Le
droit: miroir de la société
La
gestion de la différence représente un défi juridique
à relever, selon Jean Leclair.
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Les
Autochtones ne sont pas les seuls à sinterroger
sur leur identité. Cest aussi le problème
du Québec, souligne le professeur Jean Leclair, spécialiste
des lois autochtones et des questions constitutionnelles.
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«À
lépoque médiévale, la légitimité
du droit était basée sur sa conformité avec la
volonté de Dieu. Notre conception est différente: elle
est fondée sur le respect de la volonté populaire. Avec
une société de plus en plus hétérogène,
il est toutefois difficile de croire à lexistence de
cette raison universelle. Le pluralisme est souvent perçu comme
une chose inquiétante.»
Cest lopinion de Jean Leclair, professeur à la
Faculté de droit et spécialiste des lois autochtones.
Pour lui, le droit représente une des dernières valeurs
communes. Mais encore faut-il sentendre sur ce quil est.
On le définit généralement comme un système
de normes, dit-il, mais on oublie que ce sont des organes de pouvoir
qui les produisent et les appliquent. Et ces normes changent selon
les courants idéologiques, culturels, sociaux, économiques
et politiques.
«Certaines personnes pensent que le système juridique
est imperméable aux tendances idéologiques. Le droit
est pourtant un phénomène social comme un autre. Quant
à la volonté générale, elle nest
pas toujours synonyme de raison; elle se transforme parfois en instrument
doppression.» Heureusement, depuis la Seconde Guerre mondiale,
des documents internationaux et des chartes nationales protègent
les droits individuels et les droits des minorités. Aujourdhui,
la difficulté auquelle le droit fait face est dharmoniser
le respect de la différence avec la volonté de la majorité.
Les droits autochtones posent toutefois un problème particulier.
«Les tribunaux interviennent lorsquil y a discrimination,
signale Jean Leclair. Par exemple, quand une distinction illicite
est établie entre des personnes pour un motif lié à
une caractéristique qui ne peut être changée,
comme le sexe et la race, ou encore une valeur fondamentale telle
la religion. Dans le cas des autochtones, il sagit de droits
reconnus à des collectivités et non à des individus.»
Selon le professeur, les droits ancestraux bousculent notre conception
unitaire du droit, car ils concèdent aux autochtones un statut
différent du reste de la population. Cela peut choquer le commun
des mortels, pour qui lidée duniversalité
prime. Pourtant, les lois sont remplies de droits accordés
à des catégories de personnes et pas à dautres.
Laffaire
Marshall
En septembre 1999, les Micmacs de la baie de Miramichi et les agents
du ministère des Pêches et Océans Canada ont connu
une confrontation dont on parle encore un an plus tard. En vertu du
Traité de paix et damitié intervenu en 1760 entre
les Micmacs et les autorités coloniales britanniques, la Cour
suprême a accordé un droit de pêche de subsistance
aux membres de cette tribu. Invoquant la décision Marshall,
les Micmacs pêchent actuellement le homard en violation du droit
fédéral. Le privilège deffectuer une pêche
de subsistance le leur permet-il?
«La Cour a bien spécifié que le droit issu du
traité fondé sur larticle 35 de la Loi constitutionnelle
de 1982 nest pas absolu. Il ne confère pas un accès
illimité aux ressources halieutiques. La Cour a reconnu un
droit de pêcher des anguilles en dehors de la saison de pêche,
mais elle a également précisé que lexercice
de ce droit peut être réglementé par le fédéral.
De plus, le droit reconnu dans laffaire Marshall porte sur des
anguilles et non sur des homards.»
Mais comment traduit-on dans la réalité juridique les
droits ancestraux autochtones et ceux issus des traités signés
depuis larrivée des Européens? Dans plusieurs
décisions rendues depuis 1996, la Cour suprême sest
posé la question, répond M. Leclair. Elle a alors tenté
de définir ce que sont les droits ancestraux et les droits
issus de traités datant de plus de deux siècles. Résultat?
Ni la majorité ni les autochtones ne sont satisfaits.
«Les Blancs y voient un statut privilégié et les
Amérindiens reprochent à la Cour suprême de définir
leur identité de manière folklorique. Il est vrai quelle
a limité les droits ancestraux à des activités
antérieures à larrivée des Européens.
La Cour a même précisé que les pratiques nées
du contact avec les Blancs ne pourraient jamais être considérées
comme des droits ancestraux.
«Il faut bien admettre que les juges de la Cour suprême
ont une tâche impossible à accomplir, indique Jean Leclair.
On leur demande de résoudre des problèmes de manière
juste et équitable alors quil ny a pas de réponse
totalement objective. Faire du droit le miroir du pluralisme qui existe
dans notre société est très certainement un des
principaux défis auxquels est confronté le monde juridique
canadien.»
Dominique
Nancy
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