Les
habiletés cognitives à la lumière de la théorie
de lévolution
Les
différences cognitives entre les hommes et les femmes dans
les tâches visuo-spatiales seraient des avantages adaptatifs
retenus par la sélection naturelle.
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«La
psychologie évolutionniste permet de raffiner les
connaissances sur nos habiletés cognitives»,
estime Isabelle Écuyer-Dab. |
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La différence
entre les hommes et les femmes dans les tâches visuo-spatiales
est un phénomène bien connu en psychologie cognitive.
Les femmes, par exemple, parviennent mieux que les hommes à
situer des objets statiques (comme repérer où étaient
certains objets dans une pièce déjà visitée),
alors que les hommes réussissent mieux que les femmes lorsque
la tâche comporte un mouvement ou un déploiement dans
lespace (voir lexemple ci-contre).
Bien que le phénomène soit attesté dans la plupart
des cultures, tant chez les enfants que chez les adultes ainsi que
chez plusieurs espèces animales, peu de travaux ont permis
davancer une explication satisfaisante. Isabelle Écuyer-Dab,
étudiante au doctorat au Département de psychologie
et dirigée par la professeure Michèle Robert, vient
dapporter une contribution à létude de ce
phénomène.
Lapprentissage nest pas en cause
«Chez certains rongeurs, explique létudiante, les
meilleures capacités dorientation du mâle sont
corrélées avec la polygynie; cherchant à se reproduire
avec plusieurs femelles, le mâle parcourt un plus grand territoire,
doù lavantage davoir un bon sens de lorientation.
Cest là lhypothèse de la sélection
sexuelle.»
Les rares travaux qui ont cherché à expliquer le phénomène
chez les humains ont été menés dans des sociétés
traditionnelles africaines au cours des années 1970 et 1980.
Le cadre théorique de ces travaux imputait le meilleur sens
de lorientation des hommes à lapprentissage fait
dans lenfance; saventurant plus loin du village que les
filles, les garçons développeraient un sens de lorientation
plus aiguisé.
Les données empiriques recueillies par Isabelle Écuyer-Dab
auprès dadultes montréalais ne soutiennent pas
lhypothèse de lapprentissage. «Il existe
une corrélation entre létendue du domaine vital
et les performances visuo-spatiales chez les hommes, mais pas chez
les femmes. Si lhypothèse de lapprentissage était
exacte, on aurait dû retrouver chez les femmes qui ont la même
expérience que les hommes des habiletés visuo-spatiales
identiques, ce qui nest pas le cas.»
Lexpérience ne semble donc pas être la cause de
ces habiletés sexuellement différenciées. Mme
Écuyer-Dab y voit plutôt des prédispositions retenues
par la sélection naturelle. Lespèce humaine aurait-elle
une prédisposition à la polygynie?
«Une autre hypothèse évolutionniste doit être
prise en compte, répond la chercheuse: celle de la division
du travail. Selon cette hypothèse, les différences observées
ont été sélectionnées chez lespèce
ancestrale parce quelles constituaient des avantages reliés
aux fonctions respectives des deux sexes dans la quête de nourriture.
En tant que cueilleuses, les femmes devaient pouvoir repérer
ou retrouver facilement, saison après saison, des endroits
de cueillette, ce qui équivaut à situer dans lespace
des objets statiques. Cette tâche nécessitait de la dextérité
et une bonne acuité visuelle et olfactive, deux autres habiletés
plus développées chez les femmes. En tant que chasseurs,
les hommes couvraient plus de territoire et devaient pouvoir se représenter
facilement une cible en mouvement.»
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Laquelle
de ces formes correspond à la rotation de la première
figure? Les hommes réussissent mieux que les femmes dans
ce type de tâche alors que les femmes repèrent
plus facilement des objets statiques.
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Deux
hypothèses convergentes
Lhypothèse de la sélection sexuelle et celle de
la division du travail ont été développées
indépendamment lune de lautre. La première
visait à expliquer la disposition masculine à la navigation,
alors que la seconde mettait davantage laccent sur les habiletés
visuo-spatiales féminines. Isabelle Écuyer-Dab vient
contribuer à létude du phénomène
en développant laspect convergent des deux hypothèses
et en faisant mieux ressortir les liens entre la division du travail
et les habiletés masculines.
«Ces deux hypothèses ne sont pas contradictoires puisquelles
soutiennent lune et lautre laptitude masculine à
naviguer et à sorienter, souligne-t-elle. Mais cette
habileté est apparue tôt dans lévolution
des mammifères et est donc antérieure à la division
du travail chez lespèce humaine. Les dispositions liées
à la navigation, retenues par la sélection sexuelle,
peuvent être un prélude à la division du travail
puisquelles prédisposent les hommes aux fonctions de
la chasse. De plus, être bon chasseur peut représenter
un critère de sélection sexuelle de la part de la femme;
on sait que, dans plusieurs sociétés, le rang de dominance,
associé aux performances de chasse, est corrélé
avec un plus haut taux de reproduction.»
Ainsi exposée, la théorie de la division du travail
apparaît comme un raffinement de la sélection sexuelle.
Le fait de présenter les deux hypothèses comme étant
convergentes permet en outre dexpliquer les habiletés
spécifiques des deux sexes, alors que la seule théorie
de la sélection sexuelle nexplique pas pourquoi les femmes
réussissent mieux dans les tâches statiques.
«Cest lapproche évolutionniste qui a permis
de faire ressortir les capacités visuo-spatiales propres aux
deux sexes alors quon ne considérait habituellement que
les performances masculines», rappelle Mme Écuyer-Dab
pour souligner la pertinence de cette approche en psychologie.
Daniel
Baril
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