Volume 35 numéro 1
28 août 2000


 


Quand la mémoire s’en va…
Le secrétaire de la FAS, Jean-Pierre Bernier, s’en va après 34 ans à l’UdeM.

Jean-Pierre Bernier

AAprès 34 années à l’Université de Montréal, dont 24 au poste de secrétaire de la Faculté des arts et des sciences (FAS), Jean-Pierre Bernier peut enfin se consacrer… à ses études. Le plus drôle, c’est que le programme d’études en sciences économiques qu’il suit actuellement — qui lui vaudra un sixième diplôme universitaire — se déroule à l’UQAM. «Ça élargit les horizons d’aller voir ailleurs», dit le retraité de 65 ans qui a bien l’intention de faire carrière dans la finance après ses études.

«Jean-Pierre Bernier nous quitte, et c’est un peu notre mémoire qui s’en va», dit la doyenne Mireille Mathieu, qui le côtoie au moins une fois par semaine depuis six ans et demi, moment de son entrée en fonction. M. Bernier assistait jusqu’au mois de juin dernier à la réunion du «cabinet», où la doyenne et les vice-doyens décident des grandes orientations de la FAS. Il était, de l’avis de Mme Mathieu, le «gardien de l’orthodoxie», car il connaissait sur le bout des doigts le règlement pédagogique et ramenait promptement à l’ordre ceux qui étaient tentés d’aller un peu trop vite. De plus, sa solide mémoire permettait à M. Bernier d’établir des parallèles avec des situations vécues plusieurs années plus tôt.

«Je n’ai pas de mérite, dit le principal intéressé. Tout ce qui me distingue, c’est que j’ai duré. Si un vice-doyen avait passé autant d’années à son poste, il aurait eu la même mémoire institutionnelle que moi.»

Mais rarement un secrétaire de faculté demeure-t-il aussi longtemps en poste que M. Bernier. Il aura travaillé avec cinq doyens: René Lévesque (le physicien), Louis-Marie Tremblay, Roland Rivest, Robert Lacroix et Mireille Mathieu. On pourrait même dire six puisque, durant le décanat de René de Chantal, Jean-Pierre Bernier était vice-doyen aux études, fonction qu’il a remplie pendant quatre ans.


De la physique théorique à l’administration

Né à Chicoutimi mais ayant grandi à Ottawa, M. Bernier a entamé ses études dans la capitale canadienne. Mais rien ne laissait croire qu’il connaîtrait une carrière dans l’administration universitaire. Au cours des huit années où il a siégé au Comité sur les règlements, il est passé pour un juriste. Ça le faisait toujours sourire, car l’avocat, c’était son père (Jean-Maurice Bernier a même été un bras droit du ministre fédéral de la Justice dans les années 1940). En réalité, Jean-Pierre Bernier est d’abord physicien, et c’est comme professeur de physique qu’il a fait son entrée à l’Université de Montréal en 1966. «À cette époque, on engageait beaucoup, explique-t-il. Le Département de physique venait de mettre sur pied le Laboratoire de physique nucléaire, on achevait la construction de l’accélérateur de particules, bref, tout allait bien.»

Le hasard a voulu que plusieurs étudiants exceptionnels se retrouvent dans la même classe. Et les étudiants de cette classe ont décidé qu’ils ne voulaient pas de cours magistraux durant leur troisième année de baccalauréat. «Nous voulons apprendre autrement», ont-ils dit. C’est Jean-Pierre Bernier qui a pris en main cette expérience pédagogique. «Ce n’était pas une idée généralisable à l’ensemble de l’Université, mais ce projet-pilote a démontré que, dans certaines situations, il fallait se montrer conciliant. J’en suis, encore aujourd’hui, très fier.»

Cette expérience a plu à M. Bernier, pour qui l’université est tout le contraire d’un milieu conservateur et figé. «Lorsqu’on désire bien administrer, il faut être ouvert au changement, au brassage d’idées. Le meilleur exemple de ça, c’est la création de la FAS, en 1972.»

La Faculté des arts et des sciences a regroupé quatre facultés (sciences, lettres, philosophie et sciences sociales) dont la qualité de l’enseignement variait d’un secteur à l’autre. De plus, la promotion des professeurs se décidait souvent de manière peu objective. Et l’étudiant en sciences biologiques qui voulait suivre un cours de philosophie ou de musique était mieux d’y renoncer. L’interdisciplinarité a suscité bien des grincements de dents à l’époque. «Nous avons créé à ce moment-là les premiers baccalauréats bidisciplinaires. Ceux qui pensent que cette formule est récente se trompent. On devrait plutôt parler de renaissance.»


Les trois chapeaux

En plus de ses tâches de secrétaire de faculté et de professeur (il a gardé une charge d’enseignement jusqu’en 1997), M. Bernier a toujours étudié. «Sauf quelques exceptions, j’ai toujours suivi l’équivalent de trois ou quatre crédits de cours par trimestre», dit-il.

Cela lui a permis de demeurer très près des étudiants. «J’ai toujours dit que je portais trois chapeaux: administrateur, professeur et étudiant. Mais au fond de mon cœur, je crois que je n’ai jamais cessé d’être un étudiant.»

Une situation cocasse s’est présentée en juin 1999, au cours de la collation des grades de la FAS. À un certain moment, le secrétaire de faculté, qui agit à titre de maître de cérémonie, doit inviter chaque diplômé à s’avancer vers la tribune afin de recevoir son parchemin. Comme son nom figurait sur la liste, il a dû le prononcer et s’inviter lui-même à procéder au rituel…

M. Bernier est certes un peu nostalgique de quitter l’Université de Montréal. Mais ce père de trois enfants et grand-père de quatre petits-enfants est certain de ne pas s’ennuyer, d’autant plus qu’une nouvelle carrière l’attend. La finance, son nouveau dada, est très près de ses premières amours, la physique théorique. «Sur le plan intellectuel, il y a beaucoup plus d’affinités qu’on le croit entre les deux disciplines»,
dit-il.

Mathieu-Robert Sauvé