Volume 35 numéro 4
18 septembre
2000


 


Pointe-du-Buisson: 5000 ans d’occupation et deux millions d’artefacts
Vingt-deux ans de fouilles archéologiques à Pointe-du-Buisson ont révélé le passé préhistorique du sud-ouest du Québec.

Les Iroquoiens cultivaient le tabac, comme en témoignent ces morceaux de pipe en céramique que nous présente Normand Clermont.

C’est extraordinaire, exceptionnel, inouï, inimaginable!» Tous les qualificatifs pourraient y passer lorsque le coloré Normand Clermont, professeur d’archéologie au Département d’anthropologie, décrit le site de l’école de fouilles de Pointe-du-Buisson, à Melocheville.

C’est lui-même qui a mis sur pied cette école de fouilles en 1977, la première et la seule à ce jour consacrée à l’archéologie préhistorique du Québec. Quelque 220 émules d’Indiana Jones se sont ainsi succédé par groupes de 10 pendant 22 étés pour apprendre, sur le terrain, les rudiments des techniques de fouilles, allant de l’arpentage du site jusqu’au catalogage des pièces.

Au total, pas moins de deux millions d’artefacts ont été tirés du sol: grattoirs, pointes de flèches, pièces de poterie, hameçons, ossements, perles de colliers, pipes, restes de nourriture, éclats de pierre, tout objet aussi modeste soit-il devient, dans le langage archéologique, un «indice matériel chargé de signification culturelle». Ce matériel a déjà fourni la matière de 3 doctorats et de 12 maîtrises.

Malgré le nombre imposant de pièces recueillies, seulement deux pour cent de ce site de 21 hectares (210,000 m2) ont été fouillés. «C’est vous dire la richesse et l’importance du site!» s’exclame Normand Clermont.

 

Pièce de poterie iroquoienne datant de 3000 ans et exhumée du sous-sol de Pointe-du-Buisson.

5000 ans d’histoire
Les artefacts exhumés du sol permettent de reconstituer la préhistoire de tout le sud-ouest du Québec, incluant l’île de Montréal. «Avant ces fouilles, nous ne savions rien sur la préhistoire de la région, sinon ce qui nous venait de la tradition orale», souligne le professeur.

Située à l’embouchure du lac Saint-Louis, où le fleuve se transforme en rapides, Pointe-du-Buisson marquait un arrêt obligatoire pour les voyageurs empruntant la route du Saint-Laurent. De ce fait, l’endroit est extrêmement bien représentatif de l’occupation méridionale préhistorique du Québec.

«Il y a des traces d’occupations multiples et continues remontant au moins jusqu’à 5000 ans», précise M. Clermont. Cinq cents ans plus tard apparaissent les premiers indices de la culture proto-iroquoienne, qui va évoluer vers la société iroquoienne (incluant au Québec les Iroquois et les Hurons) en place lors de l’arrivée des Européens.

Les plus anciennes pièces de poterie découvertes à Pointe-du-Buisson datent de 3000 ans, ce qui indique que le début de la domestication du milieu forestier (période sylvicole) s’est effectuée à cette époque. La similitude des pièces retrouvées dans toute l’Iroquoisie —un territoire grand comme l’Angleterre et habité, à l’arrivée des Européens, par 100,000 personnes — montre également que ces populations étaient nomades.

L’endroit n’a pas été qu’un lieu de passage, il a aussi été un lieu de pêche. Entre l’an 500 et l’an 1000, les Iroquoiens deviennent semi-sédentaires et des groupes d’une trentaine de personnes (hommes, femmes et enfants) établissent, à cet endroit, un camp de pêche d’été. «Les restes de poisson découverts montrent qu’on y pêchait surtout la barbue, l’esturgeon, la barbotte et le doré.» Les dépotoirs contiennent également des ossements de castors, de chevreuils et d’ours, signes d’une occupation plus longue.

Le tournant du premier millénaire marque aussi l’adoption de l’agriculture. «On observe ce passage notamment par les grains retrouvés dans les foyers, explique l’archéologue. C’est ce qui permet de savoir que les Iroquoiens de cette époque cultivaient entre autres le maïs, les haricots, la citrouille, le tournesol et le tabac.»

Le passage à l’agriculture est accompagné d’une sédentarisation accrue, ce qui est également observable dans le sol de Pointe-du-Buisson. «Avec l’agriculture apparaissent les premiers villages, qui sont pris en charge par les femmes pendant que les hommes continuent d’aller à la chasse. À ce moment, les Iroquoiens ne campent plus à Pointe-du-Buisson parce que le sol glaiseux ne permet pas de semer; ils vont s’établir autour du lac Saint-Louis et ne retournent à la pointe que pour la pêche, qui devient une activité spécialisée.» Des harpons, des hameçons d’os, des pesées de lignes et même des bouts de filets découverts sur place en témoignent.

Les Français ont aussi laissé des traces sur les lieux. «On a mis au jour des balles de mousquet et l’on sait, par les écrits, que Frontenac y a campé. C’est d’ailleurs un de ses amis, le baron de La Hontan, qui nous a laissé la première carte, datée de 1752, où figure le nom de Pointe-du-Buisson.»


À la recherche d’un autre site

Même si l’endroit est loin d’avoir révélé tous ses secrets, l’école de fouilles déménagera l’an prochain. «Ce que le site renferme encore est inimaginable, estime Normand Clermont, mais il faut aussi approfondir notre connaissance des autres régions. De plus, ce site exceptionnel, où les étudiants peuvent découvrir et apprendre en un mois ce qui prendrait cinq ans ailleurs, n’est pas à l’image des sites archéologiques habituels.»

Le prochain site pourrait se situer en Estrie, quelque part le long de la frontière américaine. Un tel endroit permettrait d’établir un trait d’union entre les connaissances sur le sud-ouest du Québec et celles fournies par les sites de la Nouvelle-Angleterre.

Daniel Baril