Volume 35 numéro 1
28 août 2000


 


L'automne Tousignant
Deux expositions de l’artiste photographe et universitaire Serge Tousignant

L’artiste Serge Tousignant travaille à partir de maquettes. Celles-ci sont exposées au Centre d’exposition jusqu’au 24 septembre.

Photographier quelques bâtons plantés dans le sable sous le soleil, produisant avec leur ombre des formes géométriques. Cette idée, toute simple, a valu à l’artiste Serge Tousignant une renommée internationale. Son nom figure notamment dans le Who’s Who of American Art (États-Unis), dans le Dictionnaire de l’art moderne (France), dans le Multimedia Dictionary of Modern Art (Angleterre) et dans d’autres publications spécialisées. Encore aujourd’hui, près de trois décennies après qu’il a réalisé cette série de clichés, au Canada anglais on surnomme «the Stickman» le professeur du secteur des arts plastiques du Département d’histoire de l’art.

«On m’a souvent demandé si ces photos étaient truquées, commente l’artiste, interviewé par Forum au moment de l’accrochage de ses œuvres au Centre d’exposition de l’Université de Montréal, qui présente jusqu’au 24 septembre Indices: maquettes et études de Serge Tousignant. La réponse est non. Pour moi, c’est très important de ne pas altérer mes négatifs. Les installations sont faites à partir de bâtons trouvés dans la nature et abandonnés sur place après la séance de photographie. Quand les ombres aux formes géométriques apparaissent sous les bâtons, il faut photographier sans tarder, car le soleil bouge tout le temps.»

Pour Serge Tousignant, qui se décrit comme un «artiste photographique», l’appareil photo n’est pas un témoin de la réalité mais un interprète subtil, parfois rusé. À propos de ces jeux d’ombres, Jean-Pierre Latour écrit dans le catalogue de l’exposition que «l’appareil photographique, assisté du soleil, interprète en figures cohérentes, par un jeu de projections, le désordre apparent. Le dispositif mime ainsi l’acte de connaissance, la mise en forme du savoir, comme le nombre ¹ installe une règle surprenante dans l’infinie diversité dimensionnelle des cercles.»

Il faut dire que M. Tousignant a toujours été fasciné par la perception visuelle. Au début de sa carrière, avant même d’être désigné comme photographe, ses gravures et lithographies illustraient souvent des formes géométriques créant des illusions d’optique. Et quand la photo est devenue son support favori, il a réalisé des clichés d’un coin de son atelier où il avait collé du ruban adhésif noir, donnant l’impression d’un cube. L’observateur est perplexe devant l’œuvre finale: voit-il un plafond et des murs ou un cube suspendu dans le vide?

Le Dessin solaire numéro 19, fait à partir de sept bâtons de bois plantés dans le sable, date de 1980. «Je joue avec la réalité et je m’en sers pour construire des espaces et des structures abstraites», dit l’artiste.


Une exposition inusitée

L’exposition Indices: maquettes et études est inusitée en ce sens que les œuvres telles qu’on les voit habituellement n’occupent qu’un modeste espace; ce sont plutôt les étapes témoignant du processus créatif qui sont présentées. Dans le cas des «géométries solaires», nom savant que l’artiste a donné à ses jeux d’ombres sur le sable, il s’agit d’un montage de planches-contacts et croquis divers qui ont précédé la réalisation finale.

C’est Gilles Sénéchal, conservateur de la galerie Séquences, au Saguenay, qui a eu l’idée de présenter les maquettes de Serge Tousignant, de préférence à ses œuvres finales, alors qu’il furetait dans son atelier en vue d’une exposition collective. Cette initiative a fait du chemin. Après Jonquière, les maquettes et études ont été exposées à différents endroits au Canada, de Moncton à Winnipeg. L’exposition présentée par le Centre d’exposition de l’Université de Montréal reprend l’essentiel de cette présentation itinérante, mais compte plusieurs pièces inédites. «Le lieu permet d’accrocher un plus grand nombre d’œuvres, précise M. Tousignant. Des dessins et expérimentations sont présentés ici pour la première fois.»

Pour Serge Tousignant, qui est professeur à l’Université de Montréal depuis 25 ans, cette exposition revêt un caractère spécial. «C’est un peu comme si j’exposais chez moi. Et puis le Centre d’exposition est un espace magnifique.»

La galerie Graff présente simultanément (du 7 septembre au 7 octobre) une exposition intitulée Signalements: œuvres formelles et géométriques. Cette fois, ce sont les sculptures de M. Tousignant qui seront présentées à la galerie branchée de la rue Rachel.


Requiem pour un pavillon

Depuis le décès de Pierre Granche, Serge Tousignant est devenu le dernier fondateur du secteur des arts plastiques de l’Université de Montréal toujours en poste. D’abord chargé de cours en 1974-1975, puis professeur, il a vu croître son secteur, qui compte aujourd’hui quelque 80 étudiants. «Jusqu’en 1977, nous donnions nos cours à l’étage supérieur de la chaufferie, sur le campus de l’Université de Montréal. Ensuite, nous avons déménagé dans le Pavillon Mont-Royal, qui abritait auparavant le Service des sports.»

L’engagement de Peter Kraus il y a quelques années est venu parachever un secteur de petite dimension mais apprécié par les étudiants et le milieu artistique.
Malheureusement, la direction de la Faculté des arts et des sciences a annoncé que l’immeuble de l’avenue du Mont-Royal, vétuste, devrait être libéré à la fin de la présente année universitaire. On procède également à un réaménagement administratif du secteur, et l’incertitude plane chez les chargés de cours, les professeurs et les étudiants. «Si l’on en vient à supprimer notre secteur, cela voudra dire que les étudiants de la deuxième ville francophone du monde n’auront plus le choix des programmes d’arts plastiques dans leur langue. Seule l’UQAM pourra leur offrir un tel programme.»

Serge Tousignant est convaincu que la disparition des programmes d’arts plastiques (ou leur fusion avec les programmes d’histoire de l’art et d’études cinématographiques) serait une perte pour le mouvement culturel montréalais. Mais l’artiste est très heureux de son expérience de professeur depuis 25 ans. «J’aime beaucoup enseigner», dit-il. Le fait d’avoir poursuivi parallèlement une carrière d’artiste lui a donné une autonomie qu’il apprécie vivement aujourd’hui. Et les projets ne manquent pas.

Le public est invité aux visites guidées gratuites, à 12 h 15 tous les jours. C’est Virginie Gitton, étudiante au baccalauréat en histoire de l’art, qui les animera. L’artiste donnera également une conférence publique le 13 septembre à 18 h.

Mathieu-Robert Sauvé