Volume
35
numéro 3
11 septembre 2000
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Internet
et littérature
Le
professeur Melançon propose une solution au problème
de la parcellisation de linformation dans Internet.
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«Lengouement
pour Internet nous oblige à nous interroger sur nos
habitudes de communication et de lecture», souligne
Benoît Melançon, professeur au Département
détudes françaises. |
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Le 24 juillet
dernier, Stephen King a offert aux internautes la version électronique
du premier chapitre de son nouveau roman, The Plant, pour 1$US. Il
sagissait de sa deuxième expérience dans le commerce
en ligne. Le célèbre auteur américain a fait
un malheur dans le Net avec son livre Riding the Bullet: en
moins de 24 heures, plus de 400,000 personnes lont acheté.
«Le World Wide Web ne bouleverse pas que le monde de lédition,
signale Benoît Melançon, professeur au Département
détudes françaises. Limpact de lordinateur
et du triple W nous oblige à nous interroger sur nos habitudes
de communication et de lecture.» Il ne sagit pas dun
effet de mode, ajoute-t-il. Depuis une trentaine dannées,
de nombreux chercheurs en lettres sintéressent aux outils
offerts par lordinateur.
Aujourdhui, lordinateur et le Web soulèvent de
nouvelles interrogations dans lensemble des études littéraires,
fait valoir le chercheur dans un article paru au printemps dans la
revue Études françaises. Le numéro Internet
et littérature: nouveaux espaces décriture,
tente de mieux comprendre les rapports entre lordinateur et
la littérature. Il réunit approches théoriques,
cas illustratifs et exemples de textes littéraires produits
directement par ordinateur (voir lencadré sur le dernier
numéro de la revue).
Un
«vortail»?
Le professeur Melançon présente notamment dans cette
publication des Presses de lUniversité de Montréal
une solution au problème de la parcellisation de linformation
dans Internet. «On a créé des moteurs de recherche
afin de faciliter la tâche des internautes, mais, même
avec un outil aussi performant que Google, il est encore difficile
de trouver une information précise. Résultat: on obtient
en une demi-seconde 20,000 références
pas toujours
pertinentes.»
De toute évidence, ce type de logiciel ne suffit plus. Le «vortail»,
un concept emprunté au monde du commerce, pourrait servir dans
le domaine de la recherche, estime M. Melançon. Quest-ce
quun vortail? Cest un site Web spécialisé
qui permet daccéder par hypertexte à des sources
dinformation sur un sujet particulier, explique-t-il.
«Plutôt que de passer par un seul moteur de recherche
ou demployer les moteurs de métarecherche, [les internautes]
pourraient se rendre à ce portail au moment dentreprendre
une recherche, écrit-il dans la revue Études françaises.
Il ne sagirait pas de rassembler en un lieu toutes les ressources,
mais dy regrouper les hyperliens y menant. Cela exigerait la
collaboration de ceux qui les gèrent et de ceux qui sen
servent: ce portail ne serait viable que sil était continuellement
enrichi et largement fréquenté.»
Un projet de cette nature se déroule au Centre international
détude du XVIIIe siècle de Ferney-Voltaire, en
France, auquel est associé le professeur du Département
détudes françaises. Lobjectif nest
pas de répertorier toutes les publications électroniques
dans le domaine de la littérature, mais de faciliter le travail
des dix-huitiémistes. Selon Benoît Melançon, lélaboration
doutils semblables est aujourdhui nécessaire compte
tenu de lutilité dInternet et de son développement
effréné.
Le
courriel: confidentiel?
Internet change la nature même des études en littérature,
constate le professeur. «Vouloir le nier serait aussi absurde
que daffirmer que la naissance de la photographie ou du cinéma,
pour prendre des cas similaires, na rien changé à
lécriture littéraire. Lire à lécran,
ce nest pas lire un recueil de textes; sélectionner un
parcours de lecture hypertextuel ou se le voir dicter, ce nest
pas suivre linéairement lordre des mots imprimés;
écrire à plusieurs, parfois dans lanonymat, ce
nest pas sasseoir seul devant la page blanche.»
Daprès Benoît Melançon, la notion même
dauteur pourrait se transformer avec limpact dInternet.
Mais le lauréat du prix Raymond-Klibansky, de la Fédération
canadienne des sciences humaines et sociales pour son ouvrage sur
loeuvre épistolaire de Denis Diderot, nest pas
contre le développement technologique. Chaque jour, il se sert
du courrier électronique.
Dans Sevigne@Internet, un essai paru en 1996 qui compare la
lettre traditionnelle et le courriel, M. Melançon aborde notamment
le problème de la confidentialité des échanges.
«La littérature regorge de cas où un tiers lit
une lettre qui ne lui est pas destinée. Le danger est le même
avec le courrier électronique. Ce qui change maintenant, cest
la facilité de diffusion du message intercepté, lampleur
que cette diffusion peut connaître et sa rapidité dexécution.»
David H., étudiant à lÉcole des hautes
études commerciales en France, la appris à ses
dépens. En quelques jours, un message envoyé à
des amis a été diffusé dans le monde entier et
a suscité la controverse; létudiant se plaignait
fort crûment dune importante entreprise. Plus de 25,000
internautes ont visité le site intitulé «Laffaire
David H.».
Lorsque ce fait divers a attiré lattention des médias,
une journaliste française a envoyé un courrier électronique
au professeur Melançon pour linterviewer sur le sujet.
Comme il se trouve alors à Bangkok, cest de la Thaïlande
quil répond à ses questions. Six mois plus tôt,
la même journaliste avait communiqué avec lui par courriel,
car elle le croyait à Montréal, pour obtenir une entrevue.
M. Melançon était en fait à Paris, à quelques
kilomètres du journal; il suggère de la rencontrer pour
discuter de vive voix de son ouvrage, publié aux Éditions
Fides.
«Morale de cette histoire? Si jamais jactualise mon livre,
la question de la géographie tiendra une place plus importante
dans ma réflexion quelle ne la fait jusquà
présent. Pour moi, Internet est dabord et avant tout
un outil indispensable qui incite à soumettre de vieilles questions
à un nouvel éclairage.»
Dominique
Nancy
Déconstruire
le mythe des salons littéraires
«Ce ne sont pas seulement Julie de Lespinasse, la marquise du
Deffand ou encore Mme Geoffrin, ces femmes intelligentes reconnues pour
avoir tenu des salons littéraires dans le Paris de la fin du
18e siècle, qui attirent chez elles les personnalités
des arts et des lettres. Cest surtout le pouvoir des habitués
qui suscite lintérêt. Chez la marquise du Deffand,
par exemple, on note la présence de DAlembert, secrétaire
de lAcadémie française.»
Celui qui sexprime ainsi est Benoît Melançon, professeur
au Département détudes françaises. Sceptique
face au discours des manuels dhistoire de la littérature
du 18e siècle, qui décrivent les salons littéraires
comme des lieux de sociabilité intellectuelle égalitaire,
il entreprend, sous un angle nouveau, lanalyse de textes de Marivaux,
Diderot et Rousseau. Il tente de mettre en lumière comment la
littérature en est venue à construire le lieu mythique
que sont les salons littéraires.
«On se situe dans une société de lAncien Régime
caractérisée par des normes aristocratiques, souligne
le chercheur. Ce serait tout de même un peu étrange que
nimporte qui puisse entrer dans un salon privé et prendre
la parole pour faire valoir son talent. Dautant plus que linfluence
des salons est particulièrement importante en ce qui a trait
à la reconnaissance de lauteur et dans le processus dattribution
des pensions et des places à lAcadémie.»
Pourtant, le modèle du salon littéraire le plus convenu
est celui dune hôtesse distinguée recevant chez elle
de grands esprits qui conversent et défendent, sans conflit,
les valeurs dites fondamentales des Lumières. Certains hommes,
comme le baron dHolbach, ont aussi tenu des salons. Mais les manuels
parlent peu deux et présentent un portrait idéalisé
de ces rencontres entre lettrés et savants, déplore M.
Melançon.
Son hypothèse de recherche pourrait bientôt se voir confirmer.
Durant sa plus récente année sabbatique, il a passé
quelques mois à Paris pour travailler dans les bibliothèques.
Cest alors quil découvre un texte inconnu dun
dénommé Rutlidge. Lauteur y présente un point
de vue antiphilosophique sur un salon littéraire de lépoque.
«Il existe certainement dautres écrits similaires,
affirme le professeur Melançon. Il faut les trouver, car les
salons du 18e siècle semblent caractérisés par
des relations de pouvoir culturel tenues sous silence dans les ouvrages
dhistoire de la littérature.»
D.N.
Presse et littérature
Quont en commun Émile Zola, François Mauriac, Jean-Paul
Sartre, Philippe Sollers et Gilles Marcotte? Ce sont des écrivains
et journalistes qui incarnent, de façon très diverse,
la proximité entre activités littéraires et activités
journalistiques, révèlent les professeurs Micheline Cambron
et Hans-Jürgen Lüsebrink, respectivement de lUniversité
de Montréal et de lUniversité Saarbrücken,
en Allemagne.
«Reste que, dans la perception de lhistoire littéraire
et culturelle, la partie journalistique dune oeuvre décrivain
apparaît généralement comme dimportance secondaire.
[
] Lappréciation inégale de ces pratiques
et des rôles socioculturels auxquels ils renvoient dans le discours
social reflète ce clivage», précisent les chercheurs
dans un article publié dans le dernier numéro de la revue
Études françaises.
Presse et littérature: la circulation des discours dans lespace
public sinterroge sur les rapports entre le sixième
pouvoir et lécriture littéraire. Trois angles y
sont abordés: la place de la littérature dans les périodiques
et son importance dans lévolution de certains genres littéraires;
le rôle et limpact de la critique littéraire dans
la presse; et, enfin, les interrelations entre lécriture
de lécrivain et celle du journaliste.
Louvrage de 214 pages préparé par Mme Cambron et
M. Lüsebrink comprend une dizaine darticles de chercheurs
universitaires dici, de la France et de lAllemagne. Il réunit
également les réflexions des critiques littéraires
Gilles Marcotte, Thomas Steinfeld et Jean M. Goulemot sur les liens
entre la littérature et lespace public en mutation (voir
larticle paru dans Forum le 12 avril 1999).
Le prochain numéro de la revue traitera de la construction du
concept déternité dans le discours. Études
françaises sadresse principalement aux spécialistes
des littératures française et québécoise,
mais aussi à toute personne qui sintéresse aux rapports
entre les arts et les sciences humaines, les discours et lécriture.
Louvrage de critique et de théorie est en vente dans les
librairies de lUniversité et du quartier au prix de 12$.
On peut aussi sy abonner par le site Web des Presses de lUniversité
de Montréal: <www.pum.umontreal.ca/revues/revues.html>.
D.N.
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