Volume 35 numéro 2
5 septembre
2000




TÉMOIGNAGES

En souvenir de Réjane Bernier
C’est avec regret que nous signalons le décès, le 17 mars de cette année, d’une collègue estimée, Réjane Bernier. Elle quittait ce monde après une vie active au service du Département de philosophie de l’Université de Montréal.

Même à la retraite, elle continuait de travailler dans son domaine de recherche, la philosophie des sciences biologiques, en particulier sur les rapports à établir entre la catégorie de quantité dans la physique d’Aristote et «son rôle en physique, mathématique et métaphysique», pour reprendre le sous-titre d’un article paru de sa main dans la revue Archives de philosophie (no 62, 1999, p. 595-637).

Réjane Bernier enseignait la philosophie depuis longtemps à l’Université, à une époque où le rôle des femmes, surtout dans notre discipline, était peu reconnu. Elle était, avec Germaine Cromp, une des rares femmes à occuper un poste de professeur de philosophie. Elle laisse à ses collègues le souvenir d’une personne enjouée, soucieuse des préoccupations des autres. Un jeune Kényan, dont elle avait dirigé avec beaucoup de compétence la thèse de doctorat en philosophie de la biologie, me faisait part de la grande tristesse qu’il avait éprouvée en apprenant son décès.

Elle s’était spécialisée en philosophie des sciences biologiques, dont elle était la représentante attitrée au Département. Elle avait affiné sa connaissance des méthodes et problématiques de la biologie en effectuant de nombreux stages dans des laboratoires et écoles spécialisés: en Italie à l’Université de Bari en 1976; à l’Institut de biologie de Palerme en 1981, 1982 et 1984; au Département de biologie de l’Université nationale de Buenos Aires en 1986; et en Chine la même année. Car elle s’intéressait également aux perspectives autres qu’occidentales dans sa discipline, aux études comparatives en embryologie (Inde) et à la philosophie de la morphogenèse. Requiescat in pace!

Venant Cauchy
Professeur émérite


Hommage à Jean Papineau-Couture

Jean Papineau-Couture (1916-2000) aura été un véritable pionnier du développement du milieu musical québécois, à la fois comme compositeur, pédagogue et administrateur. Petit-fils de Guillaume Couture et de Mercédès Papineau, il a reçu une formation musicale d’un éclectisme rare pour son époque au Québec. En effet, après l’étude du piano avec sa mère Marie-Anne Dostaler, puis avec Françoise D’Amour, il profitera des enseignements de Gabriel Cusson et de Léo-Pol Morin, avant d’aller parfaire son éducation à l’étranger. Il obtient notamment un baccalauréat du New England Conservatory de Boston. Par la suite, il étudie avec Nadia Boulanger, qui lui permet d’approfondir les grandes oeuvres de Stravinski, Fauré, Ravel et Debussy.

De retour à Montréal en 1945, il enseigne les matières théoriques au Conservatoire de musique de Montréal de 1946 à 1963 et les disciplines d’écriture à la Faculté de musique de l’Université de Montréal de 1951 à 1982. Ses collègues de la première heure à la Faculté de musique sont aussi de grands personnages de notre histoire: Alfred Bernier, Clément Morin, Éthelbert Thibaut, Auguste Descarries, Marcel Laurencelle, Georges-Émile Tanguay, Albert Cornellier, Jean Vallerand et Eugène Lapierre. La Faculté de musique lui doit notamment la création d’un cours de théorie scientifique de la musique, que l’on connaît aujourd’hui sous le vocable d’«acoustique musicale», cours destiné à rendre les étudiants conscients des principes de la résonance. Il a prodigué son enseignement à certains des grands noms de la création musicale au Québec, entre autres Marcelle Deschênes, Richard Grégoire, Jacques Hétu, François Morel, André Prévost, Massimo Rossi et Gilles Tremblay. Ses disciples reconnaissent en lui un pédagogue exceptionnel, très engagé, d’une rigueur dans sa démarche comparable à celle de sa musique.

Jean Papineau-Couture sera nommé secrétaire de faculté dès sa deuxième année à l’Université — et il occupera cette fonction pendant 16 ans —, mais c’est véritablement entre 1953 et 1955 qu’il fera ses premières armes comme administrateur. Il devient doyen par intérim en remplacement de Clément Morin, au moment où ce dernier effectue un séjour d’études à Rome. Fin diplomate, il profite de cet «intermède» pour faire de cette jeune école de musique sacrée un véritable lieu de formation scientifique et de réflexion sur la création musicale en général. C’est ainsi qu’il élabore des cours d’acoustique, d’harmonie, d’analyse, de solfège tonal et atonal, de musique canadienne (avec Maryvonne Kendergi) et d’informatique-musique. Nommé doyen en 1967, il a alors à faire face au courant de contestation de mai 1968 qui remet en cause son mode de gestion. Beau joueur, il accepte de remettre sa démission. Cependant, devant l’incapacité à le remplacer dans l’immédiat, il doit assumer un intérim d’un an en attendant l’arrivée d’un nouveau doyen, Gilles Manny. La Faculté de musique est désormais sur la voie du développement.

L’expérience du décanat a permis à Jean Papineau-Couture d’acquérir une connaissance profonde du milieu de l’éducation musicale qu’il saura mettre à profit au sein de diverses instances où son sens critique suscite le respect et, parfois, la crainte.
Tout au long de sa carrière, Jean Papineau-Couture s’est totalement engagé dans les organismes culturels. C’est ainsi qu’on le retrouve successivement à des postes décisionnels à l’Académie de musique de Québec, à l’Association des professeurs de musique du Québec, aux Jeunesses musicales du Canada, au Conseil canadien de la musique, au Conseil provincial des arts du Québec, au Centre musical canadien (dont il est membre fondateur et dont une section va devenir la Société de musique canadienne), à la Société de musique contemporaine du Québec (dont il est membre fondateur et président de 1966 à 1972), au Conseil canadien de recherches sur les humanités (qui deviendra le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada) et à l’Encyclopédie de la musique au Canada.

De nombreuses récompenses sont venues couronner son action. Citons le prix Calixa-Lavallée en 1962, la Médaille du Conseil canadien de la musique en 1973, le prix Denise-Pelletier en 1981, le Diplôme d’honneur de la Conférence canadienne des arts en 1986; il a également été nommé officier de l’Ordre du Canada en 1968, puis compagnon en 1994 et grand officier de l’Ordre du Québec en 1988. Soulignons aussi que la musicologue Louise Bail Milot lui a consacré une importante monographie, qui a été publiée en 1986.

Comme compositeur, Jean Papineau-Couture laisse un nombre imposant d’oeuvres. La recherche des timbres alliée au souci d’une structure accentuée demeure au centre des caractéristiques de son jet créateur, dans la lignée des Prokofiev et Stravinski. Il aura composé jusqu’à la fin de sa vie, comme en témoigne la création d’un trio pour piano, violon et violoncelle qu’a joué le trio Hochelaga cet été au Centre d’arts d’Orford.

Nous conserverons de lui l’image d’un homme intègre, généreux, entièrement voué au développement de l’éducation musicale et de la composition et à la diffusion de la musique de notre temps.

Réjean Poirier
Doyen