Volume 35 numéro 3
11 septembre 2000


 


Gare aux clauses sur la diffusion des résultats!
Geneviève Cardinal a trouvé des failles dans plusieurs contrats de recherche.

Geneviève Cardinal a choisi de poursuivre une carrière en recherche après avoir terminé un baccalauréat en droit et avoir fait son barreau. Elle est agente de recherche au CRDP et étudiante à la maîtrise.

Lorsque Nancy Olivieri, de l’Hôpital pour enfants malades de Toronto, a découvert que le médicament qu’elle administrait à des enfants atteints de thalassémie dans le cadre d’une étude clinique pouvait être nocif à long terme, elle a cru bon d’en informer les parents et de publier ses résultats dans le New England Journal of Medicine. Mal lui en prit: la compagnie pharmaceutique Apotex, qui finançait ses travaux, l’a démise de ses fonctions et lui a coupé les vivres. L’entreprise agissait en toute légalité, car une clause de son contrat précisait que toute diffusion de la recherche devait être approuvée par elle.

«Cet exemple montre l’importance que les chercheurs devraient attacher au contenu des clauses qu’ils acceptent de signer, commente Geneviève Cardinal, agente de recherche au Centre de recherche en droit public (CRDP). Les clauses liées à la communication des résultats de recherche, loin d’être uniformes d’un contrat à l’autre, méritent qu’on s’y attarde pour en saisir toute la portée.»

Le cas de Mme Olivieri a attiré l’attention d’un large public lorsqu’il a éclaté au grand jour, en 1998. Au CRDP, on a voulu savoir s’il constituait une exception ou s’il était la partie visible de l’iceberg. Au cours d’une recherche qu’elle vient de terminer, Mme Cardinal a examiné une cinquantaine de contrats signés par des chercheurs canadiens (travaillant principalement dans le domaine de la génétique) avec des entreprises nord-américaines. Sa conclusion: «Les contrats liant les chercheurs à des sociétés privées ont rarement été rédigés pour la recherche biomédicale. La plupart sont des contrats commerciaux qu’on a adaptés aux impératifs de la recherche. Les intérêts commerciaux ne sont pas toujours compatibles avec la méthode scientifique. Les notions de transparence, notamment, peuvent être différentes.»


Autre problème: les délais
Toutes les entreprises ne veulent pas taire les résultats qui vont à l’encontre de leurs intérêts. Certaines écrivent noir sur blanc que le chercheur a le droit de disposer comme il l’entend des fruits de ses découvertes. Mais Geneviève Cardinal reconnaît que ce n’est pas la norme. «Nous avons aussi observé que plusieurs industries s’attribuent un pouvoir absolu pour décider du bien-fondé de la diffusion des résultats. Le chercheur tombe sous ce pouvoir et la diffusion pourrait être tout à fait empêchée si l’industrie s’y oppose», écrit-elle dans un article paru dans le Health Law Journal en 1999.

Un autre problème soulevé par ce type de contrat se situe sur le plan des délais. La juriste admet qu’une entreprise privée puisse souhaiter acquérir des brevets au terme d’une recherche qu’elle finance. Elle peut donc exiger un certain secret, le temps d’étudier cette possibilité. «Les agents de brevet disent qu’un délai de deux ou trois mois est suffisant. Or, bon nombre d’entreprises exigent plus de six mois. C’est nettement injustifié.»

Ce problème de la communication des résultats de recherche résulte du choc de deux cultures, estime Mme Cardinal: la culture universitaire et la culture de l’industrie. Avec le désengagement financier de l’État dans la recherche scientifique, faut-il s’en étonner? Un certain rattrapage a été fait au cours des derniers mois avec l’annonce de nouveaux fonds gouvernementaux, mais tous les chercheurs savent qu’il faut désormais composer avec l’entreprise. «Un bon contrat respecte les intérêts du chercheur et de l’entreprise qui le finance, tout en faisant profiter l’ensemble de la communauté scientifique de l’avancement des connaissances», dit-elle. Ça existe? «Oui, ça existe.»

En cas de mésentente, les parties pourraient faire appel à un arbitre ou encore demander au comité d’éthique de la recherche de trouver une solution. Ce sont des pistes que la juriste se propose d’examiner dans les mois qui viennent.


Emballée par la biotechnologie
En plus de son travail au CRDP, Geneviève Cardinal achève une maîtrise sur un sujet qui fait couler beaucoup d’encre par les temps qui courent: la thérapie génique. À titre de juriste, son approche est originale. «Je me suis demandé si la thérapie génique devait être considérée, sur le plan légal, comme une recherche médicale parmi d’autres ou avoir un statut particulier.»

Après une étude comparative qui l’a menée en France, aux États-Unis, au Royaume-Uni et ailleurs au Canada, elle semble pencher plutôt du côté du système en place au Royaume-Uni. «On a créé là-bas une commission nationale qui centralise toute l’information relative à la thérapie génique. C’est elle qui accorde les autorisations, assure le suivi et répertorie les essais cliniques. C’est une excellente façon, à mon avis, d’avoir une vue d’ensemble.»

Et la vue d’ensemble est essentielle, estime Mme Cardinal. Au Canada, aucune autorité ne saurait répondre à cette simple question: combien y a-t-il d’expériences en cours et combien de sujets humains y participent? Et le Canada ne constitue pas une exception. Aux États-Unis, en septembre 1999, la mort d’un patient pendant une expérience de thérapie génique, Jessie Gelsinger, a provoqué toute une commotion dans le milieu biomédical, car jusque-là entreprises privées et chercheurs semblaient engagés dans une alliance féconde. Après avoir institué une enquête à la grandeur du pays, les National Institutes of Health ont dû reconnaître que beaucoup d’effets secondaires leur échappaient, même s’ils finançaient une bonne partie des travaux en cours. Comme le rapportait la revue Nature en février dernier, 652 cas problèmes, incluant plusieurs décès, ont été répertoriés à la suite de la mort de Jessie Gelsinger. Mais on a pris soin d’indiquer que ces décès étaient «non attribuables à la thérapie génique».

«Paradoxalement, au même moment, les revues scientifiques faisaient état de succès très prometteurs en thérapie génique obtenus par une équipe française. Cela démontre bien le caractère particulier de ces recherches», dit Geneviève Cardinal.

Mathieu-Robert Sauvé