Volume 35 numéro 3
11 septembre
2000


 


Mieux vaut être un chien vivant qu’un lion mort
Marc F. Gélinas publie son premier roman.

Marc F. Gélinas

Professeur de scénarisation au Programme d’études cinématographiques, Marc F. Gélinas avait déjà écrit pour le cinéma, le théâtre, la radio et la télévision, mais lorsqu’il a fixé son regard sur l’opérateur de la surfaceuse au Forum de Montréal un soir de 1982, c’est un roman qu’il a eu envie d’écrire. «Je ne croyais pas dépasser une quarantaine de pages. Un an et 300 pages plus tard, il a bien fallu me rendre à l’évidence: je venais d’écrire un roman.»

L’ouvrage, paru récemment chez VLB éditeur, s’intitule Chien vivant et met en vedette Maurice «Rocket» Tremblay, un jeune homme originaire de la Gaspésie qui rêve de manoeuvrer ce que tous les Québécois appellent une Zamboni. En devenant opérateur à l’Aréna de Montréal, Mo acquerra le statut de héros au sein de la famille. Ce n’est pas rien. Un tel métier permet de faire 30 fois par match le tour de la patinoire, seul sur une glace où se sont écrites tant de pages de notre histoire.

Marc F. Gélinas, Chien vivant, Montréal, VLB éditeur, 2000, 376 pages.

Le titre vient d’une citation de l’Ecclésiaste reproduite en exergue: «Un chien vivant vaut mieux qu’un lion mort.» «J’ai voulu prendre un personnage qui soit tout, sauf un lion, explique l’auteur. Le type d’homme que personne ne remarque. Ce n’est pas un athlète, il n’est ni beau ni laid, ni grand ni petit. Puis, j’ai voulu en révéler la beauté. Il y a du sublime chez l’homme qu’on ne voit pas.»


Amour du hockey et art naïf
Maurice «Rocket» Tremblay poussera son zèle jusqu’à décorer son appartement d’objets de patinoire. «La première oeuvre connue fut le lit, peut-on lire à la page 127. Une pièce maîtresse. Pour la tête, une cage de but récupérée. Libérée de ses filets. Sablée jusqu’au métal. Repeinte avec trois couches d’émail. Rouge aréna. Délicatement appliquées. Presque laquées. Pour le pied du lit, un motif entrecroisé de deux bâtons de gardien de but.»

À la cuisine, une table aux coins arrondis et aux couleurs du Montréal rappelle la patinoire du Forum. Ce premier logement conduira Maurice à devenir mécène. Il demande à Réjean «Picasso» Thériault, l’homme qui peint les pubs sur les bandes de la patinoire, de venir chez lui créer une peinture représentant toute sa vie. Le lecteur est amené à imaginer la murale: une surfaceuse et dans l’assistance les parents, amis, frère et soeur du protagoniste.

Comme il se doit, cet art naïf attire l’attention d’un grand connaisseur, qui y voit une «rupture postmoderne». Malheureusement, le matin du vernissage, Picasso boit tellement de bière qu’il sombre dans un coma éthylique.

«J’ai voulu passer du sublime au grotesque, dit Marc F. Gélinas. Les gens ordinaires n’ont pas d’histoire? Il n’y a pas plus ordinaire que ce gars-là. Et pourtant, il lui en arrive, des histoires...»


Un roman parlé
Le roman, qui ne se compare à aucun autre, emprunte beaucoup au langage parlé. On sent le scénariste derrière. «Je n’ai pas pensé une seconde en faire un scénario pour la télé ou le cinéma. Mais mon expérience m’a servi, c’est sûr. Par exemple, il m’est arrivé d’en réciter tout haut des passages, simplement pour m’assurer que ça coulait bien. C’est un roman qui se lit à voix haute.»

Plusieurs images exploitées dans Chien vivant sont particulièrement réussies. Avant que le grand-père de Maurice meure, il lui vient l’ambition de remplir la maison de cailloux, «du gros caillou de rivière bien sec, bien cuit, bien rond». Pourquoi cette lubie? Vraisemblablement pour manifester son inimitié contre son fils. Puis, alors que les pierres ont rempli la maison, débordant par les soupiraux et les fenêtres du sous-sol, le pépé s’éteint. Il voulait être enterré à la verticale? Pas de problème. Son fils creuse un trou profond et l’y glisse... tête première.

Dans la famille où Maurice «Rocket» voit le jour, on est bien entendu fou de hockey, et il n’est pas rare de voir le père, Théo, monter à Montréal afin d’assister à un match des Fabuleux. Du fond de la Gaspésie, cela donne près de 24 heures de route pour un spectacle parfois bien médiocre...

Mais c’est surtout de famille qu’il est question dans Chien vivant. Une famille un peu névrosée qui rappelle celle de Léolo, le dernier film de Jean-Claude Lauzon. Théo fait croire mordicus à tous les membres de sa famille qu’un train passe au beau milieu du salon. Plutôt que de regarder la télévision ou de jouer aux cartes, les Tremblay s’adonnent alors à l’une de leurs activités préférées: attendre le train dans leurs fauteuils. Lorsqu’il arrive, on l’entend, on le voit, on sent ses vibrations. Cette hallucination collective est d’une telle efficacité que, le jour du retour de Maurice en Gaspésie, un an après son déménagement à Montréal, ses proches ratent son arrivée à la gare parce qu’ils l’ont attendu, en vain, dans le salon.

«Pourquoi ces histoires de cailloux et de train? Parce que je pense que nous sommes tous un peu fous, dit Marc F. Gélinas. Particulièrement dans nos familles. Je défie n’importe qui de me démontrer qu’il n’y a pas ce genre de choses dans sa famille.»


Jubilation
Après une période de recherche qui a duré plusieurs années (voyages en Gaspésie, interviews d’opérateurs de surfaceuse, etc.), l’auteur a notamment consacré une année sabbatique à la rédaction de ce roman. Cela lui a procuré un plaisir qu’il n’avait jamais ressenti en 30 ans de carrière. «Durant ma période d’écriture intensive, il fallait m’arracher à ma table. Le soir, je ressentais une véritable jubilation.»

M. Gélinas ne saurait nommer ses influences, même s’il reconnaît que son style s’apparente au réalisme magique sud-américain (comme dans Cent ans de solitude, de Gabriel García Márquez). «J’ai cherché à couvrir tout le spectre, du terre à terre au sublime, du grotesque au dramatique.»

Pris à son jeu, l’auteur a déjà entamé le second tome de Chien vivant. L’histoire se déroulera de 1982 à 2000. Pour un récit qui devait s’écrire en 40 pages...
Mathieu-Robert Sauvé

Mathieu-Robert Sauvé



Êtes-vous «chien vivant»?
Marc F. Gélinas a écrit deux pièces de théâtre qui ont été montées par des troupes professionnelles: Papineau Rides Again (Théâtre du rideau vert) et La barrière (TNM). Il a écrit les scénarios de Piccolo, avec Paul Buissonneau, dans les bonnes années de la télévision pour enfants, et a fait plusieurs radio-théâtres et séries télévisées, dont Maman chérie, diffusée à Radio-Canada il y a deux ans. Avant de publier son premier roman, il avait aussi touché à la poésie et à la nouvelle. Les différents supports pour raconter une histoire l’intéressent donc depuis longtemps.

Internet a offert à l’auteur l’occasion d’expérimenter un nouveau média. À l’adresse <http://chienvivant.situs.qc.ca>, on retrouve Maurice, Théo, Picasso, Blondie et d’autres personnages du roman de M. Gélinas, mais aussi un test pour mettre nos connaissances à l’épreuve. Selon les réponses obtenues, l’usager est classé Champion, Pro, Junior, Peewee, Atome ou Votre chien est mort. Il peut également faire imprimer un certificat d’honneur, délivré par le maître Chien.

«La majorité des sites de livres sont ennuyants à mourir, dit l’auteur. J’ai voulu expérimenter une nouvelle façon de faire connaître mon roman. À en juger par le nombre de demandes par mois, ça marche plutôt bien.»

M.-R.S.