Gare
aux clauses sur la diffusion des résultats!
Geneviève
Cardinal a trouvé des failles dans plusieurs contrats de recherche.
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Geneviève
Cardinal a choisi de poursuivre une carrière en recherche
après avoir terminé un baccalauréat
en droit et avoir fait son barreau. Elle est agente de recherche
au CRDP et étudiante à la maîtrise. |
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Lorsque Nancy
Olivieri, de lHôpital pour enfants malades de Toronto,
a découvert que le médicament quelle administrait
à des enfants atteints de thalassémie dans le cadre
dune étude clinique pouvait être nocif à
long terme, elle a cru bon den informer les parents et de publier
ses résultats dans le New England Journal of Medicine.
Mal lui en prit: la compagnie pharmaceutique Apotex, qui finançait
ses travaux, la démise de ses fonctions et lui a coupé
les vivres. Lentreprise agissait en toute légalité,
car une clause de son contrat précisait que toute diffusion
de la recherche devait être approuvée par elle.
«Cet exemple montre limportance que les chercheurs devraient
attacher au contenu des clauses quils acceptent de signer, commente
Geneviève Cardinal, agente de recherche au Centre de recherche
en droit public (CRDP). Les clauses liées à la communication
des résultats de recherche, loin dêtre uniformes
dun contrat à lautre, méritent quon
sy attarde pour en saisir toute la portée.»
Le cas de Mme Olivieri a attiré lattention dun
large public lorsquil a éclaté au grand jour,
en 1998. Au CRDP, on a voulu savoir sil constituait une exception
ou sil était la partie visible de liceberg. Au
cours dune recherche quelle vient de terminer, Mme Cardinal
a examiné une cinquantaine de contrats signés par des
chercheurs canadiens (travaillant principalement dans le domaine de
la génétique) avec des entreprises nord-américaines.
Sa conclusion: «Les contrats liant les chercheurs à des
sociétés privées ont rarement été
rédigés pour la recherche biomédicale. La plupart
sont des contrats commerciaux quon a adaptés aux impératifs
de la recherche. Les intérêts commerciaux ne sont pas
toujours compatibles avec la méthode scientifique. Les notions
de transparence, notamment, peuvent être différentes.»
Autre
problème: les délais
Toutes les entreprises ne veulent pas taire les résultats qui
vont à lencontre de leurs intérêts. Certaines
écrivent noir sur blanc que le chercheur a le droit de disposer
comme il lentend des fruits de ses découvertes. Mais
Geneviève Cardinal reconnaît que ce nest pas la
norme. «Nous avons aussi observé que plusieurs industries
sattribuent un pouvoir absolu pour décider du bien-fondé
de la diffusion des résultats. Le chercheur tombe sous ce pouvoir
et la diffusion pourrait être tout à fait empêchée
si lindustrie sy oppose», écrit-elle dans
un article paru dans le Health Law Journal en 1999.
Un autre problème soulevé par ce type de contrat se
situe sur le plan des délais. La juriste admet quune
entreprise privée puisse souhaiter acquérir des brevets
au terme dune recherche quelle finance. Elle peut donc
exiger un certain secret, le temps détudier cette possibilité.
«Les agents de brevet disent quun délai de deux
ou trois mois est suffisant. Or, bon nombre dentreprises exigent
plus de six mois. Cest nettement injustifié.»
Ce problème de la communication des résultats de recherche
résulte du choc de deux cultures, estime Mme Cardinal: la culture
universitaire et la culture de lindustrie. Avec le désengagement
financier de lÉtat dans la recherche scientifique, faut-il
sen étonner? Un certain rattrapage a été
fait au cours des derniers mois avec lannonce de nouveaux fonds
gouvernementaux, mais tous les chercheurs savent quil faut désormais
composer avec lentreprise. «Un bon contrat respecte les
intérêts du chercheur et de lentreprise qui le
finance, tout en faisant profiter lensemble de la communauté
scientifique de lavancement des connaissances», dit-elle.
Ça existe? «Oui, ça existe.»
En cas de mésentente, les parties pourraient faire appel à
un arbitre ou encore demander au comité déthique
de la recherche de trouver une solution. Ce sont des pistes que la
juriste se propose dexaminer dans les mois qui viennent.
Emballée
par la biotechnologie
En plus de son travail au CRDP, Geneviève Cardinal achève
une maîtrise sur un sujet qui fait couler beaucoup dencre
par les temps qui courent: la thérapie génique. À
titre de juriste, son approche est originale. «Je me suis demandé
si la thérapie génique devait être considérée,
sur le plan légal, comme une recherche médicale parmi
dautres ou avoir un statut particulier.»
Après une étude comparative qui la menée
en France, aux États-Unis, au Royaume-Uni et ailleurs au Canada,
elle semble pencher plutôt du côté du système
en place au Royaume-Uni. «On a créé là-bas
une commission nationale qui centralise toute linformation relative
à la thérapie génique. Cest elle qui accorde
les autorisations, assure le suivi et répertorie les essais
cliniques. Cest une excellente façon, à mon avis,
davoir une vue densemble.»
Et la vue densemble est essentielle, estime Mme Cardinal. Au
Canada, aucune autorité ne saurait répondre à
cette simple question: combien y a-t-il dexpériences
en cours et combien de sujets humains y participent? Et le Canada
ne constitue pas une exception. Aux États-Unis, en septembre
1999, la mort dun patient pendant une expérience de thérapie
génique, Jessie Gelsinger, a provoqué toute une commotion
dans le milieu biomédical, car jusque-là entreprises
privées et chercheurs semblaient engagés dans une alliance
féconde. Après avoir institué une enquête
à la grandeur du pays, les National Institutes of Health ont
dû reconnaître que beaucoup deffets secondaires
leur échappaient, même sils finançaient
une bonne partie des travaux en cours. Comme le rapportait la revue
Nature en février dernier, 652 cas problèmes,
incluant plusieurs décès, ont été répertoriés
à la suite de la mort de Jessie Gelsinger. Mais on a pris soin
dindiquer que ces décès étaient «non
attribuables à la thérapie génique».
«Paradoxalement, au même moment, les revues scientifiques
faisaient état de succès très prometteurs en
thérapie génique obtenus par une équipe française.
Cela démontre bien le caractère particulier de ces recherches»,
dit Geneviève Cardinal.
Mathieu-Robert
Sauvé