Le
pays réel sacrifié
Ou
lurgence dun débat sur laménagement
urbain et paysager au Québec.
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Pour
Daniel Gill et Paul Lewis, largument circonstanciel
nest pas une excuse valable au court-circuitage des
études dimpact et des débats publics
entourant laménagement du territoire. |
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Dérapages,
improvisations, dérobades, échecs, absence de consultations
et de débats, mépris pour la démocratie participative,
voilà ce qui caractérise le développement urbain
au Québec selon les signataires du Pays réel sacrifié.
Lauteur principal, Gérard Beaudet, professeur à
lInstitut durbanisme, qualifie louvrage de «manifeste»,
mais on est plus porté à y voir un pamphlet terme
que Paul Lewis, du même institut, nhésite pas à
reprendre tellement la critique est virulente et népargne
personne.
«Nous avons voulu défendre la rigueur dans les prises
de décision qui ont un impact sur laménagement
du territoire et qui, de plus en plus, surviennent sans aucun débat
public, explique Paul Lewis. Lurbanisme et laménagement
ne sont pas des sciences exactes et les débats sont nécessaires.»
Résolument à contre-courant de la rectitude politique,
louvrage vise en fait à «dénoncer sans complaisance
les décideurs publics qui sévertuent à
dilapider un capital constitué par les siècles doccupation
humaine».
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Gérard
Beaudet, avec la collaboration de Paul Lewis et des contributions
de Jean Décarie et Daniel Gill, Le pays réel sacrifié,
La mise en tutelle de lurbanisme au Québec, Québec,
Éditions Nota bene, 2000, 362 pages. |
Les exemples de
cette dilapidation sont nombreux et les auteurs nous livrent une douzaine
de cas puisés dans lactualité des dernières
années, tant à Montréal quailleurs en province:
le mont Royal grugé par les promoteurs immobiliers, la mauvaise
reconversion de lédifice Redpath, la démolition
du Montreal Hunt Club, le CHUM, les grandes surfaces dans les petites
villes comme Magog, la côte des Éboulements, etc.
Ce dernier exemple sert dillustration à la jaquette du
volume et semble un cas typique de mauvaise décision aux effets
désastreux. Même si la cause de laccident qui a
fait 40 morts était le mauvais état des freins de lautobus,
le gouvernement a quand même décidé de refaire
la route tout en se soustrayant à toute consultation publique.
«La richesse des Éboulements, ce nest pas la route
mais le paysage, souligne Paul Lewis. Sil faut une route, il
faut aussi trouver un équilibre entre culture et nature et
permettre à ceux qui ont une expertise en aménagement
dintervenir lorsque limpact risque de détruire
la ressource.»
Où
sont les études?
Dans chaque cas analysé, le problème tourne justement
autour de labsence détudes dimpact. Un autre
exemple: la vente, par la Ville de Montréal, de la gare Jean-Talon
à la société Loblaws alors que le plan durbanisme
réservait cet emplacement à des fins exclusivement publiques
et communautaires. «Cest la récupération
dun bâtiment public au profit dune entreprise privée,
reprend Paul Lewis. Il ny a pas eu détudes dimpact
pour intégrer larrivée dune grande surface
au développement économique et culturel du secteur.
Quel en sera leffet sur les commerçants des alentours?»
Un facteur aggravant montrant que les administrateurs publics se plient
aux désirs des promoteurs: devant le non-respect des engagements
de Loblaws quant à la surface à construire, la Ville
a tout simplement modifié son règlement.
«Les questions daménagement sont souvent présentées
comme un frein au développement», souligne pour sa part
Daniel Gill, un autre collaborateur de louvrage et professeur
invité à lInstitut durbanisme. «Mais
les études dimpact ont pour but de réduire les
effets négatifs et de favoriser des effets positifs et structurants
pour le développement urbain. On ne soppose pas au développement;
il faut toutefois cesser de voir à court terme et poser les
vraies questions parce que les interventions en urbanisme ont des
conséquences pour les 40 ou 50 années qui suivent.»
Cest ce qui na pas été fait dans le projet
de construction du CHUM, croient les auteurs. À leurs yeux,
ce projet sest imposé parce que la fusion des trois hôpitaux
existants a été un échec et que la nécessité
de cette fusion na pas été démontrée.
«Il ny a pas eu détudes pour déterminer
limpact quaura cette construction sur les hôpitaux
du centre-ville, indique Paul Lewis. Si lon dépense 800
M$ pour construire un hôpital, on peut se permettre de prendre
plus que trois semaines pour en mesurer les effets. Mais le débat
éclairé na pas eu lieu, pas plus que le débat
sur lemplacement retenu et qui est moins accessible aux moyens
de transport que le centre-ville.»
Surtout
lancer le débat
Les lecteurs qui sattendent à trouver des solutions à
ce qui est considéré comme de mauvaises décisions
resteront toutefois sur leur faim. «Nous navons pas présenté
de solutions parce que nous ne cherchons pas à imposer nos
vues, nous souhaitons plutôt susciter un débat»,
explique Paul Lewis.
Au-delà des cas étudiés, cest labsence
de planification intégrée, ou encore la mise en tutelle
de lurbanisme par le pouvoir politique néolibéral,
qui est dénoncée. Pire quune incurie, la situation
aurait toutes les apparences dune mise au rancart délibérée
des préoccupations urbanistiques et patrimoniales, qui avaient
pourtant conduit à la mise en place dinfrastructures
de consultation dans les décennies 1970 et 1980. En orientant
leur critique sur le plan politique, les auteurs récusent du
même coup largument circonstanciel souvent invoqué
pour justifier des décisions précipitées ou le
court-circuitage des processus de consultation.
Les urbanistes eux-mêmes ne sont pas en reste et lépilogue
est consacré à la complicité, par abstention,
de lOrdre des urbanistes, qui reste muet devant la détérioration
observée. Les auteurs croient finalement que la création
dune association large regroupant urbanistes, aménagistes,
environnementalistes, architectes du paysage et géographes
serait un outil approprié pour amorcer le débat public
autour de la protection du patrimoine.
Daniel
Baril