Quand
la mémoire sen va
Le
secrétaire de la FAS, Jean-Pierre Bernier, sen va après
34 ans à lUdeM.
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AAprès
34 années à lUniversité de Montréal,
dont 24 au poste de secrétaire de la Faculté des arts
et des sciences (FAS), Jean-Pierre Bernier peut enfin se consacrer
à ses études. Le plus drôle, cest que le
programme détudes en sciences économiques quil
suit actuellement qui lui vaudra un sixième diplôme
universitaire se déroule à lUQAM. «Ça
élargit les horizons daller voir ailleurs», dit
le retraité de 65 ans qui a bien lintention de faire
carrière dans la finance après ses études.
«Jean-Pierre Bernier nous quitte, et cest un peu notre
mémoire qui sen va», dit la doyenne Mireille Mathieu,
qui le côtoie au moins une fois par semaine depuis six ans et
demi, moment de son entrée en fonction. M. Bernier assistait
jusquau mois de juin dernier à la réunion du «cabinet»,
où la doyenne et les vice-doyens décident des grandes
orientations de la FAS. Il était, de lavis de Mme Mathieu,
le «gardien de lorthodoxie», car il connaissait
sur le bout des doigts le règlement pédagogique et ramenait
promptement à lordre ceux qui étaient tentés
daller un peu trop vite. De plus, sa solide mémoire permettait
à M. Bernier détablir des parallèles avec
des situations vécues plusieurs années plus tôt.
«Je nai pas de mérite, dit le principal intéressé.
Tout ce qui me distingue, cest que jai duré. Si
un vice-doyen avait passé autant dannées à
son poste, il aurait eu la même mémoire institutionnelle
que moi.»
Mais rarement un secrétaire de faculté demeure-t-il
aussi longtemps en poste que M. Bernier. Il aura travaillé
avec cinq doyens: René Lévesque (le physicien), Louis-Marie
Tremblay, Roland Rivest, Robert Lacroix et Mireille Mathieu. On pourrait
même dire six puisque, durant le décanat de René
de Chantal, Jean-Pierre Bernier était vice-doyen aux études,
fonction quil a remplie pendant quatre ans.
De la physique théorique à ladministration
Né à Chicoutimi mais ayant grandi à Ottawa, M.
Bernier a entamé ses études dans la capitale canadienne.
Mais rien ne laissait croire quil connaîtrait une carrière
dans ladministration universitaire. Au cours des huit années
où il a siégé au Comité sur les règlements,
il est passé pour un juriste. Ça le faisait toujours
sourire, car lavocat, cétait son père (Jean-Maurice
Bernier a même été un bras droit du ministre fédéral
de la Justice dans les années 1940). En réalité,
Jean-Pierre Bernier est dabord physicien, et cest comme
professeur de physique quil a fait son entrée à
lUniversité de Montréal en 1966. «À
cette époque, on engageait beaucoup, explique-t-il. Le Département
de physique venait de mettre sur pied le Laboratoire de physique nucléaire,
on achevait la construction de laccélérateur de
particules, bref, tout allait bien.»
Le hasard a voulu que plusieurs étudiants exceptionnels se
retrouvent dans la même classe. Et les étudiants de cette
classe ont décidé quils ne voulaient pas de cours
magistraux durant leur troisième année de baccalauréat.
«Nous voulons apprendre autrement», ont-ils dit. Cest
Jean-Pierre Bernier qui a pris en main cette expérience pédagogique.
«Ce nétait pas une idée généralisable
à lensemble de lUniversité, mais ce projet-pilote
a démontré que, dans certaines situations, il fallait
se montrer conciliant. Jen suis, encore aujourdhui, très
fier.»
Cette expérience a plu à M. Bernier, pour qui luniversité
est tout le contraire dun milieu conservateur et figé.
«Lorsquon désire bien administrer, il faut être
ouvert au changement, au brassage didées. Le meilleur
exemple de ça, cest la création de la FAS, en
1972.»
La Faculté des arts et des sciences a regroupé quatre
facultés (sciences, lettres, philosophie et sciences sociales)
dont la qualité de lenseignement variait dun secteur
à lautre. De plus, la promotion des professeurs se décidait
souvent de manière peu objective. Et létudiant
en sciences biologiques qui voulait suivre un cours de philosophie
ou de musique était mieux dy renoncer. Linterdisciplinarité
a suscité bien des grincements de dents à lépoque.
«Nous avons créé à ce moment-là
les premiers baccalauréats bidisciplinaires. Ceux qui pensent
que cette formule est récente se trompent. On devrait plutôt
parler de renaissance.»
Les trois chapeaux
En plus de ses tâches de secrétaire de faculté
et de professeur (il a gardé une charge denseignement
jusquen 1997), M. Bernier a toujours étudié. «Sauf
quelques exceptions, jai toujours suivi léquivalent
de trois ou quatre crédits de cours par trimestre», dit-il.
Cela lui a permis de demeurer très près des étudiants.
«Jai toujours dit que je portais trois chapeaux: administrateur,
professeur et étudiant. Mais au fond de mon cur, je crois
que je nai jamais cessé dêtre un étudiant.»
Une situation cocasse sest présentée en juin 1999,
au cours de la collation des grades de la FAS. À un certain
moment, le secrétaire de faculté, qui agit à
titre de maître de cérémonie, doit inviter chaque
diplômé à savancer vers la tribune afin
de recevoir son parchemin. Comme son nom figurait sur la liste, il
a dû le prononcer et sinviter lui-même à
procéder au rituel
M. Bernier est certes un peu nostalgique de quitter lUniversité
de Montréal. Mais ce père de trois enfants et grand-père
de quatre petits-enfants est certain de ne pas sennuyer, dautant
plus quune nouvelle carrière lattend. La finance,
son nouveau dada, est très près de ses premières
amours, la physique théorique. «Sur le plan intellectuel,
il y a beaucoup plus daffinités quon le croit entre
les deux disciplines»,
dit-il.
Mathieu-Robert
Sauvé