer. Il est ici question
de professionnels, décrits comme des personnes très
autonomes et très indépendantes mais qui sont aussi
fort dépendantes de lunivers organisationnel qui les
entoure. Ils se sont donné des normes, ils ont construit des
communautés de pratique et des réseaux professionnels
pour arriver à résoudre des problèmes complexes.
Oui! ils sont indépendants et autonomes et ont un haut degré
dexpertise, mais ils sont aussi très fragiles. Il est
donc difficile de les amener à changer cet univers quils
se sont créé.»
Lorsque des organisations aussi complexes que des centres hospitaliers
universitaires tentent de fusionner pour atteindre des masses critiques,
les bouleversements qui sensuivent peuvent se traduire par dénormes
pertes de ressources, poursuit Jean-Louis Denis. «Le tout est
de trouver léquilibre entre les pertes quil faut
absorber et les avantages à tirer de ces transformations. Cet
équilibre à trouver est vraiment un élément
sur lequel il faut se pencher.»
Du
7e au 30e rang
Quoi quil en soit, toutes les études démontrent
que linertie nest pas une solution, observe le chercheur.
Au Canada, les services de santé et les services sociaux drainent
plus du tiers des dépenses publiques. Les dernières
données de lOrganisation mondiale de la santé
classent le Canada au 7e rang en ce qui a trait à latteinte
des objectifs globaux (accessibilité, équité,
etc.); mais lorsque est prise en compte la quantité de ressources
qui y sont investies, la performance du Canada dégringole au
30e rang.
«Cest donc dire limportance de la gouverne des services
de santé, constate M. Denis. La question est de savoir quelle
forme dincitation il faut instaurer pour aider les individus
et les organisations à se comporter différemment. Et
cela, tout en respectant lautonomie des professionnels pour
que le système demeure dynamique. On veut amener les professionnels
à mieux participer aux décisions, mais on ne sait pas
trop comment sy prendre pour y parvenir.»
Le chercheur trouve inquiétant quon nait pas réussi
à renforcer les soins de première ligne. Cest
pourquoi il a mis la dynamique du changement au centre des préoccupations
de la Chaire. «On connaît plusieurs solutions. Il faut
maintenant comprendre pourquoi on ne parvient pas à les implanter.
Est-ce la façon de rémunérer la main-doeuvre
médicale qui fait quil est difficile dobtenir une
meilleure prise en charge des patients en première ligne? Si
oui, la solution nest peut-être pas un mode unique de
rémunération, mais une combinaison de la capitation
et de la rémunération à lacte par exemple.»
La capitation, utilisée notamment en Grande-Bretagne, consiste
à rémunérer les équipes soignantes en
fonction du nombre de personnes dont elles ont la charge.
Imputabilité
Jean-Louis Denis signale quon a beaucoup eu recours à
des remaniements structurels ces dernières années. Il
croit quil ne faut pas encore tomber dans le panneau et abolir
les structures, telles les régies régionales, qui sont
parfois montrées du doigt.
«Les cliniques privées ont aussi leur raison dêtre,
ajoute-t-il. Le problème est de savoir comment les financer
pour obtenir des résultats différents. Il y a aussi
toute la question de la complémentarité infirmière-médecin.
La façon dont les professionnels accèdent au revenu
joue aussi dans lobtention dune meilleure prise en charge.
On dit souvent que le système nest pas imputable. Il
faut alors trouver des stratégies pour lier responsabilité
clinique et responsabilité financière.»
Pour M. Denis, il est essentiel de trouver des réponses à
ces questions parce que les sondages démontrent que la population
est dune part satisfaite de la qualité des soins quelle
reçoit mais dautre part très inquiète en
ce qui concerne la continuité de la prise en charge.
Une autre préoccupation de la Chaire: le recours à linnovation
et aux découvertes scientifiques. Tantôt linformation
scientifique ninfluence pas suffisamment la clinique, note le
chercheur, tantôt on se précipite sur tout ce qui est
nouveau sans se poser de questions. «Il existe un ensemble de
pratiques socio-organisationnelles qui balisent les comportements
dadoption des innovations. On sait, par exemple, que le clinicien
adoptera beaucoup plus facilement une innovation si celle-ci a cours
dans un institut reconnu ou si un collègue lutilise.
Pour réguler ladoption des innovations, il faut se pencher
sur le rôle des instances ayant une légitimité
professionnelle comme les conseils des médecins, dentistes
et pharmaciens.»
Grâce à cette chaire, qui est financée par la
Fondation canadienne de la recherche sur les services de santé,
Jean-Louis Denis compte non seulement établir un lien avec
les milieux de pratique mais aussi y exposer les étudiants
à la maîtrise et au doctorat ainsi que les stagiaires
postdoctoraux. Il mettra également sur pied des séminaires
à lintention des étudiants et des praticiens du
milieu; ces derniers seront dailleurs invités à
sinscrire à un doctorat professionnel afin de réfléchir
sur leur pratique. Enfin, la Chaire aura un rôle de producteur
de synthèses de connaissances. «Avec le cumul des connaissances
qui caractérise notre époque, il est imprudent de décider
seulement à partir dune seule étude», affirme
M. Denis.
Françoise
Lachance