TÉMOIGNAGES
En
souvenir de Réjane Bernier
Cest avec regret que nous signalons le décès,
le 17 mars de cette année, dune collègue estimée,
Réjane Bernier. Elle quittait ce monde après une vie
active au service du Département de philosophie de lUniversité
de Montréal.
Même à la retraite, elle continuait de travailler dans
son domaine de recherche, la philosophie des sciences biologiques,
en particulier sur les rapports à établir entre la catégorie
de quantité dans la physique dAristote et «son
rôle en physique, mathématique et métaphysique»,
pour reprendre le sous-titre dun article paru de sa main dans
la revue Archives de philosophie (no 62, 1999, p. 595-637).
Réjane Bernier enseignait la philosophie depuis longtemps à
lUniversité, à une époque où le
rôle des femmes, surtout dans notre discipline, était
peu reconnu. Elle était, avec Germaine Cromp, une des rares
femmes à occuper un poste de professeur de philosophie. Elle
laisse à ses collègues le souvenir dune personne
enjouée, soucieuse des préoccupations des autres. Un
jeune Kényan, dont elle avait dirigé avec beaucoup de
compétence la thèse de doctorat en philosophie de la
biologie, me faisait part de la grande tristesse quil avait
éprouvée en apprenant son décès.
Elle sétait spécialisée en philosophie
des sciences biologiques, dont elle était la représentante
attitrée au Département. Elle avait affiné sa
connaissance des méthodes et problématiques de la biologie
en effectuant de nombreux stages dans des laboratoires et écoles
spécialisés: en Italie à lUniversité
de Bari en 1976; à lInstitut de biologie de Palerme en
1981, 1982 et 1984; au Département de biologie de lUniversité
nationale de Buenos Aires en 1986; et en Chine la même année.
Car elle sintéressait également aux perspectives
autres quoccidentales dans sa discipline, aux études
comparatives en embryologie (Inde) et à la philosophie de la
morphogenèse. Requiescat in pace!
Venant Cauchy
Professeur émérite
Hommage
à Jean Papineau-Couture
Jean
Papineau-Couture (1916-2000) aura été un véritable
pionnier du développement du milieu musical québécois,
à la fois comme compositeur, pédagogue et administrateur.
Petit-fils de Guillaume Couture et de Mercédès Papineau,
il a reçu une formation musicale dun éclectisme
rare pour son époque au Québec. En effet, après
létude du piano avec sa mère Marie-Anne Dostaler,
puis avec Françoise DAmour, il profitera des enseignements
de Gabriel Cusson et de Léo-Pol Morin, avant daller parfaire
son éducation à létranger. Il obtient notamment
un baccalauréat du New England Conservatory de Boston. Par
la suite, il étudie avec Nadia Boulanger, qui lui permet dapprofondir
les grandes oeuvres de Stravinski, Fauré, Ravel et Debussy.
De retour à Montréal en 1945, il enseigne les matières
théoriques au Conservatoire de musique de Montréal de
1946 à 1963 et les disciplines décriture à
la Faculté de musique de lUniversité de Montréal
de 1951 à 1982. Ses collègues de la première
heure à la Faculté de musique sont aussi de grands personnages
de notre histoire: Alfred Bernier, Clément Morin, Éthelbert
Thibaut, Auguste Descarries, Marcel Laurencelle, Georges-Émile
Tanguay, Albert Cornellier, Jean Vallerand et Eugène Lapierre.
La Faculté de musique lui doit notamment la création
dun cours de théorie scientifique de la musique, que
lon connaît aujourdhui sous le vocable d«acoustique
musicale», cours destiné à rendre les étudiants
conscients des principes de la résonance. Il a prodigué
son enseignement à certains des grands noms de la création
musicale au Québec, entre autres Marcelle Deschênes,
Richard Grégoire, Jacques Hétu, François Morel,
André Prévost, Massimo Rossi et Gilles Tremblay. Ses
disciples reconnaissent en lui un pédagogue exceptionnel, très
engagé, dune rigueur dans sa démarche comparable
à celle de sa musique.
Jean Papineau-Couture sera nommé secrétaire de faculté
dès sa deuxième année à lUniversité
et il occupera cette fonction pendant 16 ans , mais cest
véritablement entre 1953 et 1955 quil fera ses premières
armes comme administrateur. Il devient doyen par intérim en
remplacement de Clément Morin, au moment où ce dernier
effectue un séjour détudes à Rome. Fin
diplomate, il profite de cet «intermède» pour faire
de cette jeune école de musique sacrée un véritable
lieu de formation scientifique et de réflexion sur la création
musicale en général. Cest ainsi quil élabore
des cours dacoustique, dharmonie, danalyse, de solfège
tonal et atonal, de musique canadienne (avec Maryvonne Kendergi) et
dinformatique-musique. Nommé doyen en 1967, il a alors
à faire face au courant de contestation de mai 1968 qui remet
en cause son mode de gestion. Beau joueur, il accepte de remettre
sa démission. Cependant, devant lincapacité à
le remplacer dans limmédiat, il doit assumer un intérim
dun an en attendant larrivée dun nouveau
doyen, Gilles Manny. La Faculté de musique est désormais
sur la voie du développement.
Lexpérience du décanat a permis à Jean
Papineau-Couture dacquérir une connaissance profonde
du milieu de léducation musicale quil saura mettre
à profit au sein de diverses instances où son sens critique
suscite le respect et, parfois, la crainte.
Tout au long de sa carrière, Jean Papineau-Couture sest
totalement engagé dans les organismes culturels. Cest
ainsi quon le retrouve successivement à des postes décisionnels
à lAcadémie de musique de Québec, à
lAssociation des professeurs de musique du Québec, aux
Jeunesses musicales du Canada, au Conseil canadien de la musique,
au Conseil provincial des arts du Québec, au Centre musical
canadien (dont il est membre fondateur et dont une section va devenir
la Société de musique canadienne), à la Société
de musique contemporaine du Québec (dont il est membre fondateur
et président de 1966 à 1972), au Conseil canadien de
recherches sur les humanités (qui deviendra le Conseil de recherches
en sciences humaines du Canada) et à lEncyclopédie
de la musique au Canada.
De nombreuses récompenses sont venues couronner son action.
Citons le prix Calixa-Lavallée en 1962, la Médaille
du Conseil canadien de la musique en 1973, le prix Denise-Pelletier
en 1981, le Diplôme dhonneur de la Conférence canadienne
des arts en 1986; il a également été nommé
officier de lOrdre du Canada en 1968, puis compagnon en 1994
et grand officier de lOrdre du Québec en 1988. Soulignons
aussi que la musicologue Louise Bail Milot lui a consacré une
importante monographie, qui a été publiée en
1986.
Comme compositeur, Jean Papineau-Couture laisse un nombre imposant
doeuvres. La recherche des timbres alliée au souci dune
structure accentuée demeure au centre des caractéristiques
de son jet créateur, dans la lignée des Prokofiev et
Stravinski. Il aura composé jusquà la fin de sa
vie, comme en témoigne la création dun trio pour
piano, violon et violoncelle qua joué le trio Hochelaga
cet été au Centre darts dOrford.
Nous conserverons de lui limage dun homme intègre,
généreux, entièrement voué au développement
de léducation musicale et de la composition et à
la diffusion de la musique de notre temps.
Réjean Poirier
Doyen