FORUM - 5 JUIN 2000Maladie mentale et insertion dans la communautéUn programme de suivi intensif dans la communauté permet de réduire la durée de l'hospitalisation.
Le Québec en est à sa troisième vague de désinstitutionnalisation en matière de soins en santé mentale. Les deux premières, dans les années 1960 et à la fin des années 1980, ont partiellement atteint leur objectif de réduire la durée des séjours hospitaliers et le nombre de lits d'hospitalisation en psychiatrie. Elles ont toutefois permis d'importants progrès en matière de respect des droits des personnes atteintes de troubles mentaux, a déclaré à Forum Nicole Ricard, professeure à la Faculté des sciences infirmières. Un premier bilan fait en 1997 de l'implantation de la politique de santé mentale de 1989 permet de constater que le Québec accuse encore du retard sur le plan des durées de séjour, qu'il a le nombre de lits d'hospitalisation le plus élevé et que ses ressources dans la communauté sont peu développées comparativement aux autres provinces canadiennes. En 1998, un service de suivi intensif dans le milieu (SIM) est mis sur pied à l'hôpital Louis-Hippolyte-LaFontaine. Il s'inspire du Program for Assertive Community Treatment, élaboré aux États-Unis et appliqué depuis plusieurs années, et de la gestion intensive de cas (Intensive Case Management). Concrètement, il consiste à offrir aux personnes atteintes de troubles mentaux graves et persistants un suivi cinq jours par semaine dans leur milieu de vie, leur permettant ainsi de se réinsérer dans la communauté. "Quand on parle de troubles mentaux graves et persistants, constate Mme Ricard, on accorde peu d'importance à la nature exacte du diagnostic. Cependant, parmi les 300 patients qui sont suivis dans le cadre du SIM, plus de 50% ont reçu un premier diagnostic de schizophrénie. Mais le programme concerne également des personnes souffrant d'autres troubles mentaux et surtout de troubles multiples." À chacun des 30 intervenants du SIM (15 infirmières et 15 éducateurs spécialisés) sont assignés une dizaine de patients. L'éventail des services qui sont offerts par le suivi intensif dans la communauté couvre à peu près tous les aspects du quotidien. Il peut tout aussi bien s'agir d'accompagner la personne chez le pharmacien que de l'aider dans la recherche d'un logement ou de lui offrir du soutien en situation de crise. L'intervenant est également en rapport avec les autres professionnels qui s'occupent du patient (médecin, psychiatre, travailleur social, psychologue) et les personnes qui font partie de son environnement (parents, amis, voisins, etc.). "Le programme vise un double objectif, souligne Nicole Ricard. Il s'agit avant tout d'améliorer la qualité de vie des personnes atteintes de troubles mentaux en leur permettant de vivre et de s'intégrer dans la communauté plutôt qu'en établissement, tout en les aidant à développer leurs compétences de base. Mais il ne faut pas se le cacher, le SIM vise également à réduire les coûts en diminuant le nombre de lits d'hospitalisation et la durée des séjours dans les établissements. Au Canada, en 1995, on parlait de coûts directs de 2,3 milliards de dollars pour les soins aux personnes atteintes de schizophrénie seulement." Plusieurs études ont également démontré que moins la durée de l'hospitalisation est longue, plus les personnes sont en mesure de conserver les compétences de base pouvant leur permettre de fonctionner dans la communauté. "Le secret de l'intervention proposée par le SIM réside, entre autres, dans la qualité et la constance du lien qui s'établit entre l'intervenant et le patient. Même lorsque ce dernier doit être hospitalisé, ce lien est maintenu et l'intervenant du SIM ira le visiter à l'hôpital. Le fait de garder ainsi une fenêtre ouverte sur l'extérieur facilite grandement le retour éventuel de la personne dans la communauté, ajoute Mme Ricard." Bien que ce programme ne soit implanté à Montréal et dans d'autres régions du Québec que depuis deux ans seulement et que son efficacité soit désormais reconnue en ce qui a trait à la réduction des hospitalisations, une équipe multidisciplinaire dont fait partie Mme Ricard ainsi que Sylvie Lauzon et Jean-Pierre Bonin, également de la Faculté des sciences infirmières, tente de savoir quels sont les facteurs clés liés à l'implantation, au fonctionnement et aux coûts du SIM. On veut également connaître les retombées du SIM sur la vie personnelle et professionnelle des intervenants. Enfin, on veut déterminer quels types de patients bénéficient du SIM et dans quelles conditions. Échelonnée sur 36 mois, cette recherche dispose, depuis l'automne dernier, d'une quantité non négligeable de données intéressantes dont les premières mesures ont été effectuées à l'automne 1999. On sait par exemple que, chez la majorité des intervenants du SIM, le niveau de satisfaction professionnelle est passablement élevé et que, comparativement à un groupe d'infirmières en santé mentale pour lequel on dispose de données de nature similaire, ils éprouvent moins d'épuisement professionnel et peu de détresse émotionnelle. "Pourtant, fait remarquer Mme Ricard, les intervenants du SIM sont exposés quotidiennement à des agents de stress importants puisqu'ils doivent fonctionner à l'extérieur de cadres définis. Ils sont fréquemment exposés à des situations remplies d'imprévus, ils doivent utiliser leur créativité et réagir rapidement en situation de crise. Malgré tout, nos intervenants disent être stimulés par leur travail et le considèrent comme un défi intéressant. Quant aux premières données sur les clientèles dont nous disposons, elles sont encore trop peu nombreuses pour nous permettre de véritablement tirer des conclusions sur les types de patients qui bénéficient le mieux du SIM. Cependant, on sait déjà que davantage de femmes que d'hommes sont aidées par le programme." Si la recherche traditionnelle vouée à l'évaluation des programmes de suivi s'est le plus souvent contentée d'observer ce qui se passait avant et après leur implantation, la recherche que dirige Nicole Ricard accorde une attention particulière à ce qui se passe pendant la mise en application du SIM. Ainsi plus de 400 grilles d'intervention par semaine sont remplies par les intervenants et ensuite remises aux chercheurs. Cet outil constitue une véritable mine de renseignements puisque tout y est noté avec précision: la durée de l'intervention, l'endroit où elle a eu lieu, auprès de qui elle a été faite (le patient lui-même, un voisin, un membre de sa famille), la nature exacte de l'intervention, etc. Cette grille a été conçue avec la participation des intervenants afin qu'elle soit pour eux la plus conviviale possible et qu'elle tienne compte de tous les aspects de leur travail. De plus, les données collectées leur sont retournées régulièrement afin qu'elles puissent leur servir d'outils dans leur travail. Éventuellement, ces données permettront de tracer un portrait plus juste des personnes qui progressent réellement en bénéficiant du SIM et de celles qui ont moins bien évolué, tout en désignant les conditions qui influent sur cette évolution. C'est dans ce va-et-vient constant de l'information entre les chercheurs, les intervenants et les gestionnaires que résident, selon Nicole Ricard, les meilleures garanties de succès et d'efficience, non seulement du SIM comme outil d'intervention auprès des personnes atteintes de troubles mentaux, mais aussi de la recherche comme instrument de mesure permettant de mieux répondre aux besoins des malades. En bout de ligne, même si l'objectif du SIM est de réduire les coûts d'hospitalisation en santé mentale, son efficacité devra d'abord être mesurée en fonction de l'amélioration de la qualité de vie qu'il assure aux patients et, à moyen terme, de la réduction de la stigmatisation associée à la maladie mentale dans notre société. Lorraine Desjardins |