Mieux
vaut être un chien vivant quun lion mort
Marc
F. Gélinas publie son premier roman.
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Professeur de
scénarisation au Programme détudes cinématographiques,
Marc F. Gélinas avait déjà écrit pour
le cinéma, le théâtre, la radio et la télévision,
mais lorsquil a fixé son regard sur lopérateur
de la surfaceuse au Forum de Montréal un soir de 1982, cest
un roman quil a eu envie décrire. «Je ne
croyais pas dépasser une quarantaine de pages. Un an et 300
pages plus tard, il a bien fallu me rendre à lévidence:
je venais décrire un roman.»
Louvrage, paru récemment chez VLB éditeur, sintitule
Chien vivant et met en vedette Maurice «Rocket»
Tremblay, un jeune homme originaire de la Gaspésie qui rêve
de manoeuvrer ce que tous les Québécois appellent une
Zamboni. En devenant opérateur à lAréna
de Montréal, Mo acquerra le statut de héros au sein
de la famille. Ce nest pas rien. Un tel métier permet
de faire 30 fois par match le tour de la patinoire, seul sur une glace
où se sont écrites tant de pages de notre histoire.
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Marc
F. Gélinas, Chien vivant, Montréal, VLB éditeur,
2000, 376 pages. |
Le titre vient
dune citation de lEcclésiaste reproduite
en exergue: «Un chien vivant vaut mieux quun lion mort.»
«Jai voulu prendre un personnage qui soit tout, sauf un
lion, explique lauteur. Le type dhomme que personne ne
remarque. Ce nest pas un athlète, il nest ni beau
ni laid, ni grand ni petit. Puis, jai voulu en révéler
la beauté. Il y a du sublime chez lhomme quon ne
voit pas.»
Amour
du hockey et art naïf
Maurice «Rocket» Tremblay poussera son zèle jusquà
décorer son appartement dobjets de patinoire. «La
première oeuvre connue fut le lit, peut-on lire à la
page 127. Une pièce maîtresse. Pour la tête, une
cage de but récupérée. Libérée
de ses filets. Sablée jusquau métal. Repeinte
avec trois couches démail. Rouge aréna. Délicatement
appliquées. Presque laquées. Pour le pied du lit, un
motif entrecroisé de deux bâtons de gardien de but.»
À la cuisine, une table aux coins arrondis et aux couleurs
du Montréal rappelle la patinoire du Forum. Ce premier logement
conduira Maurice à devenir mécène. Il demande
à Réjean «Picasso» Thériault, lhomme
qui peint les pubs sur les bandes de la patinoire, de venir chez lui
créer une peinture représentant toute sa vie. Le lecteur
est amené à imaginer la murale: une surfaceuse et dans
lassistance les parents, amis, frère et soeur du protagoniste.
Comme il se doit, cet art naïf attire lattention dun
grand connaisseur, qui y voit une «rupture postmoderne».
Malheureusement, le matin du vernissage, Picasso boit tellement de
bière quil sombre dans un coma éthylique.
«Jai voulu passer du sublime au grotesque, dit Marc F.
Gélinas. Les gens ordinaires nont pas dhistoire?
Il ny a pas plus ordinaire que ce gars-là. Et pourtant,
il lui en arrive, des histoires...»
Un
roman parlé
Le roman, qui ne se compare à aucun autre, emprunte beaucoup
au langage parlé. On sent le scénariste derrière.
«Je nai pas pensé une seconde en faire un scénario
pour la télé ou le cinéma. Mais mon expérience
ma servi, cest sûr. Par exemple, il mest arrivé
den réciter tout haut des passages, simplement pour massurer
que ça coulait bien. Cest un roman qui se lit à
voix haute.»
Plusieurs images exploitées dans Chien vivant sont particulièrement
réussies. Avant que le grand-père de Maurice meure,
il lui vient lambition de remplir la maison de cailloux, «du
gros caillou de rivière bien sec, bien cuit, bien rond».
Pourquoi cette lubie? Vraisemblablement pour manifester son inimitié
contre son fils. Puis, alors que les pierres ont rempli la maison,
débordant par les soupiraux et les fenêtres du sous-sol,
le pépé séteint. Il voulait être
enterré à la verticale? Pas de problème. Son
fils creuse un trou profond et ly glisse... tête première.
Dans la famille où Maurice «Rocket» voit le jour,
on est bien entendu fou de hockey, et il nest pas rare de voir
le père, Théo, monter à Montréal afin
dassister à un match des Fabuleux. Du fond de la Gaspésie,
cela donne près de 24 heures de route pour un spectacle parfois
bien médiocre...
Mais cest surtout de famille quil est question dans Chien
vivant. Une famille un peu névrosée qui rappelle
celle de Léolo, le dernier film de Jean-Claude Lauzon.
Théo fait croire mordicus à tous les membres de sa famille
quun train passe au beau milieu du salon. Plutôt que de
regarder la télévision ou de jouer aux cartes, les Tremblay
sadonnent alors à lune de leurs activités
préférées: attendre le train dans leurs fauteuils.
Lorsquil arrive, on lentend, on le voit, on sent ses vibrations.
Cette hallucination collective est dune telle efficacité
que, le jour du retour de Maurice en Gaspésie, un an après
son déménagement à Montréal, ses proches
ratent son arrivée à la gare parce quils lont
attendu, en vain, dans le salon.
«Pourquoi ces histoires de cailloux et de train? Parce que je
pense que nous sommes tous un peu fous, dit Marc F. Gélinas.
Particulièrement dans nos familles. Je défie nimporte
qui de me démontrer quil ny a pas ce genre de choses
dans sa famille.»
Jubilation
Après une période de recherche qui a duré plusieurs
années (voyages en Gaspésie, interviews dopérateurs
de surfaceuse, etc.), lauteur a notamment consacré une
année sabbatique à la rédaction de ce roman.
Cela lui a procuré un plaisir quil navait jamais
ressenti en 30 ans de carrière. «Durant ma période
décriture intensive, il fallait marracher à
ma table. Le soir, je ressentais une véritable jubilation.»
M. Gélinas ne saurait nommer ses influences, même sil
reconnaît que son style sapparente au réalisme
magique sud-américain (comme dans Cent ans de solitude,
de Gabriel García Márquez). «Jai cherché
à couvrir tout le spectre, du terre à terre au sublime,
du grotesque au dramatique.»
Pris à son jeu, lauteur a déjà entamé
le second tome de Chien vivant. Lhistoire se déroulera
de 1982 à 2000. Pour un récit qui devait sécrire
en 40 pages...
Mathieu-Robert Sauvé
Mathieu-Robert
Sauvé
Êtes-vous
«chien vivant»?
Marc F. Gélinas a écrit deux pièces de théâtre
qui ont été montées par des troupes professionnelles:
Papineau Rides Again (Théâtre du rideau vert) et La barrière
(TNM). Il a écrit les scénarios de Piccolo, avec Paul
Buissonneau, dans les bonnes années de la télévision
pour enfants, et a fait plusieurs radio-théâtres et séries
télévisées, dont Maman chérie, diffusée
à Radio-Canada il y a deux ans. Avant de publier son premier
roman, il avait aussi touché à la poésie et à
la nouvelle. Les différents supports pour raconter une histoire
lintéressent donc depuis longtemps.
Internet a offert à lauteur loccasion dexpérimenter
un nouveau média. À ladresse <http://chienvivant.situs.qc.ca>,
on retrouve Maurice, Théo, Picasso, Blondie et dautres
personnages du roman de M. Gélinas, mais aussi un test pour mettre
nos connaissances à lépreuve. Selon les réponses
obtenues, lusager est classé Champion, Pro, Junior, Peewee,
Atome ou Votre chien est mort. Il peut également faire imprimer
un certificat dhonneur, délivré par le maître
Chien.
«La majorité des sites de livres sont ennuyants à
mourir, dit lauteur. Jai voulu expérimenter une nouvelle
façon de faire connaître mon roman. À en juger par
le nombre de demandes par mois, ça marche plutôt bien.»
M.-R.S.