Le
cinéma muet était... bruyant!
Isabelle
Raynauld est cinéaste et universitaire.
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Tout
en menant une carrière duniversitaire, Isabelle
Raynauld poursuit des activités de cinéaste.
Lui demander de choisir entre les deux, cest un peu
comme demander à un enfant sil préfère
son père ou sa mère
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«Le muet
est un cinéma très sonore!» dit Isabelle Raynauld
au cours dun entretien à Forum. Devant la mine
interdite de son interlocuteur, la professeure au Programme détudes
cinématographiques précise: «Pour ce qui est du
contenu narratif, le muet nest pas sans éléments
sonores. Au contraire, cest un cinéma extrêmement
bruyant.»
Des exemples? À partir des films des frères Lumière
(Larrivée dun train en gare de La Ciotat,
notamment) jusquau premier film parlant, The Jazz Singer,
en 1927, on trouve une quantité de scènes où
des amants écoutent aux portes, des enfants tambourinent, des
ivrognes tombent dans des poubelles. «Les quiproquos sont aussi
très fréquents, reprend la spécialiste. Quelquun
apprend une chose et constate, trop tard, quil sest trompé.
On trouve également une profusion de procès.»
Actuellement, un des assistants de Mme Raynauld inventorie les scènes
sonores dans le cinéma muet dans le cadre dun projet
de recherche subventionné. Cette façon daborder
le cinéma des premiers temps a contribué à faire
connaître Isabelle Raynauld au-delà de nos frontières.
«Au cours dune rencontre de spécialistes, jai
dit aux participants découter un film
muet quils connaissaient très bien. Pour eux, ça
a été une révélation.»
La tradition a retenu des premières projections le pianiste
accompagnateur et lon connaît mieux, aujourdhui,
le rôle des animateurs de vues (ou bonimenteurs) qui donnaient
vie aux images. Mais pour Isabelle Raynauld, la trame sonore était
beaucoup plus que cela. Même si personne ne lentendait
vraiment.
20
000 scénarios du muet
Ce nest pas dhier que la chercheuse suit des pistes originales.
Au cours de ses travaux de doctorat, la jeune femme a retracé
plus de 20 000 scénarios de films muets écrits entre
1901 et 1923. Dénichés à la Bibliothèque
nationale de France, à la Cinémathèque française
et à la Library of Congress de Washington, ils ont permis de
découvrir un tas de choses sur lorigine du cinéma.
Ce secteur des lettres constitue actuellement un sujet de recherche
universitaire très apprécié en Amérique
du Nord et en Europe.
Ainsi, grâce aux travaux dIsabelle Raynauld, les théoriciens
du cinéma ont appris que le cinéma muet nétait
pas une longue improvisation devant les caméras. Au contraire,
tout y était scénarisé avec force détails.
«Georges Méliès a été le premier
à écrire des scénarios, dit Mme Raynauld. Jai
retrouvé des textes signés de sa main. Mais il nétait
pas le seul, loin de là.»
De retour au pays, Mme Raynauld a constitué une base de données
avec ces scénarios. Cela lui permet dexploiter la question
du son dans le cinéma des premiers temps. Mais elle a beaucoup
dautres marrons sur le feu, et pas seulement relatifs au cinéma
du début du siècle. Son expertise sétend
jusquaux courants multimédias actuels. «Je mintéresse
aux pratiques scénaristiques de toute lhistoire du cinéma,
et particulièrement à la manière dont les médias
en émergence ont influencé les auteurs», dit-elle.
Si le parlant a beaucoup influé sur les contenus, la vague
du numérique transforme aujourdhui la manière
de raconter des histoires dans le septième art.
Durant une année sabbatique, en 1999, elle a été
invitée à approfondir ce champ au Massachusetts Institute
of Technology. Alors quelle travaillait sur ce sujet, le film
allemand Run, Lola, Run est sorti en salle. Racontant trois
fois la même histoire comme un grand jeu interactif, ce long
métrage venait illustrer certaines de ses réflexions.
Chercheuse et cinéaste
Lorsquelle était petite, Isabelle Raynauld accompagnait
parfois son père, André, à lUniversité
de Montréal (M. Raynauld, aujourdhui à la retraite,
a été professeur au Département de sciences économiques).
Elle se demandait comment des grandes personnes pouvaient continuer
de fréquenter une école après tant dannées.
«Je me disais que ces adultes devaient avoir beaucoup de difficulté
à comprendre!» rigole-t-elle aujourdhui.
Si on lui avait dit quelle-même fréquenterait luniversité
alors quelle serait mère (son fils Misha a un an), elle
ne laurait pas cru. Et si elle répond très bien
au profil de luniversitaire classique (plusieurs publications
dans des revues savantes, directions de recherches aux deuxième
et troisième cycles, etc.), une autre partie delle est
tournée vers la pratique.
Auteure de scénarios et réalisatrice, Isabelle Raynauld
vient de terminer Une blonde pour Anatole, un moyen métrage
qui sera diffusé en novembre prochain à Radio-Canada.
Cette comédie, mettant en vedette Andrée Lachapelle,
aura été un exercice de transfert technologique entre
luniversité et le marché du travail. Le scénario
a été écrit par un des étudiants de Mme
Raynauld dans le cadre de son cours. Il est produit par un étudiant
à la maîtrise, Antoine Zeind, et plusieurs étudiants
ont assisté au tournage.
La cinéaste prépare aussi un documentaire, Le Minot
dor, portant sur une résidence de Lotbinière
où cohabitent sept déficients intellectuels. Même
sil nest pas encore tourné, le long métrage
a été acheté par Radio-Canada.
Mais la vie professionnelle de Mme Raynauld na pas été
toujours rose. Lan dernier, elle a dû se présenter
devant un tribunal pour faire reconnaître un cas de plagiat
lopposant à la cinéaste Léa Pool. Trois
arbitres ont donné raison à luniversitaire.
En marge dune rencontre avec les étudiants de lUniversité
de Montréal dans un cours de Mme Raynauld, Mme Pool a invité
son hôte à lui envoyer des scénarios inédits.
Les mois ont passé et Mme Raynauld a compris que ses projets
navaient pas plu à la cinéaste. Mais par hasard,
la professeure est appelée à commenter un projet de
film de Léa Pool: Emporte-moi. Stupéfaction: il sagit,
à peu de chose près, de son propre texte. Sengage
alors un long combat pour faire reconnaître le plagiat. «Ça
ma coûté 16 000 $ de frais», dit-elle.
«Je ne voulais pas en rester là. Il me semblait que cétait
important pour mes étudiants, pour mon fils, que justice soit
faite.»
Universitaire ou cinéaste? Pour Isabelle Raynauld, le choix
est difficile à faire. Mais elle avoue que, si elle réussissait
à procurer de lémotion aux gens, une seule fois,
dans un film, elle aurait le sentiment du travail accompli...
Mathieu-Robert
Sauvé