Claude
Minotto et la mémoire institutionnelle
La
Division des archives négocie le virage technologique.
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Pendant quil
travaillait sur son mémoire de maîtrise en histoire,
Claude Minotto avait presque perdu espoir de mettre la main sur des
témoignages du capitaine Joseph Elzéar Bernier relatant
ses expéditions dans le Grand Nord canadien entre 1904 et 1925.
Cest alors quil entend parler dun fonds darchives
cédé par la succession de lexplorateur au Collège
de Lévis et dautres archives déposées au
séminaire de Trois-Rivières. «Les journaux de
voyage et les documents photographiques et cinématographiques
que jy ai trouvés mont absolument passionné,
dit le directeur de la Division des archives de lUniversité
de Montréal. Jai passé des jours et des nuits
à éplucher ces archives.»
Les recherches de M. Minotto ont suscité beaucoup dintérêt,
bien au-delà du Département dhistoire de lUniversité
McGill. Au début des années 1970, le pétrolier
américain Manhattan avait provoqué un incident diplomatique
au Canada en pénétrant dans ses eaux arctiques. Les
autorités avaient donc tout intérêt à connaître
et à faire connaître la souveraineté canadienne
sur le territoire, notamment grâce aux voyages du capitaine
Bernier. Les pellicules de nitrate retrouvées au Collège
de Lévis ont livré des images saisissantes du Grand
Nord, témoignant des activités des explorateurs et de
leurs contacts avec les autochtones au début du siècle.
Aujourdhui, M. Minotto ne se consacre plus directement aux recherches
en histoire, mais sa fonction consiste à offrir aux usagers
de son service les meilleures conditions pour mener leurs travaux.
«Je sais ce que ça peut être de plonger dans des
boîtes de documents, dit-il. Quand un fonds darchives
est bien organisé, la recherche est tellement agréable
et efficace!»
Conservation
et diffusion
Après avoir travaillé dans différents services
darchives (dont les Archives nationales du Canada et les Archives
nationales du Québec) et consacré deux ans et demi à
la coopération interuniversitaire en Afrique, M. Minotto a
été embauché par lUniversité de
Montréal en septembre 1999 en raison de sa solide expérience
pratique. Les défis de la Division des archives sont multiples,
au moment où les archives informatiques simposent et
où la numérisation des documents se développe,
alors que les documents de papier abondent encore. De plus, tout établissement
doit conserver les originaux, qui ont une valeur patrimoniale intrinsèque.
Tenus par la Loi sur les archives (adoptée en 1983) de préserver
de loubli les documents institutionnels dintérêt
durable, les archivistes comme M. Minotto doivent quotidiennement
jongler avec le passé et lavenir. Ils sont bien entendu
attirés par la numérisation de nombreux documents, qui
peuvent sy prêter, mais ils doivent être certains
que les systèmes informatiques de demain seront capables de
décoder les fichiers. «Un service comme le nôtre
a trois fonctions principales, explique le directeur: conservation,
traitement et diffusion des archives. La numérisation, cest
excellent pour la diffusion, car avec Internet on peut faire connaître
des documents à une clientèle immense. Mais il y a des
craintes sur le plan de la fiabilité de conservation. On doit
dabord sassurer que les appareils de demain pourront lire
les fichiers quon crée aujourdhui.»
Encore utilisé quotidiennement dans la plupart des services
darchives, le microfilm demeure un moyen de conservation plus
sûr, mais il perd des points au chapitre de la diffusion. Un
chercheur européen qui veut lire une thèse conservée
à lUniversité de Montréal sur microfilm
naura pas à se déplacer sil peut la télécharger
en quelques clics.
Tout utilisateur doutils informatiques sait que les supports
et logiciels évoluent tous les cinq ans. Ainsi lusager
prévoyant qui a déposé des documents importants
sur une disquette dans son coffret de sûreté pour les
garder à labri du vol ou des virus aura peut-être
la surprise de constater que son micro-ordinateur sera incapable de
les lire en 2010. La question se pose à une échelle
décuplée dans un service tenu par son établissement
et par la loi de conserver des centaines de milliers de documents.
24,000 boîtes
Ce que le directeur des archives décrit comme le «lieu
de la mémoire institutionnelle» compte 24,000 boîtes
de documents qui totaliseraient, si on les mettait côte à
côte, quelque 8,1 kilomètres de papiers. Ces boîtes,
conservées en partie dans la tour du Pavillon principal, contiennent
des documents datant de différentes époques. Les plus
vieux remontent à 1601. Il y a certainement de nombreux trésors
dans ces boîtes, mais aussi une quantité de choses dont
la durée de vie utile est terminée. «Il faut faire
un ménage pour éliminer ces documents encombrants quil
nest plus nécessaire de conserver», dit le spécialiste.
Cest que la Division des archives connaît actuellement
de sérieux problèmes despace. Durant lentrevue
quil accordait à Forum, le directeur a reçu la
visite dun déménageur arrivant des locaux du Département
de géologie, fermé le 31 mai dernier. «Déposez
le classeur ici», a-t-il indiqué au jeune homme.
«Eh oui! le directeur doit prendre des mesures durgence»,
commente-t-il avant dexpliquer que le vieux classeur a renfermé
des documents du père Léo-Georges Morin, qui a fondé
et dirigé le Département de géologie de 1938
à 1949. Au dire de certains, il fut à la géologie
ce que le frère Marie-Victorin a été à
la botanique. «Ce classeur sert au rangement dune collection
unique danciennes diapositives sur plaque de verre illustrant
le travail des géologues. Malheureusement, nous navons
pas trouvé dautre endroit pour lentreposer que
mon bureau. Mais la collection demeure au service des chercheurs intéressés.»
Les problèmes de la Division des archives «une
crise despace», selon certains sont connus de la
Direction des immeubles. «Je sais bien que nous ne sommes pas
seuls à lUniversité à avoir besoin de locaux
supplémentaires, souligne M. Minotto, mais la situation devient
critique.»
Actuellement, les documents sont répartis sur une superficie
de 1600 mètres carrés. Il en faudrait 2000 pour répondre
aux besoins des prochaines années. Mais tous espèrent
voir poindre une solution, au moins partielle, au cours des mois à
venir.
Il faut dire que la Division des archives, qui relève du Secrétariat
général depuis les années 1960, sest mise
au service de lensemble de lUniversité en 1972
et a vu son volume de documents se multiplier au fil des ans. Une
bonne partie dentre eux attendent toujours dêtre
mieux marqués et traités de manière définitive.
Pour Claude Minotto et son équipe, qui compte 12 personnes,
ce travail de bénédictin nest pas un pensum. «Notre
équipe est consciencieuse et dynamique et, puisque la situation
financière difficile que lUniversité de Montréal
a connue est derrière nous, nous sommes optimistes quant à
nos défis. Il y va de la mémoire de létablissement,
une mémoire en constante évolution.»
Mathieu-Robert
Sauvé