Incendier
la montagne et avaler une bombe atomique!
La Division
des archives retrace les plus folles initiations.
Initier les nouveaux
étudiants est une tradition qui remonte à 1920, année
de la fondation de lUniversité de Montréal. Celle-ci
est alors établie rue Saint-Denis et compte quelques centaines
détudiants. Aujourdhui, alors que la population
étudiante frise les 50,000, on voit toujours des groupes de
nouveaux subir la «torture» de linitiation.
Quelques initiations sont passées à lhistoire.
À la fin de la Seconde Guerre mondiale, en 1945, un étudiant
en sciences est forcé davaler une réplique de
la bombe atomique et les étudiants en droit menacent dassommer
le conducteur de tramway qui refuse de les conduire dans le quartier
du Palais de justice (où lon trouve plusieurs bonnes
tavernes). Quant aux étudiants de la Faculté de théologie,
ils veulent
incendier la montagne. Même ceux en relations
industrielles veulent faire la grève.
Les initiations suivent les moeurs. Au cours des récentes années
se sont ajoutées des activités comme le jeu-questionnaire
étudiant «Bols et Bolles», des épluchettes
de blé dInde et des spectacles dhumoristes. La
seule activité qui ait subsisté depuis 80 ans, cest
la danse. Quelle porte le nom de «Danse des cassés»,
«Bal des nouveaux», «Party deux étages»,
la danse demeure la grande activité de clôture des festivités.
Les initiations ont pour but de permettre aux étudiants de
faire le pont entre la fin des vacances et le début de lannée
universitaire. Ce nest pas dhier que la bière coule
à flots. Mais qui pourrait blâmer les étudiants
de vouloir fêter un peu avant dentamer huit mois de labeur?
Pas même Mgr Irénée Lussier, le recteur, qui en
1956 incitait ses étudiants à prendre du bon temps:
«Il faut se divertir, mais dans le but de travailler plus fort
par la suite. La conscience pèse lourd au paresseux. Il sagit
donc dagir de façon que personne ne puisse se faire un
seul reproche.»
Emprise de la religion
Les années 1950 sont marquées par une grande emprise
de la religion catholique. En 1953, linitiation débute
avec la messe du Saint-Esprit à léglise Saint-Germain,
dOutremont. Cest linitiation au Christ. Ensuite
les étudiants sont convoqués au restaurant Chez Valère,
où les repas, préparés par les étudiantes
en diététique, sont servis dans de petites boîtes
scellées quon ira ouvrir sur la montagne. Une projection
suit cette dégustation. Le tout se termine par un discours
du recteur, Mgr Olivier Maurault. Les étudiants sont par la
suite invités à baiser la bague du chancelier de lUniversité,
le cardinal Paul-Émile Léger. On demande après
aux nouveaux de signer le livre dor. Le chant des Escholiers
et le Ô Canada! sont chantés à plusieurs reprises.
Le tout se termine par la bénédiction paternelle du
cardinal.
Les années 1960 marquent une période de contestation
étudiante. En 1963, le journal étudiant souhaite la
bienvenue à tous les policiers qui deviennent carabins: «Nous
voulons souhaiter la bienvenue à tous les policiers (R.C.M.P.,
P.P. et agents municipaux) qui envahissent notre campus cette année
dans le but bien défini de détruire toute tendance subversive
chez les étudiants.»
La parade, ancêtre de linitiation
En 1920, linitiation prend la forme dune parade organisée
par les étudiants. Ceux-ci désirent montrer à
la population quils aiment samuser en faisant preuve dimagination.
Mais les autorités universitaires leur rappellent larticle
89 des règlements de lUniversité: 1) ne pas interpeller
les dames dans la rue, 2) ne pas se servir des chants liturgiques
en dehors de léglise, 3) sabstenir de tout abus
de boissons alcooliques, sous peine dexpulsion.
Les cours débutent en octobre. La parade se déroule
dune façon très ordonnée le samedi soir
afin de permettre à toute la population dy assister.
Elle se compose de chars allégoriques qui témoignent
de la vie étudiante. Trois des quatre facultés de lUniversité
(Droit, Médecine et Sciences) y participent; la Faculté
de théologie préfère rester à lécart.
Chaque année et selon la faculté, le thème change.
La Faculté de droit illustre lévolution de la
cléricature dans les temps anciens et les temps actuels et
de la place de la femme sous le droit romain comparativement au droit
daujourdhui. En médecine, il est question de «régimes»:
régime de lhomme primitif, régime du charlatan,
régime végétarien. En chirurgie dentaire, les
chars allégoriques présentent lhygiène
dentaire chez les Indiens et les Esquimaux. La Faculté de pharmacie
sintéresse à lorigine de la pharmacie. LÉcole
Polytechnique évoque lâge de fer et lâge
de lacier; lÉcole des Hautes Études Commerciales
montre la tenue des livres. Sajoutent au cortège le corps
militaire des étudiants, la fanfare universitaire, quatre policiers
à cheval, les journalistes et quatre motocyclettes.
On aperçoit aussi dans la parade les fossoyeurs du béret,
un symbole très fort à lépoque. Porter
le béret est le signe distinctif de létudiant
de lUniversité de Montréal. Le journal Le Quartier
latin regorge de poèmes et propos sur lhommage quon
fait au béret. Pendant le rituel, le président de lAssociation
générale des étudiants prononce loraison
funèbre.
Le parcours débute et se termine au parc Lafontaine. La coupe
Maurault est décernée à la faculté dont
le char allégorique est le plus original. À cette époque,
labbé Olivier Maurault, futur recteur, est curé
de la paroisse Notre-Dame, la paroisse de lUniversité.
La crise économique de 1929 laisse plusieurs quartiers montréalais
dans une grande pauvreté. Par respect pour les résidants
dans le besoin, la parade de 1931 est annulée; il est jugé
inopportun dorganiser des moments de réjouissance pendant
cette période triste. Cette année-là, les étudiants
se joignent à la société Saint-Vincent-de-Paul,
oeuvre de charité, pour venir en aide aux plus démunis.
Denis Plante
Archiviste
Collaboration spéciale
Division des archives
Université de Montréal
www.ARCHIV.umontreal.ca
Sources:
Le Quartier latin, journal des étudiants de lAGEUM,
1920-1970.
Continuum, journal de la Fédération des
associations étudiantes du campus de lUniversité
de Montréal, 1977-1993.
Quartier libre, journal des étudiants de lUniversité
de Montréal, 1993-2000.