Volume 35 numéro 2
5 septembre
2000




Incendier la montagne et avaler une bombe atomique!
La Division des archives retrace les plus folles initiations.

Initier les nouveaux étudiants est une tradition qui remonte à 1920, année de la fondation de l’Université de Montréal. Celle-ci est alors établie rue Saint-Denis et compte quelques centaines d’étudiants. Aujourd’hui, alors que la population étudiante frise les 50,000, on voit toujours des groupes de nouveaux subir la «torture» de l’initiation.

Quelques initiations sont passées à l’histoire. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, en 1945, un étudiant en sciences est forcé d’avaler une réplique de la bombe atomique et les étudiants en droit menacent d’assommer le conducteur de tramway qui refuse de les conduire dans le quartier du Palais de justice (où l’on trouve plusieurs bonnes tavernes). Quant aux étudiants de la Faculté de théologie, ils veulent… incendier la montagne. Même ceux en relations industrielles veulent faire la grève.

Les initiations suivent les moeurs. Au cours des récentes années se sont ajoutées des activités comme le jeu-questionnaire étudiant «Bols et Bolles», des épluchettes de blé d’Inde et des spectacles d’humoristes. La seule activité qui ait subsisté depuis 80 ans, c’est la danse. Qu’elle porte le nom de «Danse des cassés», «Bal des nouveaux», «Party deux étages», la danse demeure la grande activité de clôture des festivités.

Les initiations ont pour but de permettre aux étudiants de faire le pont entre la fin des vacances et le début de l’année universitaire. Ce n’est pas d’hier que la bière coule à flots. Mais qui pourrait blâmer les étudiants de vouloir fêter un peu avant d’entamer huit mois de labeur? Pas même Mgr Irénée Lussier, le recteur, qui en 1956 incitait ses étudiants à prendre du bon temps: «Il faut se divertir, mais dans le but de travailler plus fort par la suite. La conscience pèse lourd au paresseux. Il s’agit donc d’agir de façon que personne ne puisse se faire un seul reproche.»


Emprise de la religion

Les années 1950 sont marquées par une grande emprise de la religion catholique. En 1953, l’initiation débute avec la messe du Saint-Esprit à l’église Saint-Germain, d’Outremont. C’est l’initiation au Christ. Ensuite les étudiants sont convoqués au restaurant Chez Valère, où les repas, préparés par les étudiantes en diététique, sont servis dans de petites boîtes scellées qu’on ira ouvrir sur la montagne. Une projection suit cette dégustation. Le tout se termine par un discours du recteur, Mgr Olivier Maurault. Les étudiants sont par la suite invités à baiser la bague du chancelier de l’Université, le cardinal Paul-Émile Léger. On demande après aux nouveaux de signer le livre d’or. Le chant des Escholiers et le Ô Canada! sont chantés à plusieurs reprises. Le tout se termine par la bénédiction paternelle du cardinal.

Les années 1960 marquent une période de contestation étudiante. En 1963, le journal étudiant souhaite la bienvenue à tous les policiers qui deviennent carabins: «Nous voulons souhaiter la bienvenue à tous les policiers (R.C.M.P., P.P. et agents municipaux) qui envahissent notre campus cette année dans le but bien défini de détruire toute tendance “subversive” chez les étudiants.»


La parade, ancêtre de l’initiation

En 1920, l’initiation prend la forme d’une parade organisée par les étudiants. Ceux-ci désirent montrer à la population qu’ils aiment s’amuser en faisant preuve d’imagination. Mais les autorités universitaires leur rappellent l’article 89 des règlements de l’Université: 1) ne pas interpeller les dames dans la rue, 2) ne pas se servir des chants liturgiques en dehors de l’église, 3) s’abstenir de tout abus de boissons alcooliques, sous peine d’expulsion.

Les cours débutent en octobre. La parade se déroule d’une façon très ordonnée le samedi soir afin de permettre à toute la population d’y assister. Elle se compose de chars allégoriques qui témoignent de la vie étudiante. Trois des quatre facultés de l’Université (Droit, Médecine et Sciences) y participent; la Faculté de théologie préfère rester à l’écart.

Chaque année et selon la faculté, le thème change. La Faculté de droit illustre l’évolution de la cléricature dans les temps anciens et les temps actuels et de la place de la femme sous le droit romain comparativement au droit d’aujourd’hui. En médecine, il est question de «régimes»: régime de l’homme primitif, régime du charlatan, régime végétarien. En chirurgie dentaire, les chars allégoriques présentent l’hygiène dentaire chez les Indiens et les Esquimaux. La Faculté de pharmacie s’intéresse à l’origine de la pharmacie. L’École Polytechnique évoque l’âge de fer et l’âge de l’acier; l’École des Hautes Études Commerciales montre la tenue des livres. S’ajoutent au cortège le corps militaire des étudiants, la fanfare universitaire, quatre policiers à cheval, les journalistes et quatre motocyclettes.

On aperçoit aussi dans la parade les fossoyeurs du béret, un symbole très fort à l’époque. Porter le béret est le signe distinctif de l’étudiant de l’Université de Montréal. Le journal Le Quartier latin regorge de poèmes et propos sur l’hommage qu’on fait au béret. Pendant le rituel, le président de l’Association générale des étudiants prononce l’oraison funèbre.

Le parcours débute et se termine au parc Lafontaine. La coupe Maurault est décernée à la faculté dont le char allégorique est le plus original. À cette époque, l’abbé Olivier Maurault, futur recteur, est curé de la paroisse Notre-Dame, la paroisse de l’Université.

La crise économique de 1929 laisse plusieurs quartiers montréalais dans une grande pauvreté. Par respect pour les résidants dans le besoin, la parade de 1931 est annulée; il est jugé inopportun d’organiser des moments de réjouissance pendant cette période triste. Cette année-là, les étudiants se joignent à la société Saint-Vincent-de-Paul, oeuvre de charité, pour venir en aide aux plus démunis.

Denis Plante
Archiviste
Collaboration spéciale
Division des archives
Université de Montréal
www.ARCHIV.umontreal.ca


Sources:
Le Quartier latin, journal des étudiants de l’AGEUM, 1920-1970.
Continuum, journal de la Fédération des associations étudiantes du campus de l’Université de Montréal, 1977-1993.
Quartier libre, journal des étudiants de l’Université de Montréal, 1993-2000.