Pointe-du-Buisson:
5000 ans doccupation et deux millions dartefacts
Vingt-deux
ans de fouilles archéologiques à Pointe-du-Buisson ont
révélé le passé préhistorique du
sud-ouest du Québec.
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Les
Iroquoiens cultivaient le tabac, comme en témoignent
ces morceaux de pipe en céramique que nous présente
Normand Clermont. |
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Cest extraordinaire,
exceptionnel, inouï, inimaginable!» Tous les qualificatifs
pourraient y passer lorsque le coloré Normand Clermont, professeur
darchéologie au Département danthropologie,
décrit le site de lécole de fouilles de Pointe-du-Buisson,
à Melocheville.
Cest lui-même qui a mis sur pied cette école de
fouilles en 1977, la première et la seule à ce jour
consacrée à larchéologie préhistorique
du Québec. Quelque 220 émules dIndiana Jones se
sont ainsi succédé par groupes de 10 pendant 22 étés
pour apprendre, sur le terrain, les rudiments des techniques de fouilles,
allant de larpentage du site jusquau catalogage des pièces.
Au total, pas moins de deux millions dartefacts ont été
tirés du sol: grattoirs, pointes de flèches, pièces
de poterie, hameçons, ossements, perles de colliers, pipes,
restes de nourriture, éclats de pierre, tout objet aussi modeste
soit-il devient, dans le langage archéologique, un «indice
matériel chargé de signification culturelle».
Ce matériel a déjà fourni la matière de
3 doctorats et de 12 maîtrises.
Malgré le nombre imposant de pièces recueillies, seulement
deux pour cent de ce site de 21 hectares (210,000 m2)
ont été fouillés. «Cest vous dire
la richesse et limportance du site!» sexclame Normand
Clermont.
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Pièce
de poterie iroquoienne datant de 3000 ans et exhumée
du sous-sol de Pointe-du-Buisson. |
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5000
ans dhistoire
Les artefacts exhumés du sol permettent de reconstituer la
préhistoire de tout le sud-ouest du Québec, incluant
lîle de Montréal. «Avant ces fouilles, nous
ne savions rien sur la préhistoire de la région, sinon
ce qui nous venait de la tradition orale», souligne le professeur.
Située à lembouchure du lac Saint-Louis, où
le fleuve se transforme en rapides, Pointe-du-Buisson marquait un
arrêt obligatoire pour les voyageurs empruntant la route du
Saint-Laurent. De ce fait, lendroit est extrêmement bien
représentatif de loccupation méridionale préhistorique
du Québec.
«Il y a des traces doccupations multiples et continues
remontant au moins jusquà 5000 ans», précise
M. Clermont. Cinq cents ans plus tard apparaissent les premiers indices
de la culture proto-iroquoienne, qui va évoluer vers la société
iroquoienne (incluant au Québec les Iroquois et les Hurons)
en place lors de larrivée des Européens.
Les plus anciennes pièces de poterie découvertes à
Pointe-du-Buisson datent de 3000 ans, ce qui indique que le début
de la domestication du milieu forestier (période sylvicole)
sest effectuée à cette époque. La similitude
des pièces retrouvées dans toute lIroquoisie un
territoire grand comme lAngleterre et habité, à
larrivée des Européens, par 100,000 personnes
montre également que ces populations étaient
nomades.
Lendroit na pas été quun lieu de passage,
il a aussi été un lieu de pêche. Entre lan
500 et lan 1000, les Iroquoiens deviennent semi-sédentaires
et des groupes dune trentaine de personnes (hommes, femmes et
enfants) établissent, à cet endroit, un camp de pêche
dété. «Les restes de poisson découverts
montrent quon y pêchait surtout la barbue, lesturgeon,
la barbotte et le doré.» Les dépotoirs contiennent
également des ossements de castors, de chevreuils et dours,
signes dune occupation plus longue.
Le tournant du premier millénaire marque aussi ladoption
de lagriculture. «On observe ce passage notamment par
les grains retrouvés dans les foyers, explique larchéologue.
Cest ce qui permet de savoir que les Iroquoiens de cette époque
cultivaient entre autres le maïs, les haricots, la citrouille,
le tournesol et le tabac.»
Le passage à lagriculture est accompagné dune
sédentarisation accrue, ce qui est également observable
dans le sol de Pointe-du-Buisson. «Avec lagriculture apparaissent
les premiers villages, qui sont pris en charge par les femmes pendant
que les hommes continuent daller à la chasse. À
ce moment, les Iroquoiens ne campent plus à Pointe-du-Buisson
parce que le sol glaiseux ne permet pas de semer; ils vont sétablir
autour du lac Saint-Louis et ne retournent à la pointe que
pour la pêche, qui devient une activité spécialisée.»
Des harpons, des hameçons dos, des pesées de lignes
et même des bouts de filets découverts sur place en témoignent.
Les Français ont aussi laissé des traces sur les lieux.
«On a mis au jour des balles de mousquet et lon sait,
par les écrits, que Frontenac y a campé. Cest
dailleurs un de ses amis, le baron de La Hontan, qui nous a
laissé la première carte, datée de 1752, où
figure le nom de Pointe-du-Buisson.»
À
la recherche dun autre site
Même si lendroit est loin davoir révélé
tous ses secrets, lécole de fouilles déménagera
lan prochain. «Ce que le site renferme encore est inimaginable,
estime Normand Clermont, mais il faut aussi approfondir notre connaissance
des autres régions. De plus, ce site exceptionnel, où
les étudiants peuvent découvrir et apprendre en un mois
ce qui prendrait cinq ans ailleurs, nest pas à limage
des sites archéologiques habituels.»
Le prochain site pourrait se situer en Estrie, quelque part le long
de la frontière américaine. Un tel endroit permettrait
détablir un trait dunion entre les connaissances
sur le sud-ouest du Québec et celles fournies par les sites
de la Nouvelle-Angleterre.
Daniel
Baril
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