Volume 35 numéro 4
18 septembre
2000


 


Le droit: miroir de la société
La gestion de la différence représente un défi juridique à relever, selon Jean Leclair.

Les Autochtones ne sont pas les seuls à s’interroger sur leur identité. C’est aussi le problème du Québec, souligne le professeur Jean Leclair, spécialiste des lois autochtones et des questions constitutionnelles.

«À l’époque médiévale, la légitimité du droit était basée sur sa conformité avec la volonté de Dieu. Notre conception est différente: elle est fondée sur le respect de la volonté populaire. Avec une société de plus en plus hétérogène, il est toutefois difficile de croire à l’existence de cette raison universelle. Le pluralisme est souvent perçu comme une chose inquiétante.»

C’est l’opinion de Jean Leclair, professeur à la Faculté de droit et spécialiste des lois autochtones. Pour lui, le droit représente une des dernières valeurs communes. Mais encore faut-il s’entendre sur ce qu’il est. On le définit généralement comme un système de normes, dit-il, mais on oublie que ce sont des organes de pouvoir qui les produisent et les appliquent. Et ces normes changent selon les courants idéologiques, culturels, sociaux, économiques et politiques.

«Certaines personnes pensent que le système juridique est imperméable aux tendances idéologiques. Le droit est pourtant un phénomène social comme un autre. Quant à la volonté générale, elle n’est pas toujours synonyme de raison; elle se transforme parfois en instrument d’oppression.» Heureusement, depuis la Seconde Guerre mondiale, des documents internationaux et des chartes nationales protègent les droits individuels et les droits des minorités. Aujourd’hui, la difficulté auquelle le droit fait face est d’harmoniser le respect de la différence avec la volonté de la majorité. Les droits autochtones posent toutefois un problème particulier.

«Les tribunaux interviennent lorsqu’il y a discrimination, signale Jean Leclair. Par exemple, quand une distinction illicite est établie entre des personnes pour un motif lié à une caractéristique qui ne peut être changée, comme le sexe et la race, ou encore une valeur fondamentale telle la religion. Dans le cas des autochtones, il s’agit de droits reconnus à des collectivités et non à des individus.»

Selon le professeur, les droits ancestraux bousculent notre conception unitaire du droit, car ils concèdent aux autochtones un statut différent du reste de la population. Cela peut choquer le commun des mortels, pour qui l’idée d’universalité prime. Pourtant, les lois sont remplies de droits accordés à des catégories de personnes et pas à d’autres.


L’affaire Marshall
En septembre 1999, les Micmacs de la baie de Miramichi et les agents du ministère des Pêches et Océans Canada ont connu une confrontation dont on parle encore un an plus tard. En vertu du Traité de paix et d’amitié intervenu en 1760 entre les Micmacs et les autorités coloniales britanniques, la Cour suprême a accordé un droit de pêche de subsistance aux membres de cette tribu. Invoquant la décision Marshall, les Micmacs pêchent actuellement le homard en violation du droit fédéral. Le privilège d’effectuer une pêche de subsistance le leur permet-il?

«La Cour a bien spécifié que le droit issu du traité fondé sur l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 n’est pas absolu. Il ne confère pas un accès illimité aux ressources halieutiques. La Cour a reconnu un droit de pêcher des anguilles en dehors de la saison de pêche, mais elle a également précisé que l’exercice de ce droit peut être réglementé par le fédéral. De plus, le droit reconnu dans l’affaire Marshall porte sur des anguilles et non sur des homards.»

Mais comment traduit-on dans la réalité juridique les droits ancestraux autochtones et ceux issus des traités signés depuis l’arrivée des Européens? Dans plusieurs décisions rendues depuis 1996, la Cour suprême s’est posé la question, répond M. Leclair. Elle a alors tenté de définir ce que sont les droits ancestraux et les droits issus de traités datant de plus de deux siècles. Résultat? Ni la majorité ni les autochtones ne sont satisfaits.

«Les Blancs y voient un statut privilégié et les Amérindiens reprochent à la Cour suprême de définir leur identité de manière folklorique. Il est vrai qu’elle a limité les droits ancestraux à des activités antérieures à l’arrivée des Européens. La Cour a même précisé que les pratiques nées du contact avec les Blancs ne pourraient jamais être considérées comme des droits ancestraux.

«Il faut bien admettre que les juges de la Cour suprême ont une tâche impossible à accomplir, indique Jean Leclair. On leur demande de résoudre des problèmes de manière juste et équitable alors qu’il n’y a pas de réponse totalement objective. Faire du droit le miroir du pluralisme qui existe dans notre société est très certainement un des principaux défis auxquels est confronté le monde juridique canadien.»

Dominique Nancy